Maths à venir : les discours d’ouverture

Tribune libre
Publié le 14 décembre 2009

Le colloque Maths à Venir, qui s’est tenu les 1er et 2 décembre 2009, a commencé par quelques mots d’accueil de Jean-Yves Chemin, directeur de la Fondation Sciences Mathématiques, qui a ensuite introduit les premiers intervenants : les présidents de sociétés savantes de Mathématiques et le président du comité de parrainage. Ceux-ci ont prononcé des allocutions expliquant les motivations de ce colloque et présentant son déroulement ; les voici :

Jean-Yves Chemin

Allocution d’Avner Bar-Hen, Président de la Société Française de Statistique

Avner Bar-Hen

Bonjour,

C’est tout d’abord un très grand plaisir de voir aboutir cette initiative des trois principales sociétés savantes de mathématiques. 22 ans après la première édition, le périmètre des mathématiques s’est fortement accru ; les champs d’application et de recherche se sont développés et ont envahi notre quotidien ainsi que tous les secteurs d’activité.

Les mathématiques et tout particulièrement la statistique ont été profondément transformées par l’arrivée de volume de données massives. La difficulté à faire ressortir une information pertinente (dans un temps raisonnable) et le besoin de quantifier la qualité des règles proposées génère une recherche académique active dont les retombées industrielles sont importantes.

Les technologies, et pas seulement internet ou la bioinformatique, ont connues une révolution qui obligent à se poser des questions mathématiques nouvelles. Il est important de souligner l’aptitude de la statistique à passer d’une question appliquée à un formalisme mathématique puis à rendre opérationnel les modèles proposés. Seules les mathématiques sont capables de créer des ponts entre des domaines très variés.

Enfin une politique publique ne peut que s’appuyer sur une information de qualité et c’est encore un champ important des mathématiques.

A ce développement des besoins, répond une diminution des étudiants en sciences et donc à un risque de retard scientifique pour notre pays. C’était déjà la thématique de base du colloque de 1987. Il y a un besoin vital d’une communauté mathématique puissante et diverse. Ce colloque nous semble donc une excellente opportunité pour faire le point sur la situation actuelle et pour proposer des pistes pour le futur.

Je vais maintenant céder la parole à Maria Esteban, Présidente de la Société de Mathématiques appliquées et industrielles

Allocution de Maria Esteban, Présidente de la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles

Maria Esteban

Mesdames, Messieurs,

Au nom de la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles, je souhaite vous saluer et vous accueillir dans cet événement qu’est le Congrès MATHS A VENIR. Nous avons travaillé à la préparation de ce congrès depuis de longs mois, en collaboration avec les autres sociétés savantes de mathématiques et institutions co-organisatrices. Il s’agit de réaffirmer auprès du grand public et des décideurs le rôle fondamental que les mathématiques jouent dans notre société dans son ensemble.

Il est clair que les mathématiques sont le langage de l’innovation. Aucune avancée technologique ne peut se passer des mathématiques à un niveau ou un autre. L’Europe en général et la France en particulier ne pourront garder un niveau de vie élevé que par leurs avancées au niveau de l’innovation technologique. La main-d’œuvre est moins chère ailleurs, il faut donc apporter ce qui peut faire la différence : nous nous devons de rester à la pointe de la création de la connaissance, de l’innovation et du développement de techniques avancées. Ces avancées nécessitent un apport important de haute technologie et de recherche scientifique. Les mathématiques ont un rôle fondamental à y jouer. Nous devons tous en être conscients et faire le nécessaire pour qu’elles continuent à se développer de manière harmonieuse aussi bien à l’intérieur de la communauté que dans leurs relations avec la société, l’industrie, les services, etc.

Naturellement ces apports devront se faire après réflexion sur le sens qu’il faut donner au mot « progrès ».

La formation des jeunes générations doit tenir compte de tout ceci, nos jeunes doivent être préparés au mieux pour bien répondre aux défis qui les attendent. C’est pour cela que les relations entre mathématiques et enseignement sont aussi à soigner au plus haut point.

