Les mathématiques dites pratiques ou d’antan sont-elles désuètes ?

Débat
Écrit par Aziz El Kacimi
Publié le 18 juin 2015

On quitte les généralités pour parler un peu de l’enseignement des mathématiques de façon concrète. On peut se poser quelques questions sur ce qu’on dispense ces temps-ci à l’école primaire, aux collèges et lycées mais aussi à l’université. Il y a quelques décennies, en cours de maths en CM (appelé tout bonnement à l’époque Cours de calcul, Cours de géométrie…), les exercices étaient par exemple du type :

Exercice 240 dans [JK]2[JK] P. Jorez & G. Koëll , 1300 problèmes. Classiques Hachette (1962). Une somme placée à 4,5% rapporte en un an 2100 francs d’intérêt de moins qu’une somme égale placée à 6%. Quelle est cette somme ?

Exercice 293 dans [JK]. Un voyageur va de Lille à Alger. Il prend le train le 1er mai à Lille à 13 h 30 mn et arrive à Paris à 16 h 55 mn. Il reprend le train à 21 h pour arriver le lendemain à Marseille à 9 h 30 mn. Le paquebot part le même jour à 11 h 45 mn et met 26 heures pour faire la traversée. À quelle date et à quelle heure le voyageur arrivera-t-il à Alger ? Combien de temps a-t-il passé dans le train ? Combien de temps a duré son voyage ?

Je ne me rappelle pas exactement comment on faisait pour les résoudre mais on y arrivait toujours, même en étant encore ignorant de la notion d’inconnue, d’une mise en équation… C’est que dans la démarche il y avait certainement une bonne part de réflexion. Il m’est arrivé de me dire qu’un étudiant de nos jours, avec tout le bagage mathématique qu’il est censé avoir acquis, pourrait formaliser toutes ces questions, les résoudre plus facilement, et avec plus de rigueur. Mais non ! ça ne se passe malheureusement pas ainsi. J’ai fait l’expérience sur des problèmes du genre dont voici un :

Monsieur Totovitch a acheté sa maison le 1er janvier 2005. À cet effet, il a contracté une dette de 100.000 euros à un taux d’intérêt annuel de 5%. Il s’est engagé à s’acquitter de sa dette sur une période de 10 ans en remboursant mensuellement (pendant 120 mois) une somme constante x. Le premier versement a lieu le 31 janvier 2005. Quel est le montant de la somme x ?

Je n’en étais que déçu ! Malgré que j’avais donné auparavant une petite leçon là-dessus avec toutes les définitions nécessaires : dette, taux d’intérêt composé, taux mensuel équivalent à un taux annuel…presque aucun des étudiants n’a su l’aborder correctement ! Il y a donc réellement un problème d’immobilisme dû au manque de recettes. Mais aussi à une certaine incapacité à lire le texte, le comprendre, le découper, le transposer mathématiquement…On peut alors se poser des questions :

1. Quelle attitude doit avoir un étudiant (surtout un futur enseignant) devant un problème de maths ? Quelle démarche doit-il entreprendre ?

2. De quelle manière doit-on lui enseigner les mathématiques ? Et lui, une fois en fonction, comment doit-il communiquer avec ses élèves ?

3. Par des recettes ? L’art de chercher sur une tablette, comme c’est vanté et inscrit dans le projet de réforme des instances ministérielles ?

4. Les mathématiques qu’on pourrait qualifier de ʺpratiquesʺ (type problèmes que j’ai évoqués) sont incontestablement de bons exemples par lesquels on peut amener les élèves (et les étudiants) à réfléchir ; ils sont en plus connectés à la vie réelle des gens. Pourquoi on n’en met pas, même à petites doses, dans les contenus de nos enseignements ? Et au moment de l’introduction de l’algorithmique dans les futurs programmes du collège, pourquoi ne pas introduire ce genre de maths dans les stages de formation continue prévus aux divers plans académiques de formation ?

J’ai encore une question importante que je me permets de motiver par une petite histoire, personnelle certes mais qui peut être celle de beaucoup d’autres. J’ai eu à effectuer un calcul qui passe par celui d’une valeur approchée de la racine carrée d’un entier (assez grand). Je me suis dit que je pouvais le faire par la ʺvieille » méthode d’extraction à une unité près par défaut que j’avais apprise il y a longtemps en classe de Cinquième. Mais je n’ai plus su comment ! J’ai alors pris mon mal en patience et décidé de passer le temps qu’il faut pour réapprendre et, surtout, pour comprendre l’algorithme. Ce n’était pas aussi immédiat que je le pensais mais c’était un excellent exercice d’arithmétique, très instructif ! (Pour ceux que ça intéresse voir ici.) Je crois que, aujourd’hui, ni les collégiens, ni les lycéens et ni même les étudiants ne savent ce que c’est. Certaines personnes, dont pas mal d’entre elles sont très éveillées (chercheurs, enseignants à l’université), disent qu’ils n’en ont pas besoin : il y a des machines ; il suffit qu’ils appuient sur des touches et la réponse s’affiche merveilleusement sur un écran ! Pourquoi devraient-ils avoir recours à ces calculs à la main ? Alors :

5. Faut-il bannir toute méthode permettant d’apporter une réponse à une question qu’une machine peut déjà fournir ?

ÉCRIT PAR

Aziz El Kacimi

Professeur émérite - Université Polytechnique Hauts-de-France

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Commentaires

  1. Clement_M
    juin 24, 2014
    15h13

    Tout d’abord, merci pour ces débats ! J’ai essayé de réagir et de faire vivre (à ma petite échelle) le débat, j’espère qu’il continuera l’année prochaine.

