Les Sociétés Savantes face aux réformes

Tribune libre
Publié le 25 janvier 2009

Nous vivons dans une période riche en réformes, en particulier dans les domaines de l’enseignement et de la recherche. Le rôle que doivent tenir les Sociétés Savantes en de telles circonstances se pose de façon aigüe. Un consensus certain existe dans notre communauté sur le fait qu’elles doivent prendre part au débat ; mais les avis divergent ensuite très vite : réflexion ou action ? jusqu’où et avec qui ? Les écueils traditionnellement évoqués sont les suivants :

  • Les Sociétés Savantes ne sont pas des syndicats et n’ont pas à leur faire concurrence ; elles sont représentatives de l’ensemble d’une communauté et non d’une tendance particulière, a fortiori d’une ligne politique.
  • Elles ne sauraient développer d’activités à but « corporatiste » qui donneraient l’image d’une communauté arc-boutée sur des avantages acquis, et manœuvrant au détriment de l’intérêt général.

Je n’ai pas de réponse toute prête à ces questions ; mais elles ont motivé nombre de discussions passionnées au sein du Conseil d’administration de la SMF depuis un an et demi, et je vais tenter d’expliquer -de justifier ?- les choix que nous avons effectués, espérant ainsi contribuer à un débat qui intéresse nécessairement l’ensemble de notre communauté et les autres Sociétés Savantes (toutes disciplines confondues), débat qui reste à mon avis largement ouvert…

Commençons par les deux écueils évoqués. Le risque de « corporatisme » peut être amoindri en confrontant nos analyses avec celles pratiquées dans d’autres disciplines. En tout état de cause, il ne doit pas nous empêcher de considérer comme prioritaire la défense de notre discipline, mais aussi de l’ensemble des enseignants et des chercheurs qui en sont la matière vivante. L’accusation de « syndicalisme » doit nous mettre en garde contre toute réaction de type politique. Certes, « tout est politique », et trop prendre garde à ce danger nous condamnerait à l’immobilisme. Il me semble que l’écueil principal à éviter ici serait d’analyser les réformes suivant une grille de lecture politique donnée. Mais, dès lors que notre souci est le soutien des mathématiques et des mathématiciens, envisagé sans a priori, nous ne devons pas être freinés si nos analyses en recoupent éventuellement d’autres. Ces deux risques sont des gardes-fous à garder en mémoire, mais ne doivent pas nous empêcher d’agir au mieux de nos convictions.

Depuis un an et demi, la SMF a eu des types d’actions très diversifiés qui, à chaque occasion, nous ont paru être la réponse la plus pertinente et efficace. Un premier souci a été de ne pas cantonner notre réflexion au sein de la SMF, mais de la confronter aux analyses menées dans d’autres communautés. Ainsi, nous avons débattu des grandes réformes concernant l’enseignement supérieur et la recherche avec la Société Française de Physique (SFP) et la Société Française de Chimie (SFC) ; cela nous a amenés à élaborer un certain nombre de textes de référence destinés à être des contributions constructives aux débats lancés par ces réformes (ils se trouvent sur nos sites web). La confrontation de points de vues de sociétés de « colorations » différentes a fortement enrichi nos réflexions ; en particulier, le dialogue avec la SFC, très en prise avec le monde industriel, nous a permis de mieux percevoir les implications des réformes dans cette direction. La rédaction de ces textes a été le préliminaire indispensable à une deuxième phase d’actions plus concrètes : rencontre de conseillers (ministériels ou présidentiels) et entrevues avec les différentes commissions mises en place pour préparer les réformes ; nous leur avons fait part de nos inquiétudes et de nos propositions, et ce toujours en commun avec la SFP et la SFC. Les sociétés savantes ont là un rôle original et irremplaçable : leurs réseaux leurs permettent d’appréhender fidèlement les réactions de leurs adhérents ; elles ont donc aussi la possibilité de transmettre aux « décideurs » une information non biaisée et, par exemple, les alerter sur ce qui ne sera clairement pas accepté par leurs communautés. Ici, nous ne devons pas chercher à nous substituer aux scientifiques placés à un poste de décision ou de conseil dans les ministères ou dans les grands organismes : ils jouent un rôle primordial dans la défense de notre discipline ; mais nous avons une liberté de parole et un choix de moyens qu’ils n’ont pas, et nous devons les mettre à profit.

Il est difficile d’estimer l’efficacité de ce type d’actions. Certaines de nos propositions ont été reprises, parfois mot pour mot, dans les rapports finaux de certaines commissions ; nous avons donc été entendus. Mais il y a souvent loin des rapports de commissions aux lois ou décrets qu’ils sont censés préparer. J’ai cependant la conviction que nous avons le devoir d’accomplir ce travail de « lobbying » même si nous ne pouvons pas mesurer son degré de réussite : d’une part nous ne sommes pas isolés, et notre action est souvent en phase avec celles de nombreux autres acteurs, avec des « casquettes » et des moyens différents, et puis …« il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

Si nous développons collaboration et réflexion avec la SFP et la SFC sur les dossiers concernant l’enseignement supérieur et la recherche de façon générale, nous avons le même type d’interactions avec les autres sociétés de mathématiques sur les sujets qui concernent plus spécifiquement notre discipline. Ainsi, à l’automne, nos sociétés ont pu transmettre au Ministère de l’Éducation Nationale leur remarques et inquiétudes concernant la réforme des lycées. La SMF avait monté un dossier extrêmement détaillé concernant les implications de cette réforme (il est sur notre site web) ; et c’est avec une certaine amertume que nous avons constaté que ce projet a été gelé, non pas du fait des analyses que nous (et d’autres) avons développées, mais suite à la montée de la violence parmi les lycéens … Certes, ces faits peuvent nous rendre modestes quant au rôle que nous jouons ; ils doivent aussi nous faire réfléchir sur le mode de fonctionnement des politiques (notons toutefois que le travail effectué pour monter ce dossier avait pour but principal l’information de notre communauté).

Lorsqu’elle l’a jugé nécessaire, la SMF n’a pas hésité à lancer une pétition : cela fut le cas pour la demande de moratoire concernant la mastérisation des concours d’enseignants. Il est important de noter que l’ensemble des sociétés de mathématiques a soutenu cette pétition, et certaines ont aussi appelé leurs adhérents à la signer. À cette occasion, notre rôle de lien avec la communauté a été utile : en quelques jours, grâce à un appel à nos correspondants dans chaque département de mathématiques, nous avons pu faire le point sur le taux prévisible de remontées de maquettes, ce qui nous a permis d’avertir le Ministère des problèmes à venir … puissions nous avoir été entendus ! Tout récemment, nous avons également appelé nos adhérents à signer une pétition concernant le projet de décret sur le statut des universitaires, privilégiant ici une action transversale sur un sujet qui concerne toutes les disciplines universitaires.

On voit que je n’ai pas de réponse toute faite à un problème complexe, mais fondamental pour nous, puisqu’il concerne la fonction même des Sociétés Savantes. Nos guides sont d’agir avec pragmatisme et sans idéologie, en concertation avec d’autres sociétés et l’ensemble de notre communauté.

ÉCRIT PAR

Stéphane Jaffard

Professeur - université Paris Est Créteil

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    janvier 25, 2009
    11h12