L’Oulipo a cinquante ans

Tribune libre
Écrit par Michèle Audin
Version espagnole
Publié le 11 octobre 2010

L’Oulipo, Ou(vroir de)li(ttérature)po(tentielle), fête cet automne ses cinquante ans. Ce qui en fait peut-être le groupe d’écrivains ayant eu la vie la plus longue de toute l’histoire. Cet anniversaire est fêté, notamment, à Rennes, à la médiathèque les Champs libres, regardez le programme des prochains jours ici.

Oulipo. Kéceci? Kécela?

On peut aller cliquer sur le Kéceci, kécela du site de l’Oulipo. Voici un résumé de la chose, dû à Georges Perec et reproduit au début du joli petit livre Anthologie de l’Oulipo 7Paru dans la collection Poésie chez Gallimard en 2009 et dont on voit ici la couverture, dessinée par Étienne Lécroart et Aline Calendreau. , qui explique ce que sont les «travaux pratiques» de l’Oulipo:

On verra que ces manipulations élémentaires ne sont pas sans rappeler les opérations qu’un mathématicien fait subir à un triangle, fût-il tout à fait quelconque, en vue d’en explorer les propriétés.

Comme la mention du triangle l’indique, les mathématiques ne sont pas loin. Elles sont même au cœur de la chose: les présidents-fondateurs de l’Oulipo, François Le Lionnais et Raymond Queneau, étaient tous deux d’authentiques amateurs de mathématiques 8et même un peu plus

dans le cas de François Le Lionnais, par son livre (écrit avec Jean Brette) les Nombres remarquables et surtout par le passionnant panorama les Grands courants de la pensée mathématique, paru en 1947, une tentative unique jamais renouvelée,

dans le cas de Raymond Queneau, qui était membre de la Société mathématique de France et qui fréquentait beaucoup de mathématiciens, jusqu’à l’écriture d’un article, Sur les suites s-additives, publié par une revue spécialisée.
et les mathématiques et leur utilisation sont inscrites dans les différents manifestes ayant marqué les débuts de l’Oulipo, en 1960. Parmi les membres-fondateurs de l’Oulipo, il y avait aussi un «vrai» mathématicien (ce n’est pas un jugement de valeur, c’est au sens précis où il était payé pour faire des mathématiques), Claude Berge, un théoricien des graphes.

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Le graphe (que j’ai dessiné ici comme un hexagone) est celui qui structure Un conte à votre façon, de Raymond Queneau 9que l’on trouve dans l’Anthologie..

Contraintes. L’Oulipo recherche des contraintes pour créer des textes littéraires. Toute la littérature satisfait à des contraintes, strictement comme dans le cas des sonnets, mollement comme dans celui de la règle des trois unités du théâtre classique.

On trouvera une longue liste de contraintes sur le site de l’Oulipo.

Inversement, satisfaire à une contrainte ne suffit pas à fabriquer de la littérature 10Par exemple, comme les lecteurs d’Images des mathématiques le savent bien, aller à la ligne au bout de douze syllabes et rimer

Un deux trois quat’cinq six sept huit neuf dix onz’douze

Bien compté pour ne pas se trouver dans la bouse

ça ne produit pas automatiquement de la poésie.
!

 

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Certaines de ces contraintes, pas toutes les contraintes mais beaucoup de contraintes, et parmi les plus fécondes, sont mathématiques. Par exemple, l’utilisation du «carré bi-latin orthogonal d’ordre 10» (un nom compliqué pour le joli carré coloré que l’on voit ici) pour la composition de la Vie mode d’emploi de Georges Perec.

L’Oulipo sur Images des mathématiques.

Les mathématiques de/et l’Oulipo ont déjà été évoqué(e)s plus d’une fois sur ce site, par exemple

Pour ce court billet, je me contente des quelques figures liées à ces mathématiques reproduites ici et à renvoyer à un article plus long dans lequel tout ceci est expliqué en détail.

ÉCRIT PAR

Michèle Audin

Mathématicienne et oulipienne - Université de Strasbourg et Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo)

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