L’Œuvre de Jean Perrin

Tribune libre
Publié le 20 septembre 2020

L’Institut Henri Poincaré consacre une exposition à Jean Perrin, son œuvre et son héritage. Son « œuvre »… au masculin, ou bien… au féminin ?

La grammaire française permet de jouer sur l’ambigüité, « le » ou « la » devant « œuvre » devient « l’ » et le possessif reste « son » qu’« œuvre » soit féminin ou masculin… De ce fait, l’auteure de ces lignes n’a pour le moment pas encore choisi le genre donné ici au mot « œuvre ». Quant à l’affiche annonçant l’exposition, elle a opté pour le féminin, « une œuvre, un héritage »…

Non… il ne s’agit pas de parler de parité… jouons juste quelques instants avec la richesse sémantique du mot « œuvre » auquel le dictionnaire accorde les deux genres.

Une grande œuvre, une belle œuvre, se dit, d’après le dictionnaire, d’une réalisation bien définie, réalisée par un écrivain ou un scientifique, comme le livre Les Atomes, publié par Jean Perrin en 1911 pour dévoiler à ses contemporains la théorie atomiste.

Une œuvre littéraire écrite pour diffuser une œuvre scientifique qui fut couronnée en 1926 par le prix Nobel de physique accordé à Jean Perrin pour avoir mis « un terme définitif à la longue bataille concernant l’existence réelle des molécules », ainsi que l’énonça Carl Benediks le jour de la remise du prix.

En effet, pour nombre de chimistes de l’époque, les atomes étaient considérés comme un outil de description de la réalité, dépourvu d’existence réelle, une manière commode de décrire les éléments chimiques sans qu’il n’y ait de véritable fondement scientifique à cela.

Jean Perrin mena treize expériences qui, sous l’hypothèse atomiste, devaient permettre de retrouver le nombre d’Avogadro, le nombre d’atomes contenus dans douze grammes de Carbone 12. Il parvint au même résultat dans dix de ces expériences, donnant ainsi une justification scientifique à l’existence des atomes. Une œuvre décisive.

Toujours d’après le dictionnaire, « œuvre » s’emploie également au masculin, s’agissant du corpus de réalisations d’un artiste, sculpteur ou architecte. On peut parler de l’œuvre impressionnant, le grand œuvre de Jean Perrin, en écho au grand Œuvre par excellence, qui relève de l’alchimie.

Mais arrêtons-nous également sur l’œuvre de bâtisseur qu’illustre l’affiche de l’exposition en nous montrant Jean Perrin, la craie à la main, dessinant le Palais de la découverte. Son œuvre scientifique, qu’il s’agisse de son activité de chercheur ou celle de diffusion des sciences, ne fait pas l’économie du passage par le gros œuvre.

Outre le Palais de la découverte, on lui doit le bâtiment du Laboratoire de Chimie-Physique, celui-là même qui abritera l’espace muséal de la maison Poincaré et dont il ne négligeait pas de visiter le chantier, se faisant photographier, à pied d’œuvre, sur une échelle. On lui doit également le bâtiment de l’Institut de biologie physico-chimique, sans oublier que ces bâtiments incarnent la mise en œuvre (au féminin cette fois-ci) du concept de laboratoire comme lieu de rencontre et d’échange d’idées, avec cette intuition bien moderne de l’interdisciplinarité.

Le CNRS, une institution et un monument de notre paysage scientifique

Reste une dernière œuvre, à laquelle on ne sait vraiment quel genre donner, le CNRS, une institution et un monument de notre paysage scientifique. En 1938, c’était la Caisse nationale de la recherche scientifique, une CNRS, qui devient en 1939 le CNRS que nous connaissons aujourd’hui, un élément crucial de l’héritage protéiforme de Jean Perrin que l’affiche de l’exposition nous invite à venir découvrir à l’Institut Henri Poincaré.

Et n’oublions pas que, dès 2021, cette exposition sera empruntable à l’institut.

 

Crédits images

Crédits dessins : Philomène Longchamp et Constanza Rojas-Molina

ÉCRIT PAR

Clotilde Fermanian Kammerer

Professeure - Université Paris Est-Créteil Val de Marne

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