Petite leçon sur le calcul des intérêts bancaires

Tribune libre
Écrit par Xavier Caruso
Publié le 3 juin 2010

Etant sur le point d’acheter un appartement, j’ai récemment vu un conseiller bancaire avec qui j’ai discuté d’éventuels prêts et placements. Une des conclusions de notre entrevue a été, qu’étant donné les taux actuellement pratiqués — environ 3% pour les prêts immobiliers et 4,5% pour les placements 5Trouver ce genre de taux n’est pas forcément très facile, mais reste malgré tout possible actuellement. Pour les prêts, j’ai même vu encore des taux inférieurs, passant quelque fois même en dessous de 2,9%. Pour les placements, un PEL peut rapporter 4,5% sur certaines périodes mais impose d’autres contraintes (comme un plafond, ou des frais supplémentaires si l’on ne fait pas un prêt à la clôture). Une assurance vie peut également avoir un taux qui avoisine 4,5% et est sans doute un peu plus flexible. —, il est en ce moment plus avantageux d’emprunter une certaine somme d’argent et de placer celle-ci que d’alimenter tous les mois un compte rémunéré.

Je m’explique : supposons que votre salaire soit tel que vous puissiez vous permettre de mettre de côté 500 euros par mois. La solution usuelle pour faire fructifier cet argent est d’ouvrir un compte d’épargne, disons un PEL pour fixer les idées, sur lequel vous déposerez chaque mois ces 500 euros. Une autre solution, qui peut paraître un peu plus tordue, est la suivante : vous commencez par faire un prêt, vous placez l’argent prêté sur votre PEL, puis vous utilisez vos 500 euros mensuels pour rembourser le prêt.

Si, comme je l’ai dit, le taux du prêt est de 3% et celui du PEL de 4,5%, on pourrait naïvement penser que la deuxième solution revient à placer les 500 euros mensuels à un taux de 4,5 – 3 = 1,5% 6Évidemment, ce calcul est un peu simpliste mais on pourrait au moins s’attendre à ce que le taux résultant soit de l’ordre de 1,5%. … eh bien, pas du tout : utiliser la deuxième solution rapporte autant d’intérêts qu’alimenter de 500 euros par mois un compte d’épargne rémunéré à presque 6% !

Dans ce billet, j’aimerais essayer de vous expliquer comment l’on arrive à un tel écart. En fait, mon banquier a aussi essayé de m’expliquer cela, mais j’avoue que je n’arrivais pas toujours bien à le suivre dans son jargon. Pour me venger, donc, je reformule dans le mien : ci-dessous, il ne sera pas question donc d’« intérêts capitalisés » ou autres joyeusetés de ce genre, mais de « suites récurrentes » mêlées à un soupçon de « développements limités ». Mais promis, je vais quand même essayer d’être pédagogue et, en tout cas, j’expliquerai la définition de tous les termes techniques qui apparaîtront dans la suite.

Une première approche simplifiée

Pour l’explication que nous souhaitons donner, il est pratique de raisonner sur une durée de temps fixée à l’avance correspondant peu à prou à la durée de l’emprunt envisagé. Pour donner une idée, supposons que ce soit 10 ans. Payer 500 euros par mois pendant 10 ans revient en tout à payer 60000 euros ; nous supposerons donc dans la suite que le montant du prêt que nous envisageons de demander à la banque est aussi de 60000 euros 7Bien sûr, il y a aussi les intérêts à prendre en compte, et d’après les taux que j’ai donnés, l’emprunt que l’on peut faire en étant capable de rembourser 500 euros par mois pendant 10 ans est plutôt de l’ordre de 50000 euros que de 60000 euros. Cependant, pour commencer nous allons supposer que, quitte à rembourser un peu plus chaque mois, on emprunte bien 60000 euros (le titre indique bien que l’on considère d’abord une première approche simplifiée.. Au niveau du placement, nous avons donc à comparer les deux situations suivantes :

  • première situation : on ouvre un compte rémunéré à 4,5% sur lequel on dépose 500 euros chaque mois pendant 10 ans ;
  • deuxième situation : on ouvre un compte rémunéré à 4,5% sur lequel on dépose 60000 euros initialement sans plus jamais l’alimenter ensuite.