Nous sommes ici pour faire le point sur la situation, pour repérer les problèmes importants à résoudre et surtout pour trouver des chemins vers un futur meilleur pour les mathématiques et pour leur apport au progrès du pays. Merci de votre participation !

Allocution de Stéphane Jaffard, Président de la Société Mathématique de France :

Stéphane Jaffard

Pourquoi un nouveau colloque Maths a venir, et pourquoi maintenant ?

Les mathématiciens ressentent depuis longtemps la nécessité de mieux faire connaître leur discipline qui est mal aimée. Le faire est devenu aujourd’hui indispensable suite aux mutations récentes du pilotage de la recherche, dont les grandes orientations sont de plus en plus fixées par des politiques ou des décideurs. Deux exemples :

  • les domaines déclarés prioritaires par l’ANR (l’agence qui finance les projets de recherche) relèvent essentiellement d’une recherche très finalisée, dans les domaines les plus médiatisés.
  • L’affectation de postes de professeurs ou de maîtres de conférence est désormais décidée uniquement par les universités, c’est-à-dire en pratique par des présidents issus de toutes les disciplines, aidés par des conseils d’administration très amaigris, souvent dépourvus de mathématiciens. De fait, aujourd’hui, ces postes sont fréquemment réaffectés vers d’autres disciplines dont l’importance est mieux perçue. Si nous n’y prenons pas garde, il deviendra naturel de considérer que les mathématiques sont un peu moins utile que les autres sciences, et que nous sommes la « variable d’ajustement » sur laquelle on peut grignoter des crédits ou des postes.

Notre discipline se sent plus directement remise en question que les autres par ces bouleversements, car elle est certainement l’une de celles qui a le plus bénéficié d’un pilotage national, réfléchi, à long terme. Le réseau des laboratoires de mathématiques, tissé patiemment depuis 20 ans, a permis aux mathématiques de se maintenir au plus haut niveau mondial. Ce réseau est aujourd’hui menacé par une politique qui risque de favoriser le repli de la recherche sur quelques établissements dits « d’excellence ».

Les démarches menées par l’Académie des Sciences et les sociétés savantes, ont permis, marginalement, quelques inflexions dans cette politique : ainsi l’ANR augmente cette année la part de ses programmes blancs (c’est-à-dire des financements non fléchés vers ses thématiques prioritaires). Mais ce « lobbying » sera insuffisant s’il n’est pas accompagné, en amont, par un travail de fond pour mieux faire connaître notre discipline, et montrer que toute la recherche mathématique, depuis ses aspects les plus fondamentaux jusqu’à ses ultimes applications, est nécessaire, y compris pour répondre aux enjeux de la haute technologie et de l’économie.

À une époque où l’on demande à chacun de prouver sa rentabilité immédiate, où l’économique gère la société, il est devenu difficile de justifier le maintien d’une recherche gratuite, non finalisée, dont le but ultime soit l’extension de la connaissance humaine. On peut, à minima, arguer du fait que la recherche la plus abstraite et la plus désintéressée se trouve souvent, quelques années plus tard, être un outil-clef totalement inattendu dans une grande percée technologique. L’une des thèses dont nous voudrions vous convaincre dans ce colloque est que la recherche fondamentale (et en particulier la recherche mathématique) est un excellent investissement pour notre société … mais à un terme non prévisible.

Pourquoi la société a-t-elle une perception erronée des mathématiques, alors même que ses chercheurs ont le sentiment d’être les acteurs d’un domaine en pleine explosion, et plus que jamais indispensable aux autres sciences et à la technologie ?

A mon avis, une des clefs de la réponse est dans la main des media ; leurs difficiles relations avec les mathématiques tiennent beaucoup à la nature de notre discipline : il nous est quasi-impossible d’expliquer les enjeux qui se cachent derrière les problèmes internes aux mathématiques, faute de pouvoir mettre en avant des réalisations pratiques spectaculaires, dont l’intérêt soit directement perceptible (contrairement aux sciences expérimentales). Discipline « en amont », les mathématiques, même si elles sont indispensables dans certaines réalisations technologiques, apparaissent souvent comme une brique dans un ensemble plus vaste ; Il est très difficile pour les médias de rendre compte des grandes percées, beaucoup moins sensationnelles que pour les autres sciences. Loin de nous lamenter sur l’incompréhension dont nous faisons l’objet, il y a là pour nous un défi à relever, pour mieux faire connaître et comprendre la pertinence et l’importance de ces avancées.

