On the road

Tribune libre
Publié le 7 mai 2011

Par un concours de circonstances somme toute assez logique, une borne routière s’est présentée l’autre jour à mon esprit.

Elle avait projeté de rédiger son autobiographie, c’est-à-dire une Histoire de la borne routière en France, mais par un travers bien compréhensible, elle ne connaissait rien ou presque de son passé. Elle était donc partie à rebrousse-temps sur les chemins de sa mémoire, se jouant allègrement de l’an 2000, des années soixante, des années trente, du dix-neuvième siècle même, pour en arriver à la barrière révolutionnaire : Quid de la borne avant l’adoption du système métrique ? Quid de son déploiement sur les routes du royaume ?

En vérité, on se le demandait.

Elle avait pris conseil après de l’archiviste de l’École des ponts et chaussées, une vénérable institution fondée au XVIIIe siècle à l’instigation de Daniel-Charles Trudaine, un personnage haut placé, et de l’ingénieur Perronet, son premier directeur. Apparemment l’histoire de la borne routière en France sous l’Ancien régime passait par des opérations de triangulation menées par l’Académie des sciences à partir du XVIIe siècle. Et plus particulièrement par la détermination plusieurs fois effectuée d’un degré de méridien entre Paris et Amiens. Et plus particulièrement encore par la mesure « à la perche » de la longueur d’une « base » entre Juvisy et Villejuif.

J’étais quant à moi engagé dans de conséquentes recherches sur la mathématicienne la moins connue du monde. Après avoir bouclé une notice sur une première candidate, je m’étais plongé dans de vieux procès-verbaux de l’Académie des sciences pour voir si une deuxième ne s’y trouvait pas. Et c’est précisément au détour d’une séance de 1761 que la borne routière s’était manifestée à moi. Je l’avais d’abord chassée de mon esprit, naturellement, craignant fort qu’un écart par rapport à la voie bien balisée que je m’étais tracée me fasse verser dans les traîtres sentiers du vagabondage et des projets à jamais inaboutis.

Mais elle était revenue, insistante…

Alors je finis par me dire que je pouvais bien lui céder. Car après tout, si c’est un simple un jalon à son histoire qu’elle attendait de moi, elle ne pouvait pas mieux tomber :

[Le 20 mai 1761 à l’Académie des sciences M. de Montigny] a dit que M. Trudaine desiroit faire placer sur les chemins des pierres de 1 000 en 1 000 toises, et d’autres plus petites de 500 en 500 toises, et qu’il demandoit si l’Académie voudroit bien qu’on se servit pour cela des perches qui ont servi à la mesure de la base de Villejuive : sur quoi l’Académie ayant délibéré, il a été décidé que ces perches seroient remises à M. Perronet. 2Académie des sciences, PV, 20 mai 1761, f. 94r.

ÉCRIT PAR

Olivier Courcelle

Mathématicien -

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Commentaires

  1. Michèle Audin
    mai 7, 2011
    18h01

    Joli billet !

    Qui m’a fait penser à Adhémar Barré de Saint-Venant (1797—1886), un ingénieur et mathématicien, qui n’est pas le mathématicien le moins connu du monde mais qui n’est peut-être pas aussi connu qu’il mériterait de l’être (son nom pourrait être associé à ceux de Navier et de Stokes, par exemple).

    Le rapport avec les bornes ? Eh bien, il semble que cet hydraulicien soit aussi un des responsables du fait que l’on place des arbres le long des avenues, dans les années 1840. Récent, non ?

    Et il était membre de l’Académie des sciences, un nouveau rapport.