Martin Hairer, médaille Fields 2014

Écrit par Étienne Ghys
Publié le 13 août 2014

Martin Hairer vient de recevoir la médaille Fields à 38 ans.

Son parcours est véritablement international.
Autrichien de naissance, il a fait ses études secondaires et universitaires à Genève.
Il est aujourd’hui professeur à Warwick, au Royaume Uni, après avoir été professeur à New York.
Il parle allemand, français et anglais.

La diversité n’est pas uniquement géographique, mais aussi thématique.
Il a soutenu une thèse en physique, sous la direction de Jean-Pierre Eckmann, à Genève en 2001.
Depuis cette époque, il a reçu un grand nombre de prix et distinctions, dont une élection à la Royal Society britannique et maintenant cette médaille prestigieuse.

La citation officielle :

Martin Hairer a contribué de façon remarquable à la théorie des équations aux dérivées partielles stochastiques, et il a en particulier créé une théorie des structures régulières pour ces équations 1Martin Hairer has made outstanding contributions to the theory of stochastic partial differential equations, and in particular created a theory of regularity structures for such equations..

Il n’est pas facile d’expliquer ses résultats en des termes élémentaires.
Je ne peux que (tenter de) décrire le contexte général de ses travaux.

Les équations différentielles et les systèmes dynamiques

On doit à Newton l’idée que les mouvements qui nous entourent sont gouvernés par des {équations différentielles}.
La physique nous permet de comprendre les forces qui agissent.
Ces forces modifient les vitesses.
Connaissant les forces, les positions et les vitesses initiales, on cherche à décrire le mouvement qui en résulte.
Mathématiquement, il s’agit de résoudre une {équation différentielle}, et cela occupe un bon nombre de mathématiciens depuis plus de trois siècles !
Dans les cas simples, ces équations différentielles sont « ordinaires », c’est-à-dire que l’inconnue est une fonction \(f(t)\) qui donne la position de l’objet étudié en fonction du temps et l’équation relie cette fonction et ses dérivées (en général du premier et du second ordre, puisqu’il s’agit souvent d’accélérations).
La théorie des systèmes dynamiques cherche à décrire le comportement des solutions \(f(t)\) quand le temps \(t\) tend vers l’infini.

Les équations aux dérivées partielles

Très souvent, l’objet qu’on étudie n’est pas limité à un point matériel et on ne peut pas le décrire avec un nombre fini de coordonnées.
Ce peut-être par exemple un rivière qui coule, sous l’influence de la gravité.
L’inconnue n’est plus alors une fonction de la seule variable temps, mais également d’autres variables, spatiales.
Dans l’exemple de la rivière, on cherche la vitesse de l’eau au point de coordonnées \((x,y,z)\) dans l’espace et au temps \(t\).
La fonction inconnue est maintenant une fonction de quatre variables \(V(x,y,z,t)\) et l’équation du mouvement relie ses diverses dérivées, à la fois temporelles et spatiales.
On parle d’{équation aux dérivées partielles}.
L’étude de ces équations est d’une richesse (et d’une complexité) infinie.
Le comportement des solutions des équations aux dérivées partielles est bien plus varié que celui des équations différentielles ordinaires et, corrélativement, leur analyse requiert des outils plus délicats et souvent fournit des résultats bien moins généraux.
Dans le cas du fluide, cette équation porte les noms de Navier et Stokes.
Près de 200 ans après leur écriture, on ne sait toujours pas si ces équations décrivent véritablement les fluides.
Déterminer si les solutions de ces équations existent bien (a fortiori savoir dans quel sens les calculs sur ordinateurs les approchent) est l’un des « sept problèmes à un million de dollars » de l’institut Clay.

Les équations différentielles stochastiques

À vrai dire, en général, on ne connaît pas très précisément les forces qui agissent et il y a souvent des termes qui peuvent sembler aléatoires.
Par exemple, on peut imaginer que le fond de la rivière n’est pas tout à fait lisse, et qu’il y a des bosses un peu partout, qu’on ne connaît bien sûr pas dans tous leurs détails.
On est donc en présence d’une équation différentielle, ou aux dérivées partielles, dont un terme est aléatoire.
Mélange d’analyse et de probabilité.
L’étude a bien entendu commencé par le cas des équations différentielles stochastiques ordinaires, c’est-à-dire dont l’inconnue est une fonction de la variable temps uniquement.
L’une des propriétés qui ont été mises en évidence est ce qu’on appelle « l’unique ergodicité ».
Sous des hypothèses extrêmement générales, lorsqu’un mobile est sujet à une force qui est la somme d’une force principale et d’une force plus petite et aléatoire, on peut trouver une loi continue de probabilité sur l’espace de configuration selon laquelle (presque toutes) les trajectoires se distribuent.
On n’observe plus qu’un unique comportement statistique, indépendamment de la condition initiale.
Cette situation est très différente de celle des équations différentielles ordinaires « habituelles », sans terme aléatoire.
En quelque sorte, le caractère aléatoire contraint la dynamique à être un peu plus prévisible que ce qu’on aurait cru…

Les équations aux dérivées partielles stochastiques

Les choses sont bien plus compliquées pour les équations aux dérivées partielles stochastiques et c’est dans ce domaine que se situe le travail de Martin Hairer.

On ne connaissait que des exemples et on avait besoin d’une théorie générale.

Avec Mattingly, on doit à Hairer la démonstration de l’unique ergodicité de l’équation de Navier-Stokes stochastique, en dimension 2.

La difficulté est infiniment plus grande que pour les équations différentielles ordinaires.

L’une des équations aux dérivées partielles stochastiques étudiées par Hairer est appelée KPZ, du nom des trois physiciens qui l’ont mise en évidence en 1986 : Kardar, Parisi et Zhang.
Cette équation décrit l’évolution de l’interface entre deux milieux.
La voici :
\[
\frac{\partial h}{\partial t} = \Delta h + (\nabla h)^2 + \eta(x,t).
\]
Ici, on repère la surface de séparation entre les deux milieux par sa hauteur \(h(x,t)\) au point \(x\) et au temps \(t\).
\(\frac{\partial h}{\partial t}\) est la dérivée par rapport au temps \(t\), décrivant l’évolution de la surface.
\(\Delta h\) est le « laplacien » qui met en jeu les dérivées secondes spatiales de \(h\).
\(\nabla n\) représente le gradient de la fonction \(h\), donc encore une fois une dérivée spatiale.
Quant à \(\eta (x,t)\), c’est le terme aléatoire, qui est dans ce cas un « bruit blanc ».
L’une des difficultés de ce genre d’équations est qu’elles sont « mal posées ».
Un bruit blanc n’est pas une fonction régulière, même pas continue, alors l’analyste doit commencer par donner un sens à ce que pourrait être une solution…

Mais on doit également à Hairer une méthode très générale qui permet d’aborder non pas des cas particuliers, mais de vastes familles de problèmes de cette nature.
Il a en particulier développé un nouveau point de vue sur ce qu’est une fonction régulière, généralisant la propriété d’approximation polynomiale vérifiée par les fonctions classiques.

Deux articles de Hairer

Martin Hairer, Jonathan C. Mattingly Ergodicity of the 2D Navier-Stokes equations with degenerate stochastic forcingAnn. of Math. (2) 164 (2006), no. 3, 993–1032

Martin Hairer A theory of regularity structures, 2014.

ÉCRIT PAR

Étienne Ghys

Directeur de recherche CNRS émérite - École normale supérieure de Lyon

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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