Deux « problèmes » simples
Tante Sonia a 6 bonbons et décide de les donner à ses deux nièces, Rocío et Marie. Mais chacune d’elles invite d’abord un ami, puis deux autres, et elles leur donnent leurs bonbons. Combien de bonbons correspondent à chacun d’entre eux si les bonbons sont répartis équitablement ?
Un autre jour, tante Sonia a encore 6 bonbons et les donne équitablement à ses deux nièces. Mais en plus, elle leur précise que pour chacun de ces bombons elles en trouveraient deux autres sur leur table de chevet. Combien de bonbons chacune a-t-elle reçus ?
La solution
Très probablement, ceux qui font le calcul pour les deux situations se ramèneront à jouer avec
Cependant, pour ceux qui font le calcul pour la première situation, il sera clair que l’expression (1+2) doit diviser le reste (car les bonbons sont divisés), et ils arriveront alors à la valeur 1. D’autre part, ceux qui font le calcul pour la deuxième situation considéreront cette expression comme un facteur multiplicatif (car chaque bonbon en engendre en fait trois), et arriveront à la valeur 9.
La « controverse »
Maintenant, si l’on se prend au calcul de
sans clarifier aucun contexte antérieur, alors quelle valeur lui attribuer ? Ce n’est pas complètement clair, car l’écriture est un peu ambiguë. En fait, ceci est devenu une polémique sur les réseaux sociaux il y a quelques années, et elle est même apparue dans d’importants médias de presse, par exemple ici.
Le soulagement
Il faut insister en ce que ceci n’est pas une ’’vraie’’ question mathématique, mais plutôt un problème d’écriture et de communication. Les mathématiques sont liées à un contexte, qui peut être théorique ou pratique, et dans un tel contexte (comme ceux des situations de bonbons que tante Sonia donne) on voit clairement quelle opération doit être effectuée. Sans contexte, on peut tomber dans une ambiguïté dérivée de la notation. Même de différentes calculatrices peuvent donner des résultats différents. Le calcul échoue-t-il alors ? Certainement pas : il n’y a qu’une syntaxe bâclée.Détacher la mathématique de son contexte et la transformer en une série de recettes d’opération nous conduit à ces faux dilemmes, à focaliser cette science sur des aspects techniques qui n’ont rien à voir avec la compréhension du monde. « Les mathématiques ne consistent pas à calculer, mais à comprendre », disait William Thurston (récompensé en 1982 de la Médaille Fields). Et bien, Rocío et Marie comprennent parfaitement ce qu’elles doivent faire dans chacune des situations dans lesquelles on leur donne des bonbons, et elles n’ont pas à se tourmenter avec des discussions plates sur la valeur de l’expression 6/2(1+2).
Arrêtons de tourmenter les gens avec ces pseudo-discussions mathématiques et concentrons-nous plutôt sur la véritable profondeur de cette belle science.
12h38
Bonjour,
La réponse semble ambiguë si l’on ne donne pas les règles de priorité dans l’ordre des calculs.
Si l’on applique les règles de calcul en vigueur en informatique, la formule 6/2(1+2) vaut 9.
La division et la multiplication ayant la même priorité dans l’ordre des calculs, on doit les calculer dans l’ordre rencontré. On calcule donc 6/2 puis on multiplie le résultat par 1+2.
18h09
Hum…
Votre commentaire me semble être précisément de ceux qui alimentaient les polémiques :-).
« les règles de calcul en vigueur en informatique »
Expérience vécue : deux élèves avec deux calculatrices ayant exactement sur l’écran le même 1/2PI et une calculatrice donne 0.159… et l’autre donne 1,570… car l’une fait 1/(2*PI) et l’autre fait (1/2)*PI…
Règle en vigueur ?
Vraiment ?
Mon fils aîné vient de m’expliquer cela en de très beaux termes de lexèmes, graphèmes, analyseur lexical et syntaxique : très clair !
18h21
@ monsieur Navas :
« syntaxe bâclée »
Oui 🙂
« Arrêtons de tourmenter les gens avec ces pseudo-discussions mathématiques et concentrons-nous plutôt sur la véritable profondeur de cette belle science »
J’en avais une, de pseudo-discussion mathématique qui me tourmentait.
1+2+3+4+…=?
Ce document (lien pour la vidéo complète), parmi l’immense bêtisier, dans lequel, mais oui, on peut écrire à la fois qu’un nombre z doit avoir une partie réelle supérieure à 1 et qu’il est par ailleurs égal à −1.
Document joint : https://images.math.cnrs.fr/wp-content/uploads/2024/07/1-2-3-4.png
23h34
Bonjour,
Je ne suis pas tellement d’accord avec l’article qui semble négliger l’importance du symbolisme et de la notation en Mathématiques. Le point a été développé par Michel Serfati dans « La révolution symbolique » (éd Petra)
D’une manière générale, dire que les Mathématiques ne sont pas affaire de calcul me parait dangereux. D’abord parce que dire que l’objectif est de « comprendre » ne signifie rien de propre aux Mathématiques. La phrase de William Thurston « Les mathématiques ne consistent pas à calculer, mais à comprendre » me parait donc assez floue. On doit comprendre dans toutes les disciplines.
Ensuite, car cela sépare la vie du mathématicien chercheur de celle des utilisateurs des Mathématiques : techniciens, ingénieurs, professionnels divers qui voient les Mathématiques comme une discipline où, comme en classe, on doit essentiellement : calculer, démontrer et modéliser. (Je sais que la modélisation ne fait pas partie strictement des Mathématiques pures, mais elle appartient au champ de l’application des Mathématiques). De plus, depuis la correspondance de Curry-Howard, nous savons que calculer et démontrer sont essentiellement la même chose, aussi il est dangereux de dévaloriser le rôle du calcul.
Sur la nécessité de ne pas séparer le mathématicien chercheur des utilisateurs des Mathématiques, je crois que pour s’en convaincre, il suffit de voir les efforts entrepris aujourd’hui et notamment en France, pour prétendre que les Mathématiques ne font pas partie de la culture commune, mais sont affaire de spécialistes.
Je pense qu’il faut dire que, bien que tout cela soit aujourd’hui assisté par l’outil informatique, le calcul joue un rôle essentiel en Mathématiques et que les notations symboliques utilisées sont importantes pour l’efficacité du raisonnement. En gros, faire des Mathématiques c’est faire des calculs généralisés (lire : des démonstrations), sur des nombres généralisés (lire : des concepts rationnels). Et qu’il s’agit ainsi d’un chemin particulier vers une forme de compréhension du monde.
Le point soulevé par l’article mérite donc de ne pas être traité comme un « pseudo-problème », mais plutôt comme un symptôme d’absence de mathématiques (ici la non-application de règles syntaxiques suffisantes).
Cordialement