Il y a un an, le 3 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh (photo), professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena et personnalité de premier plan de l’opposition politique tchadienne était enlevé à son domicile de N’Djamena.
Il était docteur de l’université d’Orléans. Au Tchad, il était actif au service de l’enseignement supérieur, créant notamment des liens avec des universités ou écoles à Orléans, Lyon et Avignon. Peu après son enlèvement, la SMF, SMAI, avaient ouvert une pétition, adressée aux présidences française et tchadienne, pour demander la vérité sur son sort.
Un enlèvement politique
Les circonstances de l’enlèvement sont les suivantes. Fin janvier 2008, un appui militaire français décisif sauvait le régime tchadien en lui permettant de repousser une offensive de rebelles armés. Ce régime a malheureusement profité des troubles pour décapiter son opposition démocratique. Il en a enlevé trois responsables importants, dont M. Saleh.
Les deux autres opposants ont été relâchés. D’Ibni Oumar Mahamat Saleh, aucune nouvelle.
Suite à une pression du président français fin février 2008, le président tchadien a institué une Commission d’Enquête sur les événements survenus au Tchad du 28 janvier au 8 février 2008, comprenant notamment dans son mandat une enquête sur les « disparitions de personnes ».
Cette commission a rendu public son rapport le 3 septembre dernier : texte intégral, extraits sur les enlèvements. Elle y apporte les preuves qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh a bien été enlevé par des membres « des forces de défense et de sécurité » tchadiennes, et qu’il est impossible que « cette action soit le fait d’une initiative personnelle d’un quelconque militaire subalterne n’ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l’État ». Elle affirme n’avoir pu conclure son enquête sur ce chapitre, notamment en déterminant avec certitude le sort de M. Saleh. Elle déclare « permis de penser qu’il serait désormais décédé », « suite à mauvais traitements [ou] par assassinat politique ». Elle appelle donc le Tchad, dans ses Recommandations, à diligenter une enquête pour achever l’élucidation.
Le pouvoir tchadien est cependant demeuré, et demeure, muet sur la question. Depuis aujourd’hui un an, Ibni Oumar Mahamat Saleh est « disparu ».
Pour agir et ne pas oublier
Cet anniversaire est l’occasion de continuer à ne pas l’oublier.
Je relaie à cette occasion quelques informations et invitations à vous joindre à une action.
- La pétition électronique de la SMF et de la SMAI, à laquelle s’est jointe la SFdS 2Société Française de Statistique, pour demander la vérité, a reçu à ce jour 3200 signatures , bien au-delà du cadre national. Elle est, malheureusement, toujours ouverte. Un dossier sur Ibni Saleh y est joint, ainsi que des actualités, au fur et à mesure.
- Le courrier papier gardant un impact plus important, je vous invite à rédiger ou à télécharger sur ma page et à envoyer (jusque fin mars) des lettres aux présidents tchadien et français. Cet appel à écrire est relayé par la SMF, la SMAI et la SFdS. Vous trouverez également sur ma page un résumé de l’affaire un peu plus détaillé que ce billet, avec de nombreux liens.
- La SMF, la SMAI et la SFdS vont créer un prix Ibni Oumar Mahamat Saleh, annuellement attribué à un(e) jeune mathématicien(ne) africaine, « pour que la mémoire [d’Ibni Saleh] reste vivante et pour poursuivre son engagement en faveur des mathématiques en Afrique ».
- Amnesty International Royaume-Uni rappelle le cas d’Ibni Saleh, et des violations des droits de l’Homme au Tchad. L’enlèvement d’Ibni Saleh, symptomatique, n’est hélas qu’une des nombreuses violences arbitraires exercées ou permises par le pouvoir tchadien, dans l’impunité.
- La famille et des amis d’Ibni sont à l’initiative d’une manifestation samedi 7 février 2009 à Paris ; renseignements disponibles ici dans quelques jours.
Annexe
Ajout du 4 février 2009
J’apprends en outre à l’instant des sociétés mathématiques les nouvelles suivantes du Tchad.
- « Nous avons tenté de commémorer cette journée anniversaire de la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh de plusieurs manières mais le pouvoir été plus fort que nous. Notre marche-meeting a été interdite. Nous avons ensuite voulu organiser une journée du souvenir dans un hôtel de la place, mais le propriétaire, menacé par la police semble-t-il, nous a rendu l’argent de la réservation. Nous continuons la lutte. »
- Le projet d’un volume spécial du journal African Diaspora J. Math dédié a Ibni Saleh se met en place, pour « garder vivants la mémoire du Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh et ses contributions pour développer les mathématiques en Afrique. »
Je salue le courage de celles et ceux pour qui tenter de commémorer cet anniversaire expose au danger.