Allocution de Philippe Camus Président du comité de parrainage du colloque Maths à Venir

Philippe Camus

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

J’ai l’honneur et le plaisir d’ouvrir les travaux du colloque Math A Venir 2009.

Votre présence, nombreuse, démontre la vitalité de la communauté des mathématiciennes et mathématiciens français et de l’intérêt qu’elle soulève car nous avons le plaisir d’avoir de nombreux participants qui ne viennent pas directement de la sphère mathématique.

Ces deux journées de colloque sont l’aboutissement de travaux préparatoires qui ont duré deux ans, mobilisant de nombreuses équipes d’enseignement et/ou de recherche travaillant au sein d’ateliers comprenant parfois des représentants des entreprises ou d’autres disciplines académiques.

L’Etat ne s’y est pas trompé puisque ce colloque est placé sous le haut parrainage du Premier Ministre et du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. L’Etat manifeste ainsi tout l’intérêt qu’il porte à nos travaux

et à l’avenir des Mathématiques, des Mathématiciennes et des Mathématiciens au sein de la Nation. L’initiative du colloque Math A Venir 2009 revient à trois sociétés savantes :

  • La Société Française de Statistique (SFdS)
  • La Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI)
  • La Société Mathématique de France (SMF)

Les coorganisateurs sont

  • La Fondation des Sciences Mathématiques de Paris
  • L’Institut des Sciences Mathématiques et de leurs Interactions du CNRS.
  • L’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHÉS)
  • L’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique (INRIA).

Avec le soutien de :

  • L’Association « Femmes et Mathématiques »

Des grandes entreprises se sont également mobilisées apportant leur contribution aux réflexions ou leur soutien financier. Il s’agit de :

  • Alcatel-Lucent, Areva, la Caisse des Dépôts, le Crédit Agricole, EADS, EDF, Faurecia, Schlumberger et SFR. Une mention spéciale également pour LCI. Vous constaterez comme moi que l’intérêt soulevé par l’avenir des mathématiques est grand et que la mobilisation est profonde et puissante. C’est que les Mathématiques sont importantes, irriguent la vie de la société et sont stratégiques. La plupart des objets ou services de la vie quotidienne n’existeraient pas sans les mathématiques. Le téléphone portable, la dépollution des eaux usées, les avions de ligne, internet et ses moteurs de recherche, les prévisions météorologiques, le scanner médical, les produits des banques, les fibres optiques, les cartes de crédit. Réciproquement nombre de travaux de mathématiques viennent en réponses aux besoins de l’Industrie On a parlé de l’efficacité déraisonnable des mathématiques, mais on est bien forcé de constater cette efficacité, gage du maintien de notre compétitivité entre autres. On s’est aussi étonné de la cohérence de l’édifice mathématique, de son caractère non contradictoire, mais c’est l’honneur de l’esprit humain d’avoir réussi ce tour de force qui doit être poursuivi . Pourquoi ce colloque, ces Etats Généraux peut-on dire, maintenant en 2009 ?

La première édition de MATHS A VENIR remonte à 1987. A cette époque, la communauté des Mathématiciennes et Mathématiciens français s’interrogeait sur nombre de questions concernant leur profession et leur discipline :

  • le décalage entre la réalité des Mathématiques et l’image que s’en font nos concitoyens ;
  • la pénurie inquiétante de mathématiciens de toutes catégories (chercheurs, ingénieurs, professeurs de lycées et de collèges) avec à peine 10% des chercheurs ayant moins de 35 ans ;
  • l’organisation du système d’éducation et la place des mathématiques dans le système
  • le petit nombre de chercheurs en mathématiques au CNRS (219 sur 10 000)
  • l’attraction des centres mathématiques américains

Tout cela justifiait parfaitement l’appel de Jean-François Mela, Président de la Société Mathématique de France, dans son allocution d’ouverture du colloque de 1987 : « Serons-nous encore présents, à la place qui nous revient, dans 25 ans d’ici ? »

Nous sommes aujourd’hui, 22 ans plus tard.

