En 1742, Christian Goldbach conjecturait, dans une lettre à Leonhard Euler, que tout nombre entier est somme d’au plus trois nombres premiers. Harald Helfgott vient de prouver que c’est vrai pour les nombres impairs.
Les mathématiciens Goldbach et Euler entretenaient une correspondance épistolaire et c’est dans la lettre du 7 juin 1742 que Goldbach fit part de sa conjecture à Euler. On trouve sur la page wikipedia de la conjecture une copie manuscrite, en voici une version typographiée plus lisible.
On remarquera une fois encore que c’est dans la marge que se trouve la substantifique möelle 10Comme pour le grand théorème de Fermat.
Es Scheinet wenigstens, dass eine jede Zahl, die grösser ist als 1, ein aggregatum trium numerorum primerorum sey.
Ce qui donne l’énoncé de la conjecture :
Tout nombre entier strictement plus grand que 1 est la somme d’au plus trois nombres premiers 11A l’époque, la convention était de considérer 1 comme un nombre premier, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui..
La conjecture est devenue célèbre grâce à son énoncé très simple et sa très grande difficulté. 12Lors de la sortie du roman Oncle Petros et la conjecture de Goldbach l’éditeur offrait un prix d’un million de dollars à qui montrerait la conjecture dans l’année.
A la lettre de Goldbach, Euler répondit qu’il suffisait de montrer que tout nombre pair plus grand que 4 est la somme de deux nombres premiers. En effet si \(n\) est un nombre impair plus grand que 7 alors \(n-3\) est pair et s’écrit comme somme de deux nombres premiers \(p_1,p_2\). Ainsi, \(n=3+p_1+p_2\) et la conjecture est prouvée pour les nombres impairs. C’est l’énoncé pour les nombres pairs, «Tout nombre pair plus grand que 4 est somme de deux nombres premiers» qui est actuellement reconnu sous le terme de Conjecture de Goldbach. L’énoncé pour les nombres impairs «Tout nombre impair plus grand que 7, est la somme de trois nombres premiers» est désormais connu sous le nom de conjecture faible ou conjecture ternaire.
Harald Helfgott vient d’annoncer une démonstration de la conjecture faible, celle pour les nombres impairs. Il a déposé sa preuve, lundi 13 mai au soir, sur le site de prépublication Arxiv.org. Voici son article 13Le papier de Helfgott est long, plus de 130 pages, et la vérification avant acceptation et publication du résultat prendront du temps..
Depuis, les travaux de Vinogradov 14En fait, quelques années auparavant, Lev Schnirelmann avait prouvé, qu’il existe un nombre \(C\) tel que tout entier peut s’écrire comme somme d’au plus \(C\) nombres premiers., on sait que tous les nombres impairs plus grand qu’un certain nombre \(C\) peuvent s’écrire comme somme de trois nombres premiers. Il suffit donc de vérifier la conjecture pour les nombres plus petits que \(C\) ! Malheureusement le nombre \(C\) était immense15Il était même non-explicite dans les travaux de Vinogradov. On connaissait son existence mais pas sa valeur. et il était inimaginable de vérifier (même avec les ordinateurs les plus puissants du monde) la conjecture pour tous les entiers plus petits que \(C\).
Tout le travail de Helfgott a été d’améliorer et réinventer les techniques développées par Hardy-Littlewood 16 Hardy et Littlewood avaient montré la conjecture pour les entiers impairs suffisamment grands sous l’hypothèse de Riemann généralisée., Vinogradov, Ramaré 17Olivier Ramaré a montré en 1995 que tout nombre entier plus grand que 2 est somme d’au plus six nombres premiers., Tao 18Terence Tao a montré l’année dernière que tout nombre impair plus grand que 1 est somme d’au plus cinq nombres premiers. Le journal Le Monde en parlait le 5 mai 2012. et d’autres reposant sur la méthode du cercle pour rendre la conjecture accessible à des calculs par ordinateur. Ces calculs ont été implémentés par Dave Platt et ont été réalisés, en partie, au mésocentre de calcul MesoPSL de l’observatoire de Paris.
L’ordinateur a été utilisé pour vérifier la conjecture jusqu’à \(8.875\cdot 10^{30}\) et vérifier aussi l’hypothèse de Riemann généralisée sur des zones plus grandes que celles connues auparavant. Ce sont ces derniers calculs concernant l’hypothèse de Riemann généralisée qui ont nécessité l’utilisation de supercalculateurs
La conjecture pour les nombres impairs semble désormais prouvée mais celle pour les nombres pairs résistera sûrement longtemps encore.
Post-scriptum
L’auteur remercie Harald Helfgott d’avoir pris le temps de lire ce billet et d’avoir aimablement fourni une photo de lui ; ainsi que Sylvie Benzoni, Serge Cantat et Etienne Ghys pour leurs commentaires.