Ici et là, de temps à autre, je la croise régulièrement, mon amie la borne routière. On se parle de tout et de rien, elle de ses recherches dans les archives des ponts et chaussées, moi des mathématiciennes les moins connues du monde.
Et justement l’autre jour, à peine lui eus-je touché deux mots de Marie-Anne Gouilly, que je perçus chez elle comme l’éclat d’une puissante réflexion. Gouilly… Un patronyme presque certainement déjà rencontré. Elle vérifierait…
Le coup d’après, voilà qu’elle revient avec une lettre de Voltaire :
À M. Le Blanc, rue des Grands-Augustins, maison de M. le président Sulpice, à Paris.
Mon triste état, Monsieur, ne m’a pas permis de vous remercier plus tôt de l’honneur et du plaisir que vous m’avez fait [en m’envoyant Albert premier (Paris, 1775)], mais je n’y ai pas été moins sensible. Accablé de maladies à l’âge de quatre-vingts et un ans, je n’envisage que la mort, mais je me console en voyant les grands talents qui s’élèvent, et vous contribuez plus que tout autre à ma consolation. J’ai l’honneur d’être, avec toute l’estime que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Voltaire Ferney, 10 mars 1775. 5Perroud (Claude), « Notice biographique sur Antoine Le Blanc de Guillet, 1730-1799 », Annales de la Société d’agriculture, sciences, arts et commerce du Puy, 25 (1862) 273-332.
Force est de constater que Voltaire écrivait pas mal. L’édition de référence de sa correspondance, pour ne pas même parler de son œuvre, court sur une cinquantaine de volumes. 6Voltaire (François Marie Arouet, dit), « Correspondence and Related Documents », Th. Besterman éd., in The Complete Works of Voltaire, vol. 85-135, Genève-Oxford, 1968-1977. Elle se veut évidemment aussi exhaustive que possible. Pas moyen pourtant d’y trouver trace de la lettre présentée par mon amie.
Marie-Anne Gouilly avait un neveu, Vincent-Charles-Auguste Gouilly (1779-1843), qui devint ingénieur aux ponts et chaussées. 7Son dossier est conservé aux Archives nationales sous la cote F14 2237/1. Parti exercer au Puy-en-Velay, il laissa au Grand Séminaire de cette ville des papiers du mari de sa tante, l’homme de lettres Antoine Blanc (1730-1799) dit Le Blanc de Guillet. Remarqués un peu plus tard par un érudit, ils furent édités dans une revue savante locale.
Une publication visiblement passée inaperçue. 8Elle contient aussi deux lettres non répertoriées de d’Alembert.