La bonne nouvelle est qu’il y a toujours des Mathématiciennes et des Mathématiciens Français et que l’Ecole Française de Mathématiques est toujours au tout premier rang mondial.

Mais un certain nombre de questions soulevées en 1987 demeurent, ou plus précisément, on peut se demander si les effets très positifs du Colloque de 1987, perceptibles jusqu’en 1996, ne se sont un peu estompés depuis lors.

  • Nous constatons une certaine désaffection vis-à-vis des études scientifiques. Certes il y a plus de chercheurs, et plus de moyens qu’en 1987, mais les besoins de la société sont aujourd’hui considérables et se sont élargis à des domaines peu développés en 1987. Je pense en particulier à l’informatique, aux sciences du vivant et à l’économie.
  • L’image des Mathématiques reste toujours un peu la même. Plus repoussantes-car elles restent un instrument de sélection-que séduisantes -car elles sont un domaine de connaissance-, les Mathématiques sont assez facilement prises à partie par l’opinion publique. Le rôle des mathématiques financières dans la crise économique mondiale actuelle a donné lieu à des prises de position tonitruantes même si, dans ce cas, je pense, comme Stéphane Jaffard, que, si certains mathématiciens financiers ont fait preuve d’une certaine irresponsabilité, les fautes sont partagées entre les différents acteurs, y compris, soit dit en passant, par les autorités financières et politiques, pourtant en charge du contrôle et de la sécurité du système financier. Il y a là matière à réflexion sur le bon usage des mathématiques et leur finalité morale.

Quelles sont les questions d’aujourd’hui qui motivent la tenue de ce colloque extraordinaire ? Je vous répondrais avec mon expérience de dirigeant d’entreprise et ma formation de physicien et de mathématicien (j’ai eu la chance de suivre les cours de DEA d’Analyse Numérique de Jacques-Louis Lions à l’Institut Henri Poincaré).

L’accélération de la pression concurrentielle dans la plupart des secteurs économiques, se caractérise par des rattrapages de plus en plus rapides des écarts de recherche et d’innovation entre acteurs d’un même segment. Dans ce contexte, l’innovation déterminante, celle qui va apporter une vraie différentiation, est très dépendante des méthodes et résultats de la recherche scientifique. Les mathématiques jouent un rôle essentiel dans l’évolution de ces méthodes. Le lien entre innovation, science et mathématiques se resserre pour répondre à des besoins de développements plus rapides. Cette interdépendance est particulièrement forte là où l’innovation a les conséquences sociales les plus marquées. Les développements dans les domaines des biotechnologies, de la communication, de l’environnement ou de l’énergie renforcent encore ce rôle. La recherche fondamentale y joue un rôle prépondérant, sa composante mathématique y tient une place particulièrement importante. Cependant, quelques défis structurels demandent à être résolus.

  • Les pressions économiques et concurrentielles se rejoignent pour que les activités de recherche et développement se concentrent sur des projets de plus en plus étroitement définis, limitant les champs d’investigation scientifique.
  • De même la tendance à l’externalisation de la R&D s’accélère impliquant une recherche en réseau et non en silos.
  • Le potentiel des mathématiques à apporter des innovations est également impacte par la formidable croissance des capacités de calcul aujourd’hui disponibles. Réciproquement ce sont des calculs avec des nombres premiers qui permettent de tester le bon fonctionnement des microprocesseurs. Mais il en va de la recherche appliquée comme de toutes nos activités électroniques : traiter plus d’information demande plus de temps, plus d’outils, de meilleures méthodes afin de transformer cette information brute en connaissance exploitable. Il faut donc plus de mathématiques.