On souhaite comparer les intérêts perçus au bout de 10 ans dans chacune de ces deux situations. Comme vous le diront les banquiers, les intérêts se capitalisent, ce qui signifie en pratique qu’à partir de la deuxième année vous touchez des intérêts sur les intérêts déjà perçus précédemment. Toutefois, pour cette première approche simplifiée, nous allons mettre de côté ce phénomène en gardant à l’esprit qu’au moins si la durée n’est pas trop longue et le taux suffisamment faible (hypothèses qui sont discutables — et seront d’ailleurs discutées dans la suite — dans notre cas), les intérêts sur l’argent que vous avez déposé doivent quand même être bien plus importants que ceux qui arrivent par ricochets.

Regardons à présent l’évolution en fonction du temps du capital versé sur votre compte : dans la première situation, il est représenté par le graphique ci-dessous à gauche tandis que dans la deuxième, il est représenté par le graphique de droite.

Les intérêts, quant à eux, s’obtiennent en additionnant chaque année un montant qui est un certain pourcentage de capital que vous possédez à ce moment. En réalité, les banques mettent souvent en place un système de dates de valeur qui font qu’un versement effectué par exemple début décembre ne compte que pour 1/12 dans le calcul des intérêts ; dans la pratique, cela revient à peu près à calculer les intérêts tous les mois plutôt qu’une seule fois à la fin de l’année (et à verser par contre à la fin de l’année la somme des contributions mensuelles). On en déduit que le montant des intérêts est proportionnel à la somme des capitaux relevés tous les mois, c’est-à-dire d’un point de vue graphique à l’aire de la surface jaune coloriée sur les graphiques précédents. Dans la deuxième situation, on touche donc approximativement deux fois plus d’intérêts.

Si l’on veut, alimenter son compte rémunéré une unique fois à l’ouverture revient à placer le même total mais de façon étalée à un taux deux fois plus élevé. Autrement dit, pour ce qui concerne le placement, emprunter l’argent pour le placer entièrement dès l’ouverture du compte revient à booster le taux d’intérêt à 9% au lieu de 4,5%. En termes graphiques, on a cette équivalence :

En contrepartie bien sûr, il faut payer les intérêts du prêt, mais si ceux-ci s’élèvent seulement à 3%, il vous reste bien les 6% d’intérêts annoncés ! Vous serez en droit d’objecter à ce niveau que ce n’est pas très clair que cela ait maintenant un sens de retrancher le taux de 3% du prêt au taux de 9% que l’on vient de calculer. Et effectivement, cela demande une justification, mais avant de la donner il me faut expliquer comment on calcule les intérêts pour le remboursement des prêts. L’essentiel à savoir est que si, à la première échéance, les intérêts remboursés sont bien calculés sur la totalité de la somme empruntée, à partir de la seconde échéance, ils ne sont plus calculés que sur la partie qu’il reste à rembourser. Autrement dit, pour faire le parallèle avec ce qui a été dit avant, on est dans une configuration où la surface jaune a la forme suivante :

.

Le pourcentage de 3% est donc bien à comparer avec celui de 9% (on a une surface jaune en triangle), et non pas celui de 4,5%.

Si mon explication informelle ne vous a pas toujours convaincu, je la refais ci-dessous avec de vraies formules mathématiques, et de vrais calculs. On en profitera également pour prendre en compte les quelques points que nous avons pour l’instant laissés de côté (notamment la valeur exacte du prêt et les intérêts capitalisés) et voir dans quelle mesure cela influence le résultat final.

