Depuis cette semaine, je suis en grève. L’un des intérêts de la grève est de pouvoir prendre un peu de temps pour expliquer pourquoi on lutte. En l’occurrence les raisons sont multiples : le projet de « mastérisation » de la formation des enseignants, réalisé à la va-vite et qui détériore les conditions d’étude, de préparation des concours et d’entrée dans le métier des futurs enseignants ; la menace de transformation des grands établissements de recherche comme le CNRSen agence de moyen ; le projet de modification des statuts des enseignants-chercheurs qui, sous prétexte d’introduire de la flexibilité, risque de faire peser de lourdes contraintes sur la recherche comme sur l’enseignement supérieur.
Je ne vais pas détailler toutes les raisons qui me font rejeter ces réformes dans leur état actuel ; je dirai simplement que certains problèmes incontestables des universités, comme le peu de bourses et de logements étudiants et la précarité insupportable d’une trop grande part du personnel administratif, ne sont absolument pas abordés dans ce grand chantier. Pour des analyses plus fines, voir les nombreuses analyses disponibles par exemple ici ou là.
Le discours du 22
Je tiens à parler un peu ici d’un point important dans la communication du gouvernement et du Président de la République : l’évaluation. Ce dernier a en effet déclaré le 22 janvier, dans une allocution désormais célèbre dans la communauté universitaire 6Voir à ce sujet cette
vidéo de réponse. : « Franchement, la recherche sans évaluation, cela pose un problème. D’ailleurs toute activité sans évaluation pose un problème. C’est le Conseil National de Universités, organe indépendant des universités, qui conduira cette évaluation. Ecoutez, c’est consternant mais ce sera la première fois qu’une telle évaluation sera conduite dans nos universités, la première. En 2009. Franchement, on est un grand pays moderne, c’est la première fois. Inutile de dire que je soutiens totalement l’action de Valérie PECRESSE. Dans leur immense majorité les enseignants chercheurs apportent leurs compétences avec un dévouement admirable à nos universités. Ils n’ont rien à redouter de cette réforme. Elle est faite pour les encourager, pas pour les décourager. Moi, je vois dans l’évaluation, la récompense de la performance. S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance. »
Une petite remarque de logique
Pour commencer, remarquons que le Président de la République dit d’une part qu’à l’heure actuelle les universitaires ne sont pas évalués, d’autre part que sans évaluation il n’y a pas de performance. Ainsi, malgré son petit discours sur la compétence et le dévouement de l’immense majorité des enseignants-chercheurs, il ressort de ses propos que les universitaires français ne seraient pas performants. Bon, de toute façon, il le redit plus clairement à un autre moment, il n’y a pas de doute sur son opinion. Je renvoie à cette analyse, en particulier la section IX, pour une discussion plus poussée sur ce point.
Sur l’évaluation
Revenons à mon propos principal : les universitaires ne seraient pas évalués régulièrement en France. Pourtant, quiconque connait un petit peu le monde de la recherche sait que l’on est évalué : à chaque article, par un à trois rapporteurs et un ou plusieurs éditeurs de revue ; au moment de la thèse, par au moins cinq membres du jury dont au moins deux rapporteurs ; à la qualification (qui donne le droit de postuler dans les universités) par la section du conseil national des universités (CNU) 7Voir également La qualification par le Conseil National des Universités (CNU) dont deux rapporteurs par personne ; au recrutement, par des commissions de spécialistes (remplacées maintenant par des comités d’experts, mais passons) dans chaque université où l’on postule, plus le CNRS ; à chaque demande de PEDR 8Prime d’encadrement doctoral et de recherche : une prime contingentée, de délégation CNRS 9lequel paye alors l’université pour nous remplacer en enseignement un an ou un semestre, ce qui permet de faire un peu plus de recherche., de CRCT 10Congé pour Recherche ou Conversion Thématique, permettant aux enseignants-chercheurs de convertir leurs heures d’enseignement statutaires en temps de travail pour la recherche sur une durée de six ou douze (ceci étant le maximum) mois, par période de six années en position d’activité., de financement comme les projets ANR, de promotion ; éventuellement au moment de l’habilitation à diriger des recherches, de la qualification pour les postes de professeur, et du recrutement à ce grade.
En ce qui me concerne, sans compter large et pour une carrière encore très courte (moins de six ans, en comptant à partir du début de ma thèse), en une quinzaine d’occasions un total d’au moins 45 personnes se sont penchées sur mes articles, mon CV, mes présentations de travaux passés et à venir. Je ne suis pas une exception, c’est le lot de tous mes collègues !
Les propos du Président de la République sont donc, soit la preuve d’une méconnaissance complète du système qu’il prétend remodeler, soit celle d’un profond mépris pour les universitaires. Je ne sais pas laquelle de ces deux hypothèses me glace le plus.
16h20
Voir les commentaires (24)