Le fantôme d’Ouroux prend la tangente

Tribune libre
Écrit par Pierre Gallais
Version espagnole
Publié le 22 mars 2012

Prendre la tangente à un double sens. Mais au lever du soleil on pourrait bien être enclin à penser que le sens mathématique et le sens commun ne font qu’un.

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Ceux qui ont fait de la trigonométrie connaissent le sens donné à la tangente d’un angle. Dans un triangle rectangle c’est le rapport « côté opposé sur côté adjacent » 2adjacent ! Voilà un mot qui m’a fait rêver au collège … angles adjacents, côtés adjacents. Je n’en ai jamais cherché l’origine ou étymologie et préfère rester sur cette impression confuse qu’évoque sa sonorité. La valeur de la tangente se met à galoper lorsque celui-ci approche l’angle droit et fuir à l’infini quand l’angle atteint l’angle droit.

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 La fonction tangente n’émeut personne, et qu’elle prenne la tangente pour sortir du cadre de la feuille de papier, lorsque nous en représentons le graphe, ne nous dérange pas vraiment. Ceci demeure vrai tant que nous restons abstrait … Mais lorsque nous sommes confrontés à l’expérience, ce fait peut être source d’émotion. Qu’est-ce qui pourrait parcourir une distance infinie en un temps fini ? Infinie, la distance ? … peut-être pas mais disons, considérable.

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 Voici le printemps, profitons des premiers rayons de soleil… J’imagine que nos ancêtres astronomes se levaient tôt … même s’ils avaient observé pendant la nuit les étoiles. Car lorsque le soleil se lève, il est rasant … c’est-à-dire qu’il fait un angle, avec la verticale du lieu, proche de l’angle droit… donc la tangente est élevée, varie beaucoup et rapidement.

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Pour illustrer ou donner corps à ce concept mathématique de tangente, je vous rapporterai l’anecdote qui m’est arrivée. Alors que j’étais en résidence artistique à Ouroux dans la Nièvre au printemps 2004, étant levé le premier je constatais que la porte de la cave était ouverte et que celle-ci était éclairée. Je me fis la remarque : « on a oublié d’éteindre la lumière ». Je m’en fus voir et constatais que c’était le soleil qui, passant par un orifice du soupirail, inondait la cave de lumière et que, plus particulièrement, il y avait une tache lumineuse au sol. Je n’aurais pas remarqué ou prêté plus d’attention si je n’avais pas été sensible à cette notion de tangente. Je m’empressais de prendre mon appareil photo et le mettre sur pied … mais il était déjà trop tard.

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Heureusement il y eut du soleil les jours suivants et je pus prendre une série de photos …Les appareils numériques sont bien pratiques pour de telles circonstances puisqu’ils permettent de voir et contrôler le rendu (sous-exposition – surexposition) dans l’immédiat. Dans les premiers temps (presque instants) je devais prendre une image toutes les quinze secondes tant la variation était grande. Ensuite cela s’allongeait. Mais, de mémoire, il me semble que la tache ne mettait qu’une vingtaine de minutes, entre son apparition et sa disparition, pour traverser les cinq ou six mètres de cette cave.

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Je n’ai pas eu une attitude scientifique qui aurait voulu que je notasse les différentes valeurs et observations. C’était l’émotion de m’arrêter pour observer cette tache, tout en songeant à cette tangente et à nos astronomes anciens qui, sans outils de grande technologie, avaient réussi à relever de fines valeurs d’angles. Avec un mètre rudimentaire, on peut arriver dans ces conditions, à extraire des minutes et peut-être des secondes d’angle.

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 Dans la journée je me mettais à l’affût pour suivre l’évolution et enregistrer la trace de celui que j’appelais le « fantôme de la maison d’Ouroux ». Partout où je pouvais voir son apparition, sous la forme d’une tache lumineuse, je prenais mon pied et venais régulièrement le mettre dans ma boîte. Il faudrait, à la manière des films image par image, pouvoir vous rendre l’impression que cela donne … voir passer le temps… en accéléré !

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 Bien que je fus, avant cette occasion, sensible aux taches de lumières à travers les trous dans les portes, persiennes… depuis et chaque année, pendant une courte période dans la saison, je ne rate pas l’occasion de prendre des images de la petite tache que je vois défiler entre 8h45 et 9h15 sur les murs de mon atelier. Il n’y a jamais les mêmes choses sur cet endroit du mur, et ceci me permet d’avoir un regard particulier sur ces choses éphémères qui ne se renouvellent jamais tout à fait semblables … à la manière de « la mer sans cesse recommencée ».

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Je vous encourage vivement à prolonger mon aventure personnelle car je trouve là une occasion peu onéreuse de faire un tableau abstrait sur les murs et le sol de votre habitation (ou tout autre endroit). Chaque jour vous porterez les points lumineux à heure fixe et intervalles réguliers. Vous pourrez y indiquer l’heure et le jour, tracer la courbe, etc. Si vous êtes courageux vous pourrez faire des calculs et peut-être déterminer votre latitude et longitude … mais au moins quand les jours seront gris vous pourrez vous reporter à ce tableau en vraie grandeur et imaginer le soleil.

Par ailleurs, si vous avez l’occasion de vous rendre à Paris par une journée ensoleillée, je vous invite à vous rendre à l’église Saint-Sulpice. Il y a un gnomon et on peut observer la tache lumineuse produite par une fente réalisée dans un angle du transept. Vous n’aurez certainement pas la patience d’attendre pour voir sa progression … De tels édifices, par leurs dimensions, ont servi d’instruments d’observations astronomiques. Il en existe plusieurs mais c’est le seul que j’ai rencontré. Il y a, également, incrusté dans le sol, sous forme d’une ligne, l’axe nord-sud … mais je ne me souviens plus et vous dis peut-être une bêtise … sur place il y a des explications.

Crédits images

Toutes les images sont personnelles, bien entendu.

ÉCRIT PAR

Pierre Gallais

Plasticien, mathématicien - Institut de Mathologie

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