Le calcul exact

1. Les placements

Comme précédemment, je commence par expliquer le fonctionnement des placements qui est un peu plus simple que celui des prêts. En fait, dans la suite, je vais travailler avec un modèle un tout petit peu simplifié par rapport à ce que l’on trouve couramment dans les banques : je supposerai simplement que les intérêts sont versés tous les mois (avec évidemment un taux douze fois moindre 8En fait, pour trouver l’intérêt mensuel équivalent, il ne faut pas diviser par 12 mais faire une opération plus compliquée (par exemple, un produit qui subit deux augmentations successives de 10% a au final augmenté de 21% et non pas de 20%). Toutefois, cela n’est pas très important ici car la différence entre le résultat exact et l’approximation que l’on considère n’est pas significative : précisément, utiliser l’approximation en question fait monter le taux 4,5% à à peine 4,6%.) sur la base du capital du moins précédent (l’argent versé le mois courant n’est donc pas pris en compte dans le calcul, ce qui revient à peu de choses près à prendre en compte le système de dates de valeur). Autrement dit, on obtient le montant des intérêts versés à la fin du mois courant en multipliant le capital au début du mois par le taux d’intérêt.

Voici comment cela se reformule de façon plus mathématique: si \(a\) désigne le taux d’intérêt (pour un taux de 4,5% annuel, on a donc \(a = 0,\!375\% = 0,\!00375\)), \(x\) le capital au début du mois (juste après le versement des intérêts) et \(y\) l’argent versé au cours du mois, le capital au début du mois suivant (à nouveau après le versement des intérêts) est :
\[x + y + ax.\]
Le premier terme correspond à l’argent déjà présent sur le compte, le deuxième terme à l’argent versé au cours du mois et le dernier aux intérêts donnés par la banque. Afin de ne pas confondre les mois, il est commode de mettre le nom du mois en indice des lettres \(x\) et \(y\); ainsi, l’on écrira \(x_{\text{juin}}\) pour le solde du compte début juin, ou encore \(y_{\text{septembre}}\) pour le total de l’argent versé au cours du mois de septembre. En fait, plutôt que d’appeler les mois par leur nom usuel, nous allons les numéroter: le mois 0 correspond au mois d’ouverture du compte, le mois 1 au mois suivant et ainsi de suite. Ainsi \(x_{15}\) par exemple désignera le solde du compte au début du quinzième mois suivant son ouverture. L’évolution du capital est alors décrite par la formule:
\[x_{n+1} = x_n + y_n + a x_n.\]
C’est ce que l’on appelle une suite récurrente: un terme de la suite, ici \(x_{n+1}\), se calcule en fonction des précédents (ici, en fait, seulement du dernier \(x_n\)).

Nous voulons maintenant étudier deux situations particulières:

– la première est celle où le compte est alimenté régulièrement, c’est-à-dire pour laquelle on verse chaque mois la même quantité d’argent (500 euros si l’on reprend notre exemple initial); d’un point de vue mathématique, cela signifie que \(y_n\) est constant, égal à un montant que l’on notera simplement \(y\)
– la deuxième est celle où le compte est alimenté à l’ouverture et plus jamais ensuite; d’un point de vue mathématique, cela signifie que \(x_0\) est un certain nombre que l’on notera \(C\) (le versement à l’ouverture) et que \(y_n\) est égal à \(0\) pour tout \(n\).

La deuxième situation est en fait un peu plus simple à étudier, et nous commençons donc par celle-ci. On a dans ce cas \(x_{n+1} = x_n \cdot (1+a)\): autrement dit, pour calculer le capital à un certain mois, il suffit de multiplier par \(1+a\) le capital au mois précédent. Après \(N\) mois, le capital est donc égal au capital initial multiplié \(N\) fois par \((1+a)\):
\[x_N = C \cdot (1+a)^N.\]
Dans notre situation, un nombre \(N\) que l’on a envie de considérer est celui qui correspond à la durée totale du prêt que l’on a fait en parallèle (typiquement \(N = 120\) pour un prêt sur 10 ans) pour savoir combien l’on aura d’argent sur le compte d’épargne lorsque l’on aura fini de rembourser le prêt.

