Par un concours de circonstances dont le détail importe peu, j’en suis venu l’autre jour à me demander qui était la mathématicienne la moins connue du monde. La question pourra d’abord frapper par son caractère tout aussi parfaitement absurde que profondément inconvenant. Mais je ne pensais pas aux mathématiciennes d’aujourd’hui.
Par le passé, les mathématiciennes étaient plus rares. Il me semble donc qu’en remontant le temps, la question peut gagner en pertinence et le mauvais goût passer pour un louable souci de justice. Nous verrons bien…
Il faut aussi probablement s’entendre sur ce qu’est une mathématicienne : disons qu’elle a publié un ouvrage mathématique ou du moins que sa participation à un projet important est attestée.
Qui, hormis de très rares historiens, aura entendu parler de Louise-Angélique Le Mire, veuve Jacques Julien ? La veuve Julien… Ceux qui trouveraient un je-ne-sais-quoi d’inquiétant à son statut marital ne seront pas rassurés par le titre de l’ouvrage qu’elle a publié en 1755 : Le Quadricide.
Ce n’est pourtant qu’une quadrature du cercle que la demoiselle Le Mire (comme on l’appelait aussi à l’époque) entendait éliminer.
Un certain chevalier de Causans prétendait avoir résolu le célébrissime problème de la quadrature du cercle. Le 26 septembre 1754, il avait déposé une somme importante (10 000 livres) chez le notaire Aleaume avec instruction de la donner au premier qui trouverait une erreur dans sa démonstration. La demoiselle Le Mire s’était lancé dans la course à la réfutation et avait publié son Quadricide.
Je n’ai trouvé mention de son ouvrage dans le catalogue d’aucune bibliothèque. Je viens encore de consulter celui de la Bibliothèque nationale de France, le Catalogue collectif de France et Worldcat : nada.
L’existence du Quadricide paraît pourtant fermement établie. Dans son numéro de mars 1755, le Mercure de France, l’un des plus grands journaux du temps, évoque au détour de quelques lignes la récente parution de l’ouvrage :
Mlle Le Mire, choquée de l’injuste prévention où l’on est contre les femmes, a été jalouse de l’honneur de les justifier, en montrant que leur esprit est capable d’atteindre aux vérités géométriques, sur lesquelles il leur arrive de raisonner plus conséquemment que bien des hommes. […] Elle a cru devoir rendre public le fruit de son travail, qui paraît sous ce titre Le Quadricide ou Paralogismes prouvés géométriquement dans la quadrature de M. de Causans. Par Mlle L. A. Le Mire, veuve J… in-4°. 28 pag. Chez Delaguette, etc. 2Voir, par exemple, ici, dont est d’ailleurs tirée la vignette de ce billet.
Avec ses 28 pages, le Quadricide tient certes plus de la brochure ou du factum que de l’Encyclopédie, mais est-ce une raison pour renoncer à le retrouver ?
Pour espérer toucher les 10 000 livres du chevalier de Causans, me suis-je dit, la demoiselle Le Mire avait dû faire parvenir un exemplaire de son Quadricide au notaire concerné. Et si le propre du métier de notaire n’est pas de garder soigneusement ce qu’on lui a donné…
Il se trouve que les papiers des notaires parisiens du XVIIIe siècle sont conservés aux Archives nationales. Pour retrouver un dossier, l’idéal est d’avoir un nom de notaire et une date : Aleaume, 26 septembre 1754. Il faut ensuite compter une bonne heure pour que le carton surgisse des entrailles du passé.
Le chevalier de Causans a reçu, comme on s’en doute, de nombreuses réfutations à sa quadrature du cercle. Il n’en admit aucune. L’affaire fut donc portée en justice. Le notaire devait-il rendre les 10 000 livres au chevalier de Causans ? Les remettre à l’un des ses contradicteurs ? Mais lequel… Ils se battaient entre eux pour savoir qui était arrivé le premier (Un certain Pierre Estève et un certain Jean Digard étaient les mieux placés).
Un mauvais géomètre ne fait pas forcément un crétin fini. Le chevalier de Causans avait pris soin de préciser à son notaire que l’argent devrait lui être retourné s’il n’avait pas été distribué avant telle date (dépassée au moment du procès). Le jugement fut rendu en sa faveur, confirmé en appel.
J’ai trouvé quelques réfutations dans les archives du notaire, mais pas celle de la demoiselle Le Mire. Un argument de plus, me semble-t-il, pour la faire concourir au titre de mathématicienne la moins connue du monde.
N.B. Le lecteur intéressé par les péripéties de la quadrature du cercle au XVIIIe siècle pourra consulter le remarquable ouvrage de Marie Jacob : La quadrature du cercle : un problème à la mesure des Lumières, Fayard, 2006. Je traite aussi de l’affaire du chevalier de Causans sur mon site consacré à Clairaut . Bravo d’avance à celui ou celle qui saura débusquer un exemplaire du Quadricide.
11h31
« Enfin, les villes les plus connues de la Sudafriquie sont Johannesburg, Le Cap, Pretoria et Durban. Les villes les moins connues sont Potchestroom, Verkaniging, Witbank et Thabazimbi. » (Réquisitoire contre Jean-Constantin, 28 octobre 1982)