« Organiser l’information mondiale, la rendre universellement accessible intelligible et exploitable », pour reprendre le « mission statement » de Google, est une entreprise essentiellement mathématique. Nos systèmes économiques, informatiques et financiers sont totalement dépendants de cœurs mathématiques de plus en plus importants et sophistiqués. Il est significatif que les plus grosses entreprises mondiales en capitalisation (Petrochina, Exxon, Industrial & Commercial Bank of China, China Mobile, Microsoft, Petrobras, BP), comme les françaises (Total, EDF, GDF-Suez, Sanofi-Aventis, BNP Paribas) appartiennent toutes, à des secteurs d’activités dont la R&D est hautement dépendante des mathématiques. , Même Wal Mart au 6ème rang consacre maintenant de gros moyens scientifiques a l’analyse fine du comportement de ses clients ce qui est une des applications de plus en plus étendues de la statistique au sens le plus pur du terme. Il en est de même pour les secteurs qui mobilisent le plus de capital-risque. Dans le domaine des biotechnologies ou du médical par exemple, la progression exponentielle du recueil de données concernant l’observation des comportements des molécules et des cellules conduit actuellement à une vraie révolution technologique : la meilleure analyse quantitative de mécanismes biophysiques ou biochimiques accélère le rythme d’innovation dans la production de nouveaux matériaux biologiques (Comme cette peau artificielle pouvant être greffée aux grands brûlés annoncée il y a quelques jours). Enfin, les mathématiques constituent un langage universel pour les modèles ou processus d’analyse, d’optimisation et de contrôle. La communication des progrès scientifiques a connu une accélération fulgurante avec Internet. Les travaux les plus réservés sont maintenant « chroniqués », sans être pour autant compris. Il s’en suit une pression du corps social qui demande à être « informé », rassuré, protégé. On observe simultanément, l’exigence des consommateurs pour plus de qualité et plus de sécurité. Cela demande des progrès significatifs dans les méthodes de modélisation et de validation de plus en plus complexes qui ne peuvent se faire sans les mathématiques. Les Mathématiques sont contingentes du principe de précaution maintenant inscrit dans la Constitution. Je préfère que ce principe, pourtant contestable, soit géré par des scientifiques et non par des juges. C’est ainsi un paradoxe français que de devoir faire face à une sorte de consensus trouvant qu’on accorde trop d’importance à la filière mathématique/scientifique, alors que le besoin de la société en mathématiciens est croissant.

Voila pourquoi je suis profondément convaincu que développer les mathématiques est une priorité , qu’il faut entretenir notre potentiel scientifique et que cela passe par de multiples actions, en particulier la fluidification des transferts de connaissances et la fertilisation croisée entre l’Enseignement, la Recherche et les Entreprises dans le respect des objectifs et des compétences de chacun. Il en va de notre modèle de société et de notre positionnement global dans le concert des nations. Voila pourquoi je suis là devant vous ce matin …

Notre programme de travail pendant les deux jours qui viennent comprend cinq conférences, cinq tables rondes, un débat entre lycéen-e-s et mathématicien-e-s et deux expositions le tout fort heureusement entrecoupé des déjeuners, d’un pot ce soir et d’une bonne nuit entre les deux jours !

Cette matinée sera consacrée à deux conférences plénières sur deux sujets qui illustrent assez bien les nouvelles tendances des Mathématiques.

Etienne Ghys nous parlera du chaos en mathématiques. Je précise que chaos s’écrit C H A O S et non pas K O comme on aurait pu le penser il y a un an en pleine crise financière.

Corinna Cortes nous mènera sur le chemin des méthodes d’apprentissage et de classifications utilisant les travaux mathématiques relatifs aux « support vector machines » et aux « rational kernels », méthodes essentielles dans le traitement de l’information et au cœur des algorithmes des moteurs de recherche.

Cette après –midi commencera par deux tables rondes en parallèle. L’une sur « Maths et Industrie » s’attachera à dégager des propositions pour renforcer les partenariats entre l’Industrie et la Recherche en Mathématiques. Traditionnellement, l’Industrie et les Mathématiques font bon ménage. L’interaction est forte. De nouvelles mathématiques sont créées pour répondre aux questions posées par l’industrie, et réciproquement de nouveaux produits naissent des mathématiques, en direct ou par l’intermédiaire de la technologie.

