Vingt-et-une propositions ont été avancées dans le rapport Torossian-Villani pour « sauver » l’enseignement des maths. La communauté mathématique les a bien accueillies autant que l’avait fait la majorité des Français pour le nouveau pouvoir il y a dix-sept mois. Toutefois, même si depuis longtemps c’est la première fois qu’un tel projet est dédié spécifiquement à la discipline, les expériences du passé amènent à penser que le chemin pour le réaliser ne sera pas aussi lisse qu’on le laisse entendre. Dans le dernier numéro de la Gazette des mathématiciens (GM), Cédric Villani a été interpellé là-dessus, et sollicité de s’exprimer pour assurer du sérieux de l’entreprise et de la volonté affichée à cet effet par les hauts décideurs. Il n’a pas manqué de le faire, clairement et avec conviction et enthousiasme. Il n’y a donc, a priori, aucune raison de douter de leur détermination à mener à bien les actions qui s’imposent. Mais nous verrons, dans un avenir proche, si les choses se feront de façon concrète.
Pour y arriver, il faut une grande mobilisation de tous ceux qui sont (ou qui devraient être) sur le terrain : les professeurs des écoles, lycées et collèges, bien sûr ; mais aussi les universitaires. Malheureusement, ces derniers ne s’impliquent que très peu, et pas du tout pour la plupart. (Cela a été d’ailleurs pointé par Cédric Villani dans la GM.) Beaucoup d’entre eux considèrent que la formation (initiale ou continue) des enseignants du primaire et du secondaire n’est pas de leur ressort et n’y prennent même pas la moindre fraction de leur service statutaire d’enseignement ; ils préfèrent des cours moins prenants qui leur permettent de faire leur recherche et écrire des papiers. Dans pas mal d’universités, et plus particulièrement les « petites », ceux qui interviennent dans ces cursus sont peu nombreux, presque toujours les mêmes d’année en année, et pratiquement tous sont des maîtres de conférences, des PRAG ou des certifiés. (À titre d’exemple, à l’université où j’ai exercé jusqu’à ma retraite fin juin dernier, j’étais le seul collège A à faire ça pendant presque trente ans !) De par sa fonction, un professeur doit comprendre de lui-même que cette responsabilité lui incombe.
Le désir de grimper les échelons prime. C’est humain, mais ne viser que cela c’est faillir à une partie de son devoir et à « son sermon » (on en tient aux auditions lors des concours de recrutement). La contribution des enseignants-chercheurs, et en premier celle des professeurs, pour résoudre les problèmes que vit l’enseignement de notre discipline est indispensable. Comment alors les inciter à s’y investir, tout en leur donnant aussi la possibilité de booster leur carrière ? Il faut, d’abord et impérativement, élargir les critères d’évaluation des dossiers d’avancement et ne plus les limiter à ceux :
1. Du type « recherche », qu’on mesure souvent par la « quantité grandiose » de publications et les paramètres associés, comme le facteur d’impact par exemple (beaucoup ne jurent que par ça !), le nombre de conférences à des congrès, colloques… et d’autres encore.
2. De pure administration (direction de composante, vice-présidence…) comme le font les instances locales de presque toutes les universités.
Le premier critère doit être obligatoire à condition de prendre en compte : i) le contenu des publications et non pas leur nombre ; ii) la qualité des revues (en ce moment elles abondent et on voit du tout et du n’importe quoi) ; iii) le cadre des conférences ; iv) la direction des thèses.
Le deuxième critère n’a aucune légitimité quand il est seul à être appliqué (ce qui arrive souvent) !
Il y a d’autres activités, aussi importantes (sinon plus) que celles susmentionnées, et qui doivent compter :
3. Investissement dans l’enseignement, production de documents pédagogiques adaptés, implication dans les formations préparant à la fonction d’enseignant, collaboration avec les collègues du primaire et du secondaire dans les établissements sous forme d’ateliers, d’activités scientifiques culturelles, de la formation continue, contact direct avec les élèves…
4. Investissement dans des organismes comme l’IREM ou des associations latérales au milieu scolaire (la Cité des géométries à Jeumont en est un exemple).
5. Mais aussi de la divulgation des mathématiques auprès du grand public ; cela facilite leur accessibilité, donne la possibilité de s’y intéresser à ceux qui n’ont pas eu la chance de les apprendre comme ils auraient peut-être souhaité le faire. C’est aussi un travail (à défaut d’être une obligation) d’universitaire.
Et puis, cette belle histoire ne devrait pas rester uniquement celle des universitaires. Ce serait bien que les chercheurs-mathématiciens en poste au CNRS la vivent aussi. Quelques-uns d’entre eux le font déjà, mais ils sont rares ; il faudrait qu’il y en ait plus ! Surtout qu’ils ont tout ce qui est requis pour agir dans ce sens : les compétences et un peu de temps pour les mettre au service de ceux qui en ont besoin. Et ils savent bien, pour être passés par là, que la recherche peut aussi commencer dans le primaire et le secondaire.
Il y a tant à faire pour sauver cet enseignement des maths qui agonise, n’est-ce pas ?
8h52
Bonjour,
une question sur le « facteur d’impact », dans son livre « Hasard et Chaos », David Ruelle mentionne à quel point le premier article énonçant le théorème de Sarkovskii « period three implies chaos » aurait pû être ignoré car publié dans une obscure revue ukrainienne de mathématiques,
quel serait son sort aujourd’hui ?
merci pour vos débats (toujours pertinents)
amicalement,
F.Desnoyer