Étudions maintenant la première situation. On a dans ce cas, la formule
\[x_{n+1} = x_n \cdot (1+a) + y.\]
Les mathématiciens ont trouvé une méthode pour étudier ce genre de suites qui, dans notre cas, consiste à réécrire la relation précédente sous la forme
\[\left( x_{n+1} + \frac y a \right) = \left( x_n + \frac y a \right) \cdot (1+a).\]
En tenant compte de \(x_0 = 0\), on en déduit qu’au bout de \(N\) mois, notre capital vaut
\[x_N = \frac y a \cdot \left( (1+a)^N – 1\right).\]
Nous verrons dans la suite comment interpréter et comparer les formules que nous venons d’obtenir dans le cas qui nous intéresse, mais pour cela, il nous faut d’abord expliquer le fonctionnement des prêts. On peut par contre d’ores et déjà faire une comparaison intéressante entre les deux situations suivantes que nous avons déjà envisagées dans la partie précédente:

– première situation: on place un capital \(C\) sur un compte rémunéré que l’on n’alimente pas ensuite
– deuxième situation: on place chaque mois un montant \(\frac C N\) sur un compte rémunéré au même taux

Notons que dans les deux cas, on a placé la même somme d’argent au bout de \(N\) mois. On s’intéresse aux intérêts accumulés pendant cette période, ou plutôt ce qui revient au même au solde du compte au bout de \(N\) mois. Dans le premier cas, il est de:
\[C \cdot (1+a)^N\]
alors que dans le deuxième, il vaut:
\[C \cdot \frac{(1+a)^N – 1}{aN}.\]
Les deux formules sont différentes, ce qui semble indiquer que les deux placements ne sont pas identiques (on pouvait en fait s’y attendre dès le départ mais peu importe). En fait, une étude mathématique un peu plus minutieuse (que l’on ne fera pas ici) montre que, si le produit \(aN\) est petit devant \(1\), alors le deuxième placement rapporte environ deux fois moins d’intérêt, ce qui est bien ce que l’on avait dit.

Dans le cas concret qui nous intéresse, le produit \(aN\) vaut \(0,\!00375\times 120 = 0,\!45\)… ce qui n’est pas vraiment petit devant \(1\). L’approximation commence donc à montrer ses limites, et d’ailleurs le vrai rapport n’est pas 2 mais plutôt de l’ordre de 2,18, ce qui correspond à un taux équivalent d’environ 8,5% et non pas 9% comme on l’obtiendrait en multipliant simplement 4,5 par 2.

2. Les prêts

On en vient maintenant aux prêts. Quatre paramètres essentiels (liés entre eux) sont à prendre à compte: le taux du prêt noté \(b\), la somme empruntée \(C\), la durée du prêt \(N\) et le montant de l’échéance que nous noterons \(y\). Si \(x_n\) désigne cette fois-ci la somme restant à rembourser après le n-ième mois, on a \(x_0 = C\) bien entendu et la formule permettant de calculer \(x_{n+1}\) en fonction de \(x_n\) s’écrit comme suit:
\[x_{n+1} = x_n – (y – b x_n) = x_n \cdot (1+b) – y.\]
En effet, chaque mois, on paye le montant \(b x_n\) en intérêts tandis que le reste de l’échéance sert à rembourser le prêt. Comme précédemment, on transforme cette égalité en:
\[\left( x_{n+1} – \frac y b \right) = \left( x_n – \frac y b \right) \cdot (1+b)\]
ce qui conduit, en tenant compte de \(x_0 = C\), à:
\[x_N = \frac y b + \left( C – \frac y b \right) \cdot (1+b)^N.\]
Comme à la fin du remboursement, il ne reste logiquement plus rien à rembourser, on a \(x_N = 0\), ce qui nous permet d’exprimer le montant à emprunter \(C\) en fonction des autres paramètres:
\[C = \frac y b \cdot \left(1 – \frac 1 {(1+b)^N} \right).\]
Dans notre cas concret, on trouve \(C = 51780\) (ce qui est effectivement plus proche de 50000 que de 60000).