Une autre table ronde « Maths et Science contemporaine » traitera la question « Comment de nouvelles avancées scientifiques stimulent-elles la recherche en mathématiques ? »

Les mathématiques sont très certainement le langage commun — la lingua franca — des disciplines scientifiques, en ce sens qu’elles permettent le transfert d’information d’une discipline scientifique à l’autre. Elles sont aussi à la base du raisonnement humain, en quelque sorte l’alpha et l’omega de la pensée humaine. Les liens avec la physique sont connus et anciens. Newton et le calcul différentiel, la relativité générale et les tenseurs, la mécanique quantique et les probabilités. Physique et Mathématiques progressent en se stimulant l’une et l’autre. Je prendrai deux exemples de disciplines scientifiques dont les liens avec les mathématiques ont changé récemment de nature :

  • les neurosciences qui feront également l’objet d’un exposé d’Olivier Faugeras en fin d’après-midi après la table ronde,
  • l’informatique quantique à la frontière de la mécanique quantique et du calcul numérique. Ce dernier point m’est plus familier. Alcatel-Lucent c’est aussi les célèbres Laboratoires Bell (1000 chercheurs, essentiellement des PhD) et nous travaillons d’arrache-pied sur la mise au point du transistor quantique, par référence au transistor classique mis au point par les Bell Labs en 1947.

Maths et science contemporaine avancent de concert. L’interdisciplinarité est un des mots clés de notre avenir scientifique. La communauté mathématique sera au centre de ces nouveaux développements.

La journée de demain débutera par une conférence plénière de Wendelin Werner sur « bruit blanc, bruit noir » Il s’agira d’illustrer à l’aide d’exemples visuels, quelques phénomènes surprenants qui peuvent apparaître lorsque l’on cherche à donner un sens à l’idée de répartir de l’aléa « continument ». Bref le hasard ne veut pas dire désordre, si j’essaye de traduire dans mon vocabulaire et cela ouvre des perspectives très intéressantes.

Le reste de la matinée sera consacré à deux tables rondes en parallèle.

L’une « Maths et Société » se penchera sur la place des Mathématiques dans la société avec des réponses à des questions comme :

  • Comment améliorer l’image des Mathématiques, des Mathématiciennes et des Mathématiciens auprès de l’opinion publique et des décideurs politiques ou économiques ?
  • Comment montrer que les mathématiques font partie de la culture ?
  • Les mathématicien-e-s ont-ils de nouvelles responsabilités ?
  • La mise en cause des mathématiques financières dans la genèse de la crise financière et économique de 2008 est elle un épisode sans lendemain ou doit-on, au contraire, la saisir comme une opportunité pour élargir le débat ?
  • Quelle est la responsabilité sociale des mathématiciens ?
  • Un code éthique des mathématiques devrait-il voir le jour ?

L’autre table ronde de la matinée de demain intitulée « Formation par les Maths, métier des maths » abordera de très nombreuses questions comme :

  • Comment faire évoluer l’enseignement des Mathématiques ?
  • Quels nouveaux métiers pour les diplômé(e)s en mathématiques ?
  • Quelle culture mathématique de base pour le citoyen ?
  • Comment faire aimer les maths ? Comment aider les filles à trouver leur place dans les carrières scientifiques ? Comment aider les enfants des milieux socialement défavorisés ?
  • Que peut apporter un mathématicien ou un ingénieur mathématicien, ou, plus généralement, une formation en mathématiques, dans une entreprise ?
  • Comment avoir une formation en mathématiques tout au long de la vie, (pour les enseignants, les scientifiques,…) ?
  • Les mathématiques vues comme discipline de sélection et/ou de formation de l’esprit : qu’en penser ? Que répondre ?

Toutes ces questions sont au cœur de notre problématique. On estime qu’il y a près de 100 000 mathématiciens dans le monde qui consacrent l’essentiel de leur temps à la recherche. Les Français sont au nombre de 6 000, dont 2 000 environ dans des entreprises. Cela semble peu mais c’est beaucoup plus qu’en 1987. Les mathématiciens restent très fortement liés à l’enseignement supérieur (90%) sur les 4 000 du secteur public, et 355 sont au CNRS (soit 3,1% des chercheurs du CNRS) ce qui est mieux là aussi qu’en 1987.

