Le mot du jour

Tribune libre
Écrit par Michèle Audin
Publié le 23 avril 2009

Évitons les « paroles excluantes »…

Le mot du jour, c’est le titre d’une chronique sur la chaîne de radio publique France Musique. Chaque matin, de 8h50 à 9h, le compositeur Pierre Charvet y explicite un mot de la musique :

Parmi les multiples barrières qui rendent la musique « classique » intimidante aux yeux du grand public, il y a son vocabulaire

dit-il pour présenter son émission. Il est certain que

Ah ! les trilles de Schnabel dans l’arietta de l’opus 111 4Un trille est un ornement musical consistant à alterner très rapidement deux notes. Artur Schnabel était un pianiste de la première moitié du vingtième siècle. Un opus est une œuvre musicale publiée. L’opus 111 est la cent-onzième des œuvres publiées d’un compositeur.
Tous les initiés (et eux seulement) savent que « opus 111 », sans précision, désigne un « opus » de Beethoven, de sa dernière sonate pour piano, dont le deuxième et dernier mouvement — encore une parole excluante — la dernière partie porte le joli nom d’arietta, une petite aria, un petit air, une mélodie expressive.

est une suite de ce que Pierre Charvet appelle des paroles excluantes, celles qui

lorsqu’elles ne sont pas comprises, excluent, avant même l’écoute de l’œuvre, toute une partie du public.

Pourquoi parler du mot du jour ici ? Eh bien, remplacez musique « classique » par mathématique, écoute de l’œuvre par lecture de l’article, dans les phrases de Pierre Charvet… et voici un exemple, extrait d’un vrai billet paru sur ce site 5avec la permission de son auteur, que je remercie pour sa bienveillance. Le Beethoven du trille y a été remplacé par le Cauchy des polyèdres :

si deux polyèdres de l’espace euclidien ont même combinatoire et si leurs faces correspondantes sont identiques, alors ils sont superposables 6L’espace euclidien est l’espace, celui de la géométrie dans l’espace. Un polyèdre est un volume limité par des faces, comme un cube, une pyramide. Avoir la même combinatoire, c’est avoir le même nombre de faces, des faces de la même forme, qui s’agencent de la même façon (mais pas forcément de la même taille)… les mots les plus compliqués sont les plus difficiles à expliquer ! Deux figures dessinées dans un plan sont superposables, si on peut en découper une et la superposer à l’autre. Pour deux polyèdres dans l’espace, il faut imaginer une notion analogue. C’est un théorème de Cauchy..

J’ai choisi cet exemple parce que je savais que je pourrais le citer sans blesser l’auteur du billet. Mais nous sommes tous capables de le faire. C’est même comme ça que nous écrivons spontanément.

Évitons. Essayons d’éviter les paroles excluantes.

ÉCRIT PAR

Michèle Audin

Mathématicienne et oulipienne - Université de Strasbourg et Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo)

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