Le programme nouveau est arrivé !

Défis et énigmes
Écrit par Pierre Colmez
Publié le 25 novembre 2012

Les changements de programme en cascade ont fini par atteindre les classes préparatoires et le projet de programme 6NDLR : Le lien originel n’existant plus, nous avons mis un lien sur le programme définitif de 2013.pour la classe de math sup a été rendu public récemment (comme la formation se déroule sur deux ans, il est un peu bizarre de ne rendre public que le contenu de la première année, ce qui ne permet pas vraiment de juger de la cohérence de l’ensemble). Il s’agit en gros du programme de la classe de terminale C de la fin des années 1970, un peu renforcé en probabilités, un peu plus en analyse et algèbre linéaire, pas mal diminué en arithmétique et géométrie (mais « par son langage et ses modes de représentation, la géométrie imprègne l’ensemble du programme »). Il n’est pas sûr que les élèves de math sup des années 2010 sauraient faire les épreuves du baccalauréat des années 1970 (par exemple, l’épreuve de la session 1978 de l’académie de Paris, épreuve un peu particulière pour laquelle il a fallu noter sur 28 et décréter que 91 était un nombre premier [1]). Cela manque singulièrement d’ambition et d’énoncés vraiment frappants (comme le théorème de Lagrange selon lequel le cardinal d’un sous-groupe divise celui du groupe). Évidemment, rien n’empèche les professeurs de faire passer la culture mathématique sous forme de problèmes ou d’exercices bien choisis mais on peut quand même déplorer la platitude du programme. Peut-être que le cru de l’an prochain réservera de bonnes surprises ?

Une comparaison avec ce que propose l’université de Cambridge [2] en première année est assez intéressante (la situation dans le secondaire n’a pas l’air vraiment meilleure en Angleterre qu’en France ; peut-être que l’intégration par partie y a survécu) : le programme de math sup proposé est strictement inclus dans les 80 heures de cours du premier trimestre et 40 heures du second, mais le complémentaire est loin d’être négligeable et semble témoigner d’un reste de traumatisme de la part de membres de la commission des programmes (Inspection Générale ?) au sujet des classes d’équipollence de bipoints et de la droite affine d’un ancien programme du collège. Parmi les absences vraiment dommageables, il y a :

— la notion de dénombrabilité (et la non dénombrabilité de \({\mathbf R}\)),

— L’anneau \({\mathbf Z}/n{\mathbf Z}\) (et le corps \({\mathbf F}_p={\mathbf Z}/p{\mathbf Z}\)).

En ce qui concerne le premier point, c’est même dommage d’un point de vue de la culture tout court: la découverte
de l’existence de plusieurs infinis est toujours un choc que l’on peut partager avec des gens ne faisant pas d’études mathématiques. La suppression du second est assez incompréhensible vu le caractère formateur de la notion (et aussi pour son rôle dans la formation d’ingénieurs informaticiens : les ordinateurs font une grande consommation d’arithmétique dans \({\mathbf Z}/n{\mathbf Z}\) ou d’algèbre linéaire sur \({\mathbf F}_2\)). Je suppose que l’argument a été qu’il s’agit d’un passage au quotient et donc d’une notion beaucoup trop abstraite pour les élèves ce qui dénote une certaine dose de mauvaise foi :\ ({\mathbf Z}/n{\mathbf Z}\) est juste l’anneau \({\mathbf Z}\) auquel on a rajouté la relation \(n=0\) (ou 10=1 (et donc 9=0) dans la preuve par 9 de notre enfance), et donc on fait les calculs comme dans \({\mathbf Z}\) en se permettant de retrancher le multiple de \(n\) que l’on veut au résultat ; il faut juste faire attention au fait que \(ab=0\) n’implique pas forcément \(a=0\) ou \(b=0\). Prétendre que le corps
\({\mathbf F}_2\) est un objet plus compliqué que celui des nombres réels est un déni de réalité 7Comme \({\mathbf R}\) est non dénombrable et qu’on ne peut écrire qu’un nombre dénombrable de formules définissant des nombres réels, la plupart des nombres réels ne sont pas définissables et donc n’existent pas (pris individuellement) contrairement à ce que leur nom suggèrerait. Il vaut mieux passer pudiquement ce point sous silence dans un cours de ce niveau… :
les tables d’addition et de multiplication dans \({\mathbf F}_2\) sont limpides, alors que dans \({\mathbf R}\)…

Se restreindre à l’algèbre linéaire sur \({\mathbf R}\) ou \({\mathbf C}\) est aussi questionnable car la théorie sur un corps général n’est pas plus compliquée (le support géométrique, qui peut 8 Ce n’est pas évident : un de mes collègues m’a raconté qu’il avait commencé à faire un dessin au tableau pour montrer que le plan d’équation \(x+y+z=0\) et la droite engendrée par \((1,1,1)\) sont en somme directe dans \({\mathbf R}^3\), mais que les élèves lui ont dit de ne pas faire ça car ça les embrouillait… être une aide sur \({\mathbf R}\), fait déjà
défaut sur \({\mathbf C}\)).

Une autre curiosité du programme est son horreur
du vide (enfin de l’ensemble du même nom). Est-ce dû
au traumatisme d’un autre membre de la commission
à la suite de l’exercice « calculer  9 Rien c’est rien, mais trois fois rien c’est déjà quelque chose… \({\mathcal P}({\mathcal P}({\mathcal P} (\emptyset)))\) » que l’on posait en classe de 5-ième dans les années 1970? En tout cas, le résultat est qu’on ne peut pas sommer sur un ensemble vide, faire le produit sur un ensemble vide, parler d’une famille vide 10 On ne peut pas non plus considérer d’application de l’ensemble vide dans un ensemble; je présume que cela explique l’absence de la notion de graphe d’une application . : toutes
choses qui reposent sur des conventions naturelles qui facilitent bien la vie pour ne pas passer son temps à distinguer des cas dans les démonstrations (par exemple pour écrire \(\sum_{i\in I}x_i-\sum_{i\in J}x_i=\sum_{i\in I-J}x_i\), il va falloir imposer que \(J\) soit strictement inclus dans \(I\); pour construire une base de \(E\oplus F\), il va falloir distinguer les cas \(E=0\) ou \(F=0\), etc.). C’est tellement absurde que j’en viens à soupçconner certains membres de la commission de l’avoirimposé pour avoir quelque chose d’insignifiant à modifier à l’issue de la [consultation->http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid66227/formulaire-de-consultation-des-projets-de-programmes-pour-la-voie-scientifique.html] mise en place par le ministère et faire ainsi preuve de bonne volonté face aux critiques éventuelles sans avoir à toucher à quoi que ce soit de significatif.

ÉCRIT PAR

Pierre Colmez

Directeur de recherche - CNRS - Sorbonne Université, Paris

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    novembre 25, 2012
    15h19