Mais la courbe démographique présente des signes inquiétants. 14% des enseignants-chercheurs ont moins de 35 ans (environ 10% en 1987) ; 41% des professeurs et 26% des Maîtres de conférences partent à la retraite dans les 10 ans. Du côté des entrants ce n’est pas beaucoup mieux. Nous stagnons à 2100 étudiants en dernière année de Master (à Bac +5 depuis la célèbre loi LMD). Quand on intègre les écoles (je n’utilise pas le mot “grandes” car cette notion recouvre aujourd’hui des situations très différentes), on observe une stagnation des études scientifiques depuis le début du 21e siècle. Si l’on ajoute à cela, l’attrait considérable exercé par les mathématiques financières, qui vampirisent des pourcentages importants des promotions (Louis Gallois, président exécutif d’EADS cite le chiffre de 25% d’une promotion de Polytechnique), on voit que la question de l’attrait des études mathématiques, de la recherche en Mathématiques, et des débouchés en dehors de la sphère financière se pose avec beaucoup d’acuité. Si nous n’agissons pas, nous aurons d’énormes difficultés à maintenir le potentiel scientifique et technologique du pays. Dans le monde global où nous vivons, je puis vous assurer, en tant qu’industriel, que les conséquences économiques, sociales, culturelles et stratégiques seront considérables et si j’ose ce mot dans cette enceinte : incalculables.

L’après-midi de demain s’ouvrira sur un exposé en séance plénière de Pierre-Louis Lions sur « analyses, modèles et simulations » Cet exposé aura pour objectif d’illustrer l’omniprésence des mathématiques dans la vie « courante » à travers ce que l’on appelle les simulations numériques c’est-à-dire des calculs faits sur ordinateur pour prédire ou comprendre le comportement d’objets souvent complexes.

La deuxième partie de l’après-midi de demain comportera une table ronde sur « les mathématiques, ressource stratégique pour l’avenir » qui tentera de répondre aux questions suivantes :

  • En quoi les Mathématiques sont elles au cœur des grands enjeux économiques et sociaux ?
  • Pourquoi faut-il favoriser leur développement ? On pourrait formuler la question de façon plus sommaire « les maths ça sert à quoi ? ».

L’homme a toujours cherché à comprendre le monde qui l’entoure. Les mathématiques ont probablement été inventées avant l’écriture, car nécessaires à des échanges de base. L’étude du ciel a été également l’une des grandes sources de problèmes de mathématiques pour les Anciens. L’homme a toujours vécu avec et grâce aux mathématiques. Les mathématiques sont réputées pour être le fleuron de la recherche française. Pourtant, on entend trop peu parler d’elles et, quand c’est le cas, pas toujours en bien. Cette table ronde rassemblera des mathématiciens et des industriels, et confrontera leurs points de vue, notamment sur des thèmes d’actualité. Elle sera l’occasion de faire le point sur les diverses idées vraies ou fausses qui circulent au sujet des mathématiques, de débattre de leur rôle comme ressource stratégique pour l’ensemble des activités sociales, économiques et industrielles, et de proposer des initiatives susceptibles de renforcer les échanges bénéfiques entre la communauté mathématique, les autres sciences, l’industrie, et la société en général. En parallèle se tiendra un débat entre lycéen-e-s et mathématicien-e-s sur « bonheur et frustration pendant les cours de mathématiques ».Tout un programme ! Mais il est essentiel de réfléchir ensemble à la formation mathématique dans les Lycées.

En fin d’après-midi demain, nous tirerons ensemble les conclusions des travaux du colloque Math A Venir 2009.

Le programme est donc dense. Les débats seront sûrement passionnants et animés Je souhaite à tous, deux très bonnes journées.

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Crédits images

Crédit photos : Pierre Kitmacher – UPMC

ÉCRIT PAR

Stéphane Jaffard

Professeur - université Paris Est Créteil

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Commentaires

  1. Secretariat de rédaction
    décembre 14, 2009
    12h23