Les surfaces !

Tribune libre
Écrit par Aziz El Kacimi
Publié le 14 janvier 2014

Un des buts des mathématiques est de classifier les objets dont elles font usage. Par exemple, pour les surfaces compactes, cela a été mené à bien mais au prix d’efforts considérables s’étalant sur plusieurs dizaines d’années. Leur classification topologique a été obtenue par des méthodes émanant de diverses branches des mathématiques (analyse réelle et complexe, géométrie différentielle, topologie algébrique…). Le résultat est magnifique : on sait exactement comment les fabriquer. Ainsi, après le cercle, elles sont les premiers êtres du monde topologique dont on connaît parfaitement l’organisation. Ce texte en propose une description légère, amusante… en vers !

La sphère !

Drôlement bien faite,
La petite rondelette !
Grasse mais gracieuse,
Une pierre précieuse !
Elle tourne sur elle-même,
Et c’est ce qu’elle aime !
Singulière de sa nature,
Et par sa courbure,
Elle est unique
Dans sa belle tunique !
Sa topologie simple
La rend si humble !
Mais pas toujours nantie,
Car souvent aplatie
Sous des coups de bâton
En solides de Platon !
Quand elle pique ses colères,
Elle part en guerre,
Et de son bouillon,
Naissent des tourbillons !
Alors, elle met en terreur
Tous les champs de vecteurs !
Et tout en pleurs,
Leurs courbes s’y meurent !
Elles se lamentent, souffrent
Et tombent au fond du gouffre
Pour finir sur le braséro
De cette surface de genre Zéro !

Le Tore !

Le tore, petite roue,
Figure de proue
Et merveille esthétique
Du jardin topologique !
Le souvenir que j’en ai
Est celui du beignet
Que je dégustais avec fréquence
Dans ma tendre enfance !
Mais beaucoup d’années après,
Je découvre de près,
L’héritier chimérique
Du plan numérique,
Et dont la valise,
Cache de l’analyse :
Des séries de Fourier
Dans son terrier !
Dans son atmosphère,
Point celle de la sphère,
Des champs tangents
Y demeurent constants !
Sa meilleure qualité :
Seule surface feuilletée !
Et l’objet abstrait
A meilleur attrait :
Dans toutes ses coutures,
Plate est sa courbure !
Son genre Un
En fait sacrément quelqu’un !

Le tore se tord !

Se larguant dans l’espace,
Tel un serpent, il s’enlace !
Ainsi, il peut être noué
Et drôlement floué !
Défiant toute norme,
Il respire et déforme
Sa magnifique carapace
En toute petite tasse !
Mais toujours intact,
C’est son impact !
Tout est bien rangé,
Rien n’est changé :
Sa belle topologie
Sacrant son homologie !
Ses beaux invariants
Le font si brillant !
Il est dans toute chose,
Servant toute cause
De toutes les mathématiques
Des molles aux plus dynamiques !
Un beau groupe de Lie,
D’une peau lisse et sans pli,
Et comme courbe elliptique,
Il ne manque jamais de réplique !
C’est la brique qu’on casse
Dans la fabrique des surfaces !

La surface de genre deux !

Elle est née,
De façon spontanée,
D’un beau baiser
De deux tores brisés,
Tous deux amputés,
Torturés et charcutés !
De chacun on pique
Un mignon petit disque,
Laissant deux petites bouches,
Qui se rapprochent et se touchent,
Pour n’en faire plus qu’une,
Qui leur sera commune !
Alors, d’une même envie,
Elles donnent la vie,
Et de parents paraboliques,
Naît la belle hyperbolique !
Mais elle se la ramène,
Sans être homogène !
Lisse ou pointue,
Elle est revêtue,
Choyée et parée
Du disque de Poincaré !
Son genre est Deux,
C’est peut-être peu !
Bien affirmatif,
\(\pi_1\) non commutatif !
Sa courbure négative,
La met toute chétive !
Mais comme un bel arlequin
Elle a la taille mannequin !
Alors, aurait-elle de l’aisance
À donner naissance ?

