Maths en refuge !

Tribune libre
Écrit par Jacques Istas
Publié le 14 janvier 2009

l y a un an, je me faisais un week-end de remise à niveau en cartographie/GPS avant de partir en terre de Baffin. Vérifications classiques sur la boussole, les différents pôles Nord, le fonctionnement du GPS (au fait, quel est le nombre minimal de satellites qu’il faut capter pour que le GPS fonctionne ?) et les systèmes de cartes. Jean-Ro, un copain moniteur d’escalade, accompagnateur en montagne, et fâché avec les maths depuis la 6ème, me demande pourquoi il n’existe pas de carte « parfaite ». Damned, il me faut répondre avec les moyens du bord !

Jean-Ro fait de la course d’orientation de nuit, je compte sur lui pour ne pas perdre le Nord en Baffin, donc pas de problèmes, il sait ce qu’est une carte ! La carte « parfaite », pour nous, ce sera une carte qui donne la vraie distance entre deux points quelconques. Jean-Ro n’ayant pas fait plus de grec que moi, j’évite soigneusement le mot « isométrie ».

La courbure ! Dans tout vrai refuge qui se respecte, on trouve toujours une vieille casserole toute cabossée. « Ben, tu vois, quand elle était neuve, le fond était plat : pas de courbure ! La, elle est toute cabossée, et y a pas deux bosses pareilles ! ». Et hop, la courbure est donc une notion locale.

Moment d’angoisse : comment faire passer le théorème de Gauss avec ma casserole ? Je finis par le convaincre que la déformation du fond de la casserole n’a pas respecté la distance initiale (les bords de la casserole sont nickels et donnent donc la distance initiale du fond.). Arrive le moment de l’argument d’autorité : « la courbure est conservée ; quand on fait une bosse, la distance ne peut pas être conservée. Une région terrestre, on ne peut pas l’aplanir en conservant les distances, donc pas de cartes parfaites ».

Mouais, vraiment convaincu le Jean-Ro ?

ÉCRIT PAR

Jacques Istas

Professeur - Laboratoire Jean Kuntzmann, Université de Grenoble

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Commentaires

  1. Thierry Barbot
    janvier 14, 2009
    13h56

    Tu peux aussi essayer de le convaincre en comparant l’aire des disques sur la sphère – pardon, la casserole – et sur le plan – pardon, la carte, sans besoin de la courbure ! Et sans faire de calcul : l’aire du disque de rayon r=π/2 sur le plan est notoirement πr2 alors que dans la sphère, c’est la moitié de l’aire de toute la sphère, c’est-à-dire 2π…

  2. Damien Gaboriau
    janvier 15, 2009
    15h12

    Le commentaire de Thierry pourra convaincre Jean-Ro qu’il n’y a pas de carte parfaite de l’hémisphère nord. Il pourrait aussi comparer la « vraie » longueur de l’équateur 2 pi R (où R est le rayon terrestre) et sa longueur sur la carte (à l’échelle 1 !!) 2 pi x (pi R/2) (c’est le cercle de centre le pôle nord et de rayon pi R/2 égal au quart du rayon terrestre). Bon, en plus, l’équateur est une géodésique. Et deux points opposés sont reliés au plus court par des courbes sur l’équateur et aussi par une courbe « méridienne » qui passe par le pôle nord.
    Sur la carte, ces chemins n’ont pas la même longueur !
    Donc pas moyen, à grande échelle…

    Mais même localement, dans ses chères montagnes….

    Et si on essayait de cartographier parfaitement, à l’échelle 1, un sommet pointu (comme le sommet d’une pyramide à base triangulaire) dont les faces sont formées de 3 triangles équilatéraux, bien plats et « identiques » ?

    Alors on le fabrique ce sommet, avec papier et ciseaux ou canif (dans un refuge, on doit bien avoir un canif et un morceau de papier un peu épais — au pire, on sera amené, pour les besoins de la science, à sacrifier une carte imparfaite —).
    Jean-Ro devrait se laisser convaincre qu’une carte parfaite de chacune des faces « est » forcément la face elle-même (on joue bien à « ni oui ni isométrie » ?).
    Ensuite, puisqu’une restriction de carte parfaite est parfaite, avec ses trois morceaux triangulaires, Jean-Ro sera invité à tenter de les réunir en une carte parfaite du voisinage du sommet. Il devra forcément ajuster des bords de triangles et il va avoir un gros problème le long de la dernière arête.

    Tu nous diras s’il a fini par être convaincu ?