Le théorème de Radon

Version espagnole
Publié le 27 mars 2010

Il y a quelques mois, j’ai eu besoin d’utiliser pour ma recherche (plutôt abstraite) un théorème qui se trouve avoir des applications très concrètes : le théorème de Radon. Il remonte au tout début du vingtième siècle, mais l’application que je vais décrire a dû attendre les rayons X et l’ordinateur pour voir le jour.

Le problème

Le problème est le suivant : imaginons qu’on ait un objet opaque constitué de différents matériaux, et que l’on souhaite savoir comment ces matériaux sont répartis à l’intérieur sans l’endommager (par exemple, l’objet peut être un malade à l’intérieur du corps duquel on aimerait voir).

L’une des méthodes est le scanner : on lance de fins faisceaux de rayons X à travers l’objet dans toutes les directions et on mesure quelle proportion de chaque faisceau a été absorbée. Mais y a-t-il un moyen de relier ces mesures à la constitution de notre objet ?

Scanner et intégrale

Les mathématiciens expriment ces mesures en terme d’intégrale ; expliquons un peu. Pour simplifier, imaginons d’abord un objet rectiligne, « 1D ». Alors il n’y a qu’une direction disponible et mon unique faisceau va être un peu absorbé par chaque partie de l’objet. La mesure obtenue donne en terme mathématique l’intégrale de la fonction d’absorption, c’est-à-dire simplement la somme des petites absorptions qui ont lieu en chaque point (en fait dans le phénomène d’absorption il s’agit plus d’un produit que d’une somme, mais il y a un outil pour passer de l’un à l’autre appelé logarithme, donc on ne se préoccupe pas de ce petit détail).

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Avec une seule mesure, il est bien sûr impossible de reconstituer la structure interne de l’objet. Prenons maintenant un objet plat, « 2D ». Maintenant, il y a beaucoup de façon différentes de lancer les faisceaux, et on dispose donc potentiellement de très nombreuse mesures : chacune donne l’absorption totale le long d’une droite.

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La question est alors : peut-on retrouver l’absorption en chaque point à partir de ces mesures 3Si les matériaux qui composent mon objet ont des taux d’absorption différents, ceci permettra d’en reconstituer la composition interne? Le théorème de Radon dit non seulement que c’est possible, mais donne aussi la recette pour y arriver. Je ne vais pas donner cette formule ici, mais essayer d’expliquer l’idée très grossièrement.

Fixons un point de l’objet et cherchons à retrouver le taux d’absorption en ce point. L’idée est de faire la somme des taux d’absorption mesurés sur les droites passant par le point donné.

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Dans cette somme se trouvent additionnés les taux d’absorption de tous les points de l’objet, mais pas le même nombre de fois : une zone loin du point fixé sera « vue » par beaucoup moins de droites qu’une zone proche.

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En exagérant, on pourrait se dire que chaque point n’est compté qu’une fois sauf le point choisi. La réalité est un peu plus compliquée que ça, mais le principe est essentiellement vrai, et c’est ce qui permet de reconstituer l’absorption en chaque point à partir des sommes le long de droites : chaque point compte plus que les autres dans la somme des absorptions le long des droites passant par ce point.

Le théorème en 2D donne automatiquement le théorème en 3D, voyez-vous pourquoi 4En fait, ce qu’on appelle transformée de Radon en 3D est un peu différent. ? Une propriété remarquable de ce problème est qu’il se simplifie quand la dimension augmente (il est impossible en dimension 1, et résoudre la dimension 2 suffit à résoudre la dimension 3).

Il y a un dernier souci avec cette méthode d’imagerie : dans la pratique on ne peut pas faire toutes les mesures (il y en a une infinité). Heureusement on peut montrer que si on fait suffisamment de mesures et qu’on applique la formule de Radon, alors le résultat est assez proche du taux d’absorption (et plus on fait de mesures, plus le résultat est bon). Autrement dit, en plus d’être explicite, le théorème de Radon est stable.

ÉCRIT PAR

Benoît Kloeckner

Chercheur associé - Laboratoire d’Analyse et de Mathématiques Appliquées - Université Paris-Est Créteil Val de Marne

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Commentaires

  1. Charles Boubel
    avril 1, 2010
    17h48

    Merci pour cette jolie note ! Je cite souvent cet exemple, facilement explicable en peu de temps et à n’importe quelle personne ayant un bagage de lycée, lorsqu’on me questionne sur l’utilité des maths « pures », en tout cas d’un questionnement mathématique sans motivation applicative directe. En un peu plus de temps, il est explicable à des collégiens.

    Désormais je pourrai même être plus détaillé si on me le demande.