    En ce qui concerne les problèmes pratiques, il est indispensable de savoir traduire un problème pratique en un problème mathématique. Selon moi, c’est une des compétences essentielles que les élèvent devraient acquérir à la fin du collège car elle est utile à l’ensemble des élèves.

    Cinq questions sont posés, je vais essayer de répondre à quelques unes. La première question est un peu vaste : il n’y a pas une recette miracle pour aborder ses problèmes pratiques. Il faut apprendre à lire ce type d’énoncé, chercher où se trouve l’information. Que cherche-t-on ? Comment traduire l’énoncé mathématiquement ? Faut-il définir des inconnues ? Si oui, lesquelles…etc…

    Mais avant de faire tout cela, il faut maîtriser les outils qui nous permettront de résoudre le problème mathématique qu’on aura obtenu une fois l’énoncé « traduit ». Car une fois que l’élève est conscient de ce qu’il sait faire (résoudre un système d’équation, trouver une racine d’un polynôme de degré 2…), il sait si la traduction mathématique du problème est à sa portée ou s’il ne vaut mieux pas envisager une autre inconnue et relire l’énoncé. Enfin, il ne faut pas oublier aussi de faire des problèmes « ouverts » qui permettent de convoquer toutes ses connaissances pour essayer de trouver des pistes de réflexion.

    Les recettes…je ne sais pas trop ce que vous mettez derrière ce terme. Selon moi, les recettes devraient être pour l’élève : que sais-je faire si je me concentre et je vérifie mes calculs ? Étudier une fonction, encadrer une fonction, démontrer que deux droites sont parallèles…

    Comme je l’ai déjà dit, il faut continuer à mettre des problèmes pratiques au moins jusqu’en seconde. Après tout dépend de la filière, en S on peut se permettre de faire des mathématiques « déconnectées » de la réalité car les élèves sont a priori plus enclin à penser les mathématiques et à aimer les mathématiques pour ce qu’elles sont (et la « justification » de l’intérêt des mathématiques par les problèmes pratiques n’est pas forcément nécessaire).

    La dernière question, je suis sûr que les élèves intéressés par les mathématiques auront envie de savoir faire comme la calculatrice ou de savoir comment elle marche.

  2. Frédéric Millet
    juillet 1, 2015
    19h54

    Je viens de finir de lire le très beau livre « Le Grand Roman de la Physique Quantique » de Manjit Kumar que je recommande à tout étudiant pour comprendre comment se construit une sciences, avec ses tatonements, ses erreurs, mais aussi la sociologie des chercheurs.

    Pourquoi je parle de cela ? Parce que j’y ai découvert que l’algèbre linéaire était complètement inconnue de la quasi-totalité des pères et mères de la mécanique quantique et qu’elle posait de sérieux problèmes pour être comprise par eux. D’ailleurs, dès que Schrödinger a proposé son approche ondulatoire de la mécanique quantique, nombre de chercheurs ont préféré se tourner vers celle-ci, car plus simple à appréhender, car plus proche des ondes mécaniques ou électromagnétiques qu’ils connaissaient bien. Il paraît curieux qu’une telle théorie, aujourd’hui enseignée dès BAC+1, ait posé autant de difficultés à des individus aguerris en sciences.

    Cet exemple simple, parmi d’autres, montre une forme d’inertie des esprits. Lorsque notre cerveau est habitué à une forme d’objet d’étude, il nous devient parfois difficile de dévier quelque peu. Ainsi si l’on met l’accent sur un enseignement essentiellement formel et théorique, un étudiant aura du mal à « dévier » pour répondre à des questions pratiques telles que celles que vous présentez. C’est au professeur de diversifier les approches pour permettre à l’étudiant de s’en sortir. Sans cela, je ne dis pas que l’étudiant ne s’en sortira pas, mais il lui faudra plus de temps pour produire une bonne réponse.

    Je voudrais rajouter que, comme d’éminents individus tels que les pères et mères de la mécaniques quantiques ont eu tant de mal avec l’algèbre linéaire, il est de bon ton de notre côté d’être indulgent à l’égard de nos étudiants, qui eux, sont en phase d’apprentissage.

    En conclusion, pour répondre à la question, les mathématiques d’antan ne sont pas désuètes, elles sont juste de forme différente.

  3. Christophe Boilley
    juillet 5, 2015
    22h27

    Bonjour et merci pour vos questions pertinentes.

    Ma première remarque porte sur la comparaison entre les deux exercices d’antan et le problème avec Monsieur Totovitch. D’un côté, on a un exercice avec une équation et un exercice avec un calcul ne nécessitant aucune résolution algébrique. De l’autre, un problème avec une seule inconnue mais aussi une variable libre et une relation de récurrence, reposant sur un vocabulaire économique qui n’est sans doute pas familier aux étudiants. Cela dit, une fois cette distinction faite, j’estime aussi que ce problème devrait être à la portée d’étudiants.

    Pour répondre à la cinquième question, une méthode ne permet pas seulement de répondre à une question. Elle induit également une construction de concepts dont les étudiants ont besoin pour traiter des problèmes que la machine ne résout pas encore. Même si tous les problèmes résolus par l’esprit pouvaient in fine être traités par la machine, il me semble que cette dernière n’a pour l’instant pas fait montre de l’imagination nécessaire pour anticiper la formulation de nouveaux problèmes.