Par un beau matin de printemps (2014).

Tribune libre
Publié le 21 mars 2009

Il est cinq heures et le réveil sonne. Je me lève en maugréant pour allumer mon ordinateur : c’est l’heure à laquelle le tableau de bord impactologique fait sa mise à jour quotidienne. La nouvelle valeur de mes 4 indicateurs apparaît soudain sur mon écran : ouf, aucune baisse. Mais pas de hausse non plus, pourtant hier mon 42e article depuis janvier a été mis en ligne. Je vais encore avoir un coup de fil de la présidence (mauvais pour le Bonus Qualité Publications de mon labo, ça). Après avoir avalé un café additionné d’un peu d’amphétamines que me procure mon fils, je me remets à mon ordinateur pour taper mon prochain article. Avec quelques années de pratique, j’ai enfin trouvé la bonne méthode de classement de mes articles pour pouvoir en composer de nouveaux en quelques clics et couper-coller. J’y rajoute quelques phrases issues de l’Idée de la Semaine : l’an dernier notre présidence d’université a souhaité améliorer la productivité scientifique de notre communauté et a instauré le concept d’Idée de la Semaine (IS). Il s’agissait tout simplement d’inciter les enseignants-chercheurs (EC) à cultiver leur vivier créatif (VC) plus ardemment. Certains, toujours les mêmes conservateurs patentés, ont râlé et tenté de résister, mais après quelques modulations bien senties (ah, quand le gros Poufloux s’est retrouvé avec 425 heures à faire sur un semestre à l’Institut Polytechnique Inférieur (IPI) de Digne (D), ce qu’on a pu rigoler avec les collègues, heu pardon, les concurrents !) tout le monde a trouvé cette idée très bien. Surtout qu’avec l’indicateur de Sharkozky permettant une évaluation simple et rigoureuse de l’impact d’une idée, on a pu mettre en place ce qui est maintenant une institution de nos laboratoires : le couronnement de l’enseignant-chercheur du mois, dont la photo trône fièrement sur le site ouaibe de l’université.

Ouh la, il est 7h, je file prendre le métro et arrive à 7h45 à la faculté, juste à temps pour pointer avant la fermeture des grilles. Les étuclients attendent leur prestataire de service et ce matin je dois recevoir un groupe en première année de biologie cérébrale. Je vais leur enseigner la méthode à appliquer pour réussir le premier exercice de maths de l’examen de passage en deuxième année. Cet exercice a beau être plutôt facile, il faut le répéter quelques centaines de fois pour être sûr que notre taux de réussite atteigne les 93,141592% prévus par le contrat d’objectif sans moyen (COsM) du second semestre 2014.

A 8h15, après une demi-heure les étudiants sont épuisés et retournent travailler dans leurs emplois respectifs, tandis que je gagne en courant le bureau commun des enseignants-chercheurs- prestataires-de-service au 5e étage du bâtiment central de notre Campus Universel en Ligne (CUL). À 8h23 je pointe et accède à notre tout nouvel espace paysager, où s’activent déjà 87 autres concurrents. Je fais un peu de bruit pour les distraire, c’est toujours ça de gagné, et envoie l’article que j’ai fini ce matin à la secrétaire de notre laboratoire pour relecture. Je découvre à cette occasion que nous en avons encore changé, ce n’est jamais que la 7e depuis début septembre dernier, nous tenons un rythme qui respecte les normes San-Remous (SR) en matière de renouvellement orienté qualité du personnel soumis (PS). A 8h57 je m’attelle à la tâche qui va m’occuper jusqu’à ce soir 19h34, à savoir mettre en page la décision budgétaire modificative numéro 43bis qui va être discutée demain matin en conseil restreint. Les dépenses et entrées sont désignées par des nombres à 7 chiffres, mais j’ai obtenu par un ami concurrent la grille de correspondance avec la nomenclature usuelle. Tiens, le président se paye une nouvelle voiture de fonction ! Il faut dire qu’avec ses nouvelles responsabilités en matière de veille d’opinion qui lui sont tombées dessus l’an dernier lors de la Grande Révision Bisanuelle de la loi LRU, on peut comprendre qu’il ait besoin d’une Bentley blindée. Je ne vais pas non-plus me montrer mesquin et jaloux comme les quelques ronchons modulés de mon unité.

A 12h50 je peux enfin prendre ma pause déjeuner. J’ai hâte de me retrouver à la cafétéria, où je vais pouvoir négocier un bon prix d’une lettre à entête vierge du CNRS que j’ai retrouvée hier soir en faisant du rangement chez moi. Curieusement, personne ne regrette cet organisme d’un autre âge que l’on a prestement enterré en 2009, mais les quelques artefacts qu’on en retrouve voient leur côte grimper de jour en jour. C’est finalement Arnaud Migugusse, un collègue bien en vue auprès de la présidence qui me l’achète pour 18 euros. Il me glisse à l’occasion que je devrais surveiller le téléphone dans les jours qui suivent. Ah, une promotion ?

À 13h12 je suis de nouveau dans mes chiffres comptables, quand à 14h13 le téléphone sonne. C’est le président Pom’n-Roll qui m’appelle et à son ton, je comprends soudain qu’il ne sera pas question de promotion. Il m’informe que mes derniers indicateurs biblio-pipométriques sont insuffisamment bons et risquent d’entacher l’image d’excellence si durement acquise par notre Pôle de Recherche et d’Enseignement Postérieur Appliqué (PREPA). Il m’annonce donc que je devrai avoir quitté les lieux dans 4 minutes, afin qu’un concurrent plus compétitif me remplace, et que je dois rejoindre l’unité de Prestataires Unifiés en Techniques Affiliatives Internes Normales, à l’entrée du parking souterrain.

Quel coup dur ! Bah, de toute façon, je me console en réalisant que je ne pourrai plus ce soir me payer mes médicaments anticancéreux. D’ici deux mois, finis les soucis ! Dommage, je ne verrai pas ce qu’a donné ma dernière IS. Mais au moins je serai définitivement compétitif.

ÉCRIT PAR

Jean-Yves Briend

Maître de conférences - Université de Provence

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    mars 21, 2009
    11h50