<h4>3. La conclusion</h4>

Revenons sur la comparaison des deux solutions de placement évoquées dans l’introduction. La première, toute simple, consistait simplement à alimenter chaque mois un compte rémunéré. Si \(a\) désigne le taux du compte (par mois), \(N\) le nombre de mois que dure l’opération, et \(y\) la somme déposé mensuellement, on a déterminé la formule qui donne le solde du compte à la fin de l’opération; c’est:
\[x_N = \frac y a \cdot \left( (1+a)^N – 1\right).\]

La deuxième solution envisagée était un peu plus compliquée et demande des calculs plus fastidieux. Rappelons qu’il s’agissait dans un premier temps d’emprunter une certaine somme d’argent \(C\) que l’on place sur un compte et que l’on rembourse par la suite à raison de \(y\) euros par mois pendant \(N\) mois. Si \(b\) désigne le taux du prêt, on a vu, d’une part, que la somme à emprunter \(C\) est donnée par la formule
\[C = \frac y b \cdot \left(1 – \frac 1 {(1+b)^N} \right)\]
et, d’autre part, que si l’on place cet argent sur un compte rémunéré au taux \(a\), alors on aura au bout de \(N\) mois une quantité d’argent égale à
\[C \cdot (1+a)^N = \frac y b \cdot \left(1 – \frac 1 {(1+b)^N} \right) \cdot (1+a)^N.\]
Pour déterminer quelle est la méthode la plus rentable, il faut donc comparer les deux facteurs
\[\frac{(1+a)^N-1} {aN} \quad \text{et} \quad \frac{1 – (1+b)^{-N}} {bN} \cdot (1+a)^N\]
qui indiquent, dans chacune des deux situations, par combien est multiplié votre capital. Avec les valeurs numériques que nous avons considérées jusqu’alors, on trouve respectivement 1,26 (pour le placement standard) et 1,35 (pour le placement avec prêt): le placement avec prêt est donc un peu plus rentable. On remarque qu’un facteur de 1,35 sur 10 ans correspond à un taux annuel de 5,8% dans la situation où l’on dépose l’argent tous les mois. On s’approche donc bien des 6% qui avaient été trouvées par la méthode simplifiée, tout en restant quand même un peu en dessous.

En réalité, il n’est plus très difficile de démontrer à ce niveau que la solution du prêt est plus avantageuse dès que \(b>a\), c’est-à-dire dès que le taux du prêt est inférieur à celui du placement. En cas d’égalité des taux, les deux solutions sont équivalentes tandis que le placement standard est meilleur si le taux du placement est supérieur à celui du prêt. Rien de très étonnant, donc. Si les produits \(aN\) et \(bN\) sont petits, on peut également démontrer par une technique de {développements limités} que
\[\frac{1 – (1+b)^{-N}} {bN} \cdot (1+a)^N \simeq \frac{(1+(2a-b))^N-1} {(2a-b)N},\]
c’est-à-dire, si vous préférez avec des mots, que faire un prêt revient à booster le taux de placement à environ \(2a-b\) (à la place de \(a\)): sans aucune formule, cela signifie que cette technique permet d’augmenter le taux de placement d’une valeur approximativement égale à la différence des deux taux (taux de placement et taux de prêt). Remarquez que l’on retrouve comme ceci le résultat que nous avons obtenu dans notre première étude simplifiée. Attention, toutefois: cette heuristique n’est valable que lorsque les produits \(aN\) et \(bN\) sont petits, ce qui n’est pas vraiment le cas dans la réalité. Si cette hypothèse n’est pas vérifiée, la méthode de l’emprunt permet quand même de faire augmenter le taux, mais celui-ci s’envole de façon moins prononcée. Dans notre situation concrète, nous avons vu que l’heuristique donnait 6% alors que la réalité était plutôt à 5,8%; dans tous les cas, toutefois, ceci est nettement supérieur à 4,5%.

