Neuf ans depuis le 3 février 2008 : Ibni Oumar Mahamat Saleh toujours « disparu »

Hommage
Écrit par Charles Boubel
Publié le 3 février 2017

On est depuis 9 ans sans nouvelle officielle d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena, enlevé par des soldats tchadiens le 3 février 2008. Le prix à sa mémoire, remis tous les ans à de jeunes mathématiciens africains, va désormais changer de forme.

Les lecteurs d’Images des mathématiques le savent : le 3 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh était enlevé par des soldats tchadiens à son domicile de N’Djamena, pour ne plus jamais reparaître. Il était professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena et opposant politique dans son pays. Les trois sociétés françaises de mathématiques ont créé un prix à sa mémoire, remis tous les ans à de jeunes mathématiciens africains, et qui va désormais changer de forme.

Les faits

Je rappelle cet enlèvement chaque année puisque, pour le Tchad, il est toujours « disparu ». Pour des détails sur les faits, à l’instant même où une intervention française évitait la prise de N’Djamena par des rebelles et la chute du dictateur tchadien Idriss Déby, et sur l’enquête internationale concluant à sa mort en détention, voyez mon billet de 2009. Pour des détails sur les suites, voyez par exemple ceux de 2011 et 2014.

Y a-t-il du neuf sur l’affaire depuis l’an dernier ? Oui et non. Oui d’une part :

  • Le président tchadien Idriss Déby, seul à même d’admettre la vérité et de permettre la justice, arrivait en fin de mandat en avril dernier. Il a bien entendu été réélu, après des protestations réprimées. Fait à souligner vu le thème de ce billet : sa réélection s’est accompagnée de la « disparition » de nombreux opposants (cet article d’avril en lien parle de disparitions très probables ; quelques mois plus tard elles étaient confirmées et le sort de la plupart des « disparus » connu, ils ont été déportés et internés). Amnesty International dénonce depuis longtemps la pratique, par le pouvoir, des enlèvements-disparitions comme singulièrement grave et persistante au Tchad.
  • Ce même président a reçu le 29 décembre 2016 à N’Djamena la visite du Premier ministre B. Cazeneuve, venu visiter les militaires français de l’opération Barkhane. Pour des raisons géopolitiques, la France a laissé tomber toute critique du régime tchadien et en particulier toute pression concernant Ibni Oumar Mahamat Saleh. Un article du Monde résume la situation.

Et bien sûr non d’autre part : pour les deux raisons ci-dessus, le dossier Ibni reste clos, sur un non-lieu de la justice tchadienne de 2013. Seule une pression française déterminée pourrait produire un effet et elle est pour le moment exclue.

Obtenir la vérité et la justice reste pourtant une exigence incontournable. Nous la demandons, modestement aux côtés des proches et de la famille d’Ibni, qui dans une perspective plus large a écrit mi-février 2016 une lettre ouverte au président Déby, publiée dans Le Monde Afrique.

Pétition

Une pétition pour demander la vérité au président tchadien avait été lancée en 2009 par les trois sociétés françaises de mathématiques, et relayée auprès de mathématiciens du monde entier. Elle a recueilli 3500 signatures et je m’aperçois que vous pouvez toujours la signer.

Une conférence

Une conférence-débat aura lieu à Pantin, Fondation Gabriel Péri, en hommage à Ibni et à propos de sa disparition, demain 4 février de 14 à 17h.

Prix Ibni Oumar Mahamat Saleh

Ibni Oumar Mahamat Saleh avait noué plusieurs liens scientifiques entre son pays et des institutions françaises. Au premier anniversaire de sa disparition, en 2009, la Société Française de Statistique (SFdS), la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) et la Société Mathématique de France (SMF) (voir le glossaire pour les sigles) ont créé en 2009 un prix Ibni Oumar Mahamat Saleh, « pour que [sa] mémoire reste vivante et pour poursuivre son engagement en faveur des mathématiques en Afrique. Il était « attribué à un(e) jeune mathématicien(ne) d’Afrique Centrale ou de l’Ouest [pour] financer un séjour scientifique de quelques mois » dans un lieu de son choix. Ce prix avait aussi le soutien du CIMPA (Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées) et de l’IMU CDC (Comité pour les pays en développement de l’Union Mathématique Internationale).

Ce prix ne sera pas attribué cette année. Il est en effet en train d’être changé en un « prix de thèse », remis tous les deux ans, et des décisions de l’Union Mathématique Internationale sont attendues pour finir de mettre au point son attribution.

ÉCRIT PAR

Charles Boubel

Maître de conférences - Université de Strasbourg

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