Les baïnes, du surf et des maths

Tribune libre
Écrit par Paul Vigneaux
Publié le 28 juin 2009

Nous avons eu le plaisir de voir que les mathématiciens pouvaient nous écrire un billet depuis un refuge ou sous la neige. Pour s’associer à cette série en pleine nature, nous vous proposons en ce début d’été d’aller nager un peu dans l’océan Atlantique, plus précisément, sur les côtes landaises et girondines.

L’une des caractéristiques de leurs plages est d’être constituées de sable fin, comme vous avez pu vous en rendre compte, si vous avez eu l’occasion de vous promener sur les dunes qui y donnent souvent accès : cela assure le confort du bain de soleil. Ce matériau soumis à l’action permanente de l’océan (marées, dérive littorale, tempêtes, etc) donne une morphologie en constante évolution et un œil averti détectera que les bancs de sable observables à marée basse changent de forme (parfois même en l’espace d’une journée, si les éléments y mettent du leur). Ces bancs de sable créent une sorte de chapelet de bassins ouverts sur l’océan, d’une taille caractéristique de l’ordre de la centaine de mètres ; on parle de « baïnes », en Gascogne. Les mathématiques permettent de calculer ce qu’il s’y passe lorsque la marée et les vagues évoluent en leur sein.

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Nous ne décrirons pas ici la démarche complète de modélisation. En résumé, les physiciens savent construire des systèmes d’équations (les « modèles ») qui décrivent bien l’évolution du fluide au bord de l’océan. Les inconnues de ce système décrivent, par exemple, le mouvement de la surface de l’eau entre l’endroit où les vagues commencent à se préparer à déferler et la plage dans la zone de flux/reflux du jet de rive (on détermine ainsi la vitesse et la hauteur d’eau dans le domaine de calcul, comme nous le verrons par la suite).

En revanche, nous ne sommes pas capables d’exprimer la solution à l’aide d’une formule explicite 3comme lorsque l’on résout une équation du second degré à l’aide du discriminant. Notre travail mathématique consiste alors à mettre au point des méthodes qui permettent de calculer (avec un ordinateur) la solution de ces systèmes d’équations. Des progrès constants ont été réalisés dans cette direction et des recherches actuelles sont en cours pour calculer, de façon toujours plus réaliste (c’est à dire en prenant en compte de plus en plus de physique dans les modèles, ce qui conduit à des équations de plus en plus compliquées), la propagation des vagues sur des rivages naturels (le fond de l’eau n’est pas tout plat, de même la ligne de côte est de forme variable, etc).

Nous présentons ci-dessous quelque résultats d’applications de tels travaux sur le cas particulier d’un système barre/baïne tel que l’on peut le trouver sur les plages sableuses d’Aquitaine. A gauche de la figure suivante, le domaine de calcul est un rectangle dont le fond marin est celui évoqué ci-dessus : les lignes de niveau du fond sont représentées en couleurs, la baïne est bien visible au centre, le banc est juste au dessus. En noir, il s’agit des lignes de niveau de la surface de l’eau qui évolue sur ce fond : en chaque point du rectangle et dans la zone couverte d’eau, la résolution numérique des équations donne l’évolution de la hauteur d’eau au cours du temps. Pour visualiser un peu mieux le profil de la surface océanique, une vue en coupe sur l’axe (« horizontal » du domaine de calcul vu à l’instant) y=95.25 est donnée sur la droite de la figure. On y distingue, à un instant donné, les vagues (trait noir continu) qui se propagent vers la plage, à droite.

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La vitesse est aussi obtenue au cours de ce calcul : elle est représentée à l’aide de flèches noires 4usuellement appelées « vecteurs » qui donnent la direction, le sens et la norme de la vitesse au point de représentation dans la figure ci-dessous, au moment de la mi-marée.

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On observe qu’un courant puissant généré par le déferlement des vagues sur le banc de sable s’incurve ensuite pour évacuer l’eau par la sortie de la baïne. Le courant qui entraîne le fluide vers le large peut avoir une amplitude significative sur une distance pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de mètres. Il est bien connu des surfeurs qui l’utilisent pour regagner le large rapidement et à l’abri des vagues déferlantes. En revanche, il peut mettre en danger les nageurs qui voudraient regagner le bord en le bravant : souvent, dans les cas favorables, les vitesses générées sont tout juste à la portée des meilleurs compétiteurs internationaux, qui seraient débordés face à des conditions de mer plus sérieuses. L’une des solutions consiste à nager en travers pour sortir de cette zone et à utiliser l’une des vagues mitoyennes pour rentrer en s’amusant jusqu’au rivage, il s’agit de bodysurf !

Bon été à vous !

Remerciements :

Merci à Nathalie Bonneton du laboratoire EPOC (CNRS UMR 5805) pour ses précisions sur les valeurs des vitesses du courant en sortie de baïne, mesurées lors de diverses campagnes expérimentales sur la côte aquitaine.

Quelques références parmi d’autres (piste noire) :

  • Borys Alvarez-Samaniego, David Lannes. Large time existence for 3D water-waves and asymptotics. Inventiones Mathematicae, 171(3), p 485-541, 2008.
  • Christophe Berthon, Fabien Marche. A Positive Preserving High Order VFRoe Scheme for Shallow Water Equations : A Class of Relaxation Schemes. SIAM J. Sci. Comput, 30(5), p 2587-2612, 2008.
  • Fabien Marche. Theoretical and Numerical Study of Shallow Water Models. Applications to Nearshore Hydrodynamics. Thèse de l’Université Bordeaux 1. 2005.

La page wikipédia traitant de ce sujet.

ÉCRIT PAR

Paul Vigneaux

Professeur - Université de Picardie Jules Verne, LAMFA, CNRS

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