Titillée, elle se réveille !

Je suis la double-mignonne et je viens de naître,
Je ne suis pas une brebis et je n’irai pas paître !
Lentement, calmement et à petites doses,
Je vous montre que je sais faire des choses !

Je te somme,
Beau jeune homme :
Tu dois savoir,
Que tous les soirs,
Après le réfectoire
Et dans mon dortoir,
Je donne la vie
Quand j’en ai envie !
Dedans ou dehors,
Je racole un tore !
De manière osée,
Je lui colle un baiser !
Alors, tel un roi,
Naît le genre Trois !
Encore hyperbolique,
Et plus emphatique !
Et de jour en jour,
J’engendre à mon tour,
D’un geste gratis,
Le genre Quatre, Cinq, Six… !
Ainsi, sans audace,
Naissent des surfaces !

Celles qui ne savent où donner de la tête !

Les non orientables,
Sont toutes imbattables !
Habillées en dentelle,
Elles sont merveilleusement belles !
Le ruban de Möbius,
Et le slip de Möbius !
Ah ! difficile à mettre,
Sans s’y soumettre,
Et nul ne sait le porter
S’il n’est désorienté !
Fameux : le vase de Klein,
Qui n’est jamais plein !
Mignon mais livide
Et le ventre toujours vide !
Il parle : ça vous agace,
Que je ne plonge dans l’espace ?
Je suis Kleinette,
Plus belle qu’une reinette !
Et moi aussi, je sais jouer
À faire naître et renflouer,
De passe en passe,
Plein d’autres surfaces !

ÉCRIT PAR

Aziz El Kacimi

Professeur émérite - Université Polytechnique Hauts-de-France

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Commentaires

  1. Karen Brandin
    janvier 14, 2014
    12h31

    Et donc :

    « Selon que notre idée est plus ou moins obscure

    L’expression la suit, ou moins nette ou plus pure.

    Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement

    Et les mots pour le dire arrivent aisément »

    Boileau

    Si j’avais ne serait-ce qu’une infime partie de ton talent Aziz pour arpenter les surfaces et chanter les genres, c’est en vers que je te rendrais hommage mais malheureusement la muse de la poésie ne s’est pas penchée sur mon berceau 😉 ; je m’en remets à d’autres, plus habiles, pour te féliciter à grand renfort de rimes.

    Dans le même esprit, j’ai gardé un souvenir émerveillé des poèmes revisités de « Bourbaki » (pour respecter cette esprit de groupe) ; je crois sans en être pourtant certaine que l’on doit en particulier à Pierre Samuel les faire-part de mariage, de décès qui me font rire comme au premier jour.

    Il faut un tel talent et une telle compréhension, presque une telle intimité avec les objets pour les mettre ainsi en scène sans les trahir.

    Vraiment, chapeau bas !

    Il y a quelques grands poèmes désormais classiques (de Victor Hugo par exemple), d’autres plus anonymes (voir plus bas)
    qui sont venus ou viennent tour à tour chanter le goût des mathématiques ou la peur des mathématiques mais un recueil digne de ce nom
    serait vraiment une riche idée que nous serions nombreux sans aucun doute à accueillir avec grand plaisir.

    Nous comptons donc sur toi …

    « A un long crochet suspendu

    Un gros poisson énigmatique

    assoiffé de mathématiques

    posa une question ardue et dit :

    Pourquoi donc ai-je dû
    traiter le cas hyperbolique
    de cet énoncé fantastique
    par un raisonnement tordu ?

    Il calcula des intégrales,
    des géodésiques normales,

    en bâteau ivre, il dériva
    en (x,y) des G-fonctions,
    et, après simplifications,
    hilare et moqueur, il trouva . »

    Poème d’Avril