Ce billet répond au commentaire de J.-P. Brissaud à mon article intitulé Le nombre d’or en mathématique.
Si vous êtes fascinés par les spirales, vous continuez une tradition d’illustres prédécesseurs. Par exemple Jacob Bernoulli (1654-1705), qui s’arrangea pour que fût gravée sur sa tombe à Bâle une spirale logarithmique accompagnée de l’inscription
Eadem mutata resurgo.
Traduction mot à mot : déplacé(e) = mutata, je réapparais = resurgo, à l’indentique = eadem. (Les parenthèses autour du « e » parce qu’on peut hésiter sur le sujet, est-ce la spirale après rotation ou est-ce Bernoulli après sa mort ?)
Etant donné un plan dont on a choisi une origine \(O\), on appelle ici spirale de centre \(O\) une courbe décrite dans ce plan par un point soumis simultanément à un mouvement de rotation autour de \(O\) et à un mouvement d’éloignement de \(O\). Il y a donc plusieurs types de spirales, chacun correspondant à un accordage propre de l’éloignement avec la rotation. (D’autres courbes, notamment la spirale d’Euler, n’entrent pas dans la définition des «spirales» adoptée ici.)
En particulier, une spirale logarithmique est décrite en coordonnées polaires par deux équations paramétriques~:
\[
r = \mu^t r_0
\quad \text{et} \quad
\theta = \theta_0 + t ,
\]
où \(t\) est un paramètre auquel on peut penser comme au temps, et où \((r_0,\theta_0)\) sont les coordonnées du point décrivant la spirale à l’origine du temps~; cette spirale est aussi décrite par l’unique équation
\[
r = r_0 \mu^{\theta}
\]
(si on veut bien admettre le choix des coordonnées tel que \(\theta_0 = 0\)).
Voici une propriété caractéristique d’une telle spirale~:
son image par une homothétie de centre \(O\) est identique à son image par une rotation de même centre. Les animations qui illustrent cette propriété contribuent certainement à la fascination que peuvent exercer les spirales, voir par exemple le site mathcurve.
Les spirales ne sont pas toutes «logarithmiques»~; on connaît par exemple la spirale d’Archimède d’équation \(r = r_0 \theta\), voir par exemple ici.
C’est parait-il la courbe qu’on peut voir aujourd’hui dans la cathédrale de Bâle sur la tombe de Jacob Bernoulli, suite à une erreur du graveur (puisque Bernoulli, lui, aurait vraiment voulu une spirale logarithmique). Sans compter les escaliers en spirale (rappelant une courbe dans l’espace à trois dimensions, courbe que les mathématiciens préfèrent appeler une hélice), les spirales de fumée, la spirale des prix, la spirale du vice, ou la spirale qui apparaît chez Victor Hugo dans «La pente de la rêverie», du recueil «Les feuilles d’automne»~:
Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
_ Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
_ (…)
_ La spirale est profonde, et quand on y descend,
_ Sans cesse se prolonge et va s’élargissant,
_ Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
_ De ce voyage obscur souvent on revient pâle !
Pour le texte complet, cf. cette page.
La spirale d’or est un cas particulier de spirale logarithmique, celui pour lequel le paramètre \(\mu\) est donné en termes du nombre d’or \(\varphi \approx 1,618\) par la relation \(\mu = \varphi^{2/\pi}\). C’est cette spirale d’or qui possède une excellente approximation par une autre courbe, la spirale de Fibonacci, réunion d’une suite de quarts de cercles de rayons \(1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, \dots\) chacun tangent au précédent.
On peut voir l’excellence de l’approximation sur la version anglaise de la page de Wikipedia consacrée au nombre d’or.
Pour en revenir à ce commentaire, pourquoi n’ai-je pas mentionné ces spirales~? j’invoquerai le difficile choix des choses à dire, il y en aurait tant d’autres.
Quant au rôle que joue ou ne joue pas le nombre d’or dans l’architecture égyptienne, je ne peux ajouter qu’une boutade~: il est bien difficile de démontrer qu’il n’y joue aucun rôle, et il est assez facile de montrer que le rôle qu’on a parfois voulu lui faire jouer tient plus de l’imagination des commentateurs que de l’intention des architectes~; voir le livre de Delahaye cité à la fin de mon article ou le livre de Marguerite Neveux cité dans le message d’Alain Valette qui précédait le vôtre. Mais ce n’est qu’une boutade, car mon incompétence en architecture est avérée.
Bien que mon incompétence en biologie soit tout aussi crasse, j’ai un préjugé bien plus favorable pour les considérations du biologiste D’Arcy Thompson (1860-1948)~; dans son fascinant livre On growth and form (éditions de 1917 et 1942), il consacre tout un chapitre aux spirales équiangles (autre nom des spirales logarithmiques) et à leurs apparitions dans les plantes et les animaux.