Enfin, en pratique, il y a encore bien entendu d’autres complications qui entrent en jeu. Par exemple, faire un prêt vous impose la contrainte de payer régulièrement vos 500 euros mensuels pendant 10 ans alors que, dans l’autre cas, rien ne vous oblige à placer cet argent. Lorsque vous souscrivez un prêt également, vous êtes obligés de souscrire en parallèle une assurance qui prend en charge le remboursement du prêt en cas d’incapacité de travail ou de décès. Cela induit donc des frais supplémentaires qu’il faudrait peut-être prendre en compte dans le calcul précédent. Je dis seulement « peut-être » car, évidemment, souscrire une assurance présente l’avantage que vous êtes de facto assuré : ce n’est pas seulement un mal nécessaire (comme les maths à l’école ?) mais aussi un gage de tranquillité qu’il est plus difficile de quantifier.

Post-scriptum

Pour un article plus approfondi concernant l’emprunt on peut lire sur le site l’article de Claude Danthony, Emprunts : mensualités, intérêt, taux, TEG, risque de taux. Ou comment impressionner son banquier.

ÉCRIT PAR

Xavier Caruso

Directeur de recherche - Institut Mathématique de Bordeaux (IMB), Université de Bordeaux - CNRS

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Commentaires

  1. Rémi Peyre
    juin 3, 2010
    8h31

    Cet article m’a fait irrésistiblement penser au dessin suivant…

    Mais plus sérieusement, je ne connaissais pas du tout ce paradoxe ; c’est très (sans jeu de mot) intéressant !
    https://www.lemonde.fr/blog/vidberg/2008/10/03/une-petite-histoire-dargent/

  2. Arnaud Lionnet
    juin 3, 2010
    23h40

    Très intéressant en effet. Mais c’est la théorie ça, la question est : Xavier, tu as mis en pratique ta découverte ?

    Si tout le monde faisait ça, les banques finiraient par le remarquer et tenter de changer la situation (un peu comme en finance il est souvent considéré que les opportunités d’arbitrage (situations de gains sûrs) disparaissent d’elles-même).

    En ce qui concerne les prêts, pour autant que je sache, quand on souscrit à un prêt en France, le taux est fixe. Le banquier qui nous a prêté à 3% ne peut pas décider demain de nous demander 5 ou 10%. (Je crois que ce n’est pas le cas au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis).
    Par contre les taux de rémunération ça c’est au bon vouloir de la banque ou de l’Etat non ? Pour le livret A ou le PEL je dirais l’Etat. Après je crois qu’il y a des contrats (contraignants) à rémunération fixe.

    Mais, Xavier, tu as expliqué ça à ton banquier ou pas ? Je me dis que les banquiers ont de bonnes chances d’avoir repéré un truc comme ça, mais après tout.

  3. Xavier Caruso
    juin 4, 2010
    9h35

    Déjà, ce n’est certainement pas ma découverte mais c’est très probablement quelque chose de bien connu depuis belle lurette pour quelqu’un cotoyant de près ou de loin la finance. En tout cas, mon banquier (enfin, celui de ma femme mais peu importe) était bien persuadé que j’y gagnais même s’il ne savait pas bien l’expliquer en des termes qui me sont familiers. Moi, j’ai juste refait le calcul à ma façon.

    Par ailleurs, je ne pense pas que les banques soient vraiment perdantes. Du point de vue de la banque, faire cette manipulation revient à ouvrir un compte rémunéré à 5,8% en ayant la garantie préalable que l’on mettre 500 euros tous les mois, ni plus ni moins. Je ne pense pas que ce soit un si mauvais calcul pour elles ; en tout cas, tous les banquiers que j’ai consultés ont toujours bien aimé me voir placer mon argent, même à des taux élévés, et encore plus sur un compte bloqué.

    Je n’en suis pas certain, mais je crois avoir compris par ailleurs que lorsqu’une banque accorde un prêt, la loi lui autorise à jouer plus d’argent en bourse (ou en je-sais-pas-quoi) et donc probablement à faire plus de bénéfices et à se rembourser largement plus que les 1,3% excédentaires qu’elle devra payer. Après, bien sûr, elle prend plus de risques, mais c’est quand même la vie d’une banque de prendre des risques et de savoir les contrôler.

    Pour ce qui concerne la fluctuation des taux, je suis d’accord : les 3% sont fixes, mais le taux de rénumération du PEL peut varier, et il ne fait d’ailleurs pas trop de doute qu’il ne restera pas à 4,5% sur une période de 10 ans. Cela dit, d’après ce que j’ai raconté, tant que le taux ne chute pas en dessous de 3% (ce qui est peu courant quand même pour un PEL), on reste gagnant même si la part du gâteau diminue. Par ailleurs, même dans le cas où il passerait en dessous de 3%, les banques proposent souvent des prêts modulables (attention à ne pas confondre avec taux variable), c’est-à-dire pour lesquels on peut décider de modifier la mensualité (et donc, mécaniquement, la durée de remboursement) et même de rembourser intégralement (et sans intérêt) ce qu’il reste à payer. Autrement dit, on peut mettre fin à la manœuvre si on le souhaite ; bien entendu, dans ce cas, on ne peut pas la reprendre plus tard quand le taux du PEL aurait remonté. En outre, il doit y avoir quelques frais liés à l’opération : pas vraiment au niveau de prêt, mais plutôt au niveau du placement si on veut le casser avant qu’il n’arrive à échéance.

    Il y a aussi des contrats à rénumération fixe, en effet.

    Finalement, pour répondre à la question, nous avons finalement achété un appartement plus cher qu’on ne l’avait prévu à l’origine… et donc, nous avons bien contracté un prêt (ou plutôt nous allons le faire) mais par force.
    Répondre à ce message

  4. Guy Marion
    juin 4, 2010
    13h17

    Quelques précisions :

    Outre le fait que le taux de rénumération du PEL ne restera pas à 4,5% sur une période de 10 ans, ce taux est la somme d’une part servie par la banque (3%) et d’une prime d’Etat (1,5%) plafonnée (avec un plafond assez bas) et qui n’est accordée que si on réalise une acquisition (et pas n’importe laquelle) en utilisant le PEL.

    D’autre part, ces 4,5 % ne sont pas nets d’impôts ; ils sont en effet soumis à la CSG et à la CRDS (qui vont eux aussi être revus à la hausse d’une façon quasi certaine sur 10 ans)

    Enfin, pour vous accorder un prêt à 3% (assurance exclue) , la banque emprunte elle-même à un taux bien inférieur !

    Même si elles gagnent peu avec les PEL qui sont une façon d’attirer les clients (il est rare en effet qu’un PEL seul suffise), dans ce genre d’opérations, les banques sont toujours gagnantes !

    • Xavier Caruso
      juin 4, 2010
      15h30

      Oui, tout à fait : le PEL présente énormément de contraintes pour le client si celui-ci veut bien toucher ses 4,5%. Peut-être que le plafond de la prime d’État abaisse le taux pour un placement de 60000 euros, mais j’avais cru comprendre qu’au moins pour un placement moitié moindre, il n’était pas atteint. Cela dit, je me trompe peut-être.

      Enfin, j’ai parlé de PEL dans mon billet, c’était juste à titre d’exemple. J’avais cru comprendre aussi que l’assurance vie était permettait peut-être un peu plus de souplesse à un taux légèrement moindre bien qu’il reste quand même des contraintes (impôts importants si départ avant 8 ans, frais d’inscription, etc.) Encore une fois, n’étant pas du tout un expert, ce que je dis est à prendre avec précaution.