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Philip Griffiths reçoit la médaille Chern.
Cette médaille est remise à chaque congrès international à un mathématicien pour ses « contributions remarquables aux mathématiques ».
Shing-Shen Chern (1911, Jiaxing, Chine – 2004, Tianjin, Chine) a dédié sa vie aux mathématiques, à la fois comme enseignant et comme chercheur. Ses résultats sont fondamentaux dans tous les domaines de la géométrie moderne. Tous les mathématiciens connaissent les « classes de Chern ». Le côté face de la médaille énonce le « théorème de Gauss-Bonnet-Chern » qui permet de calculer la caractéristique d’Euler-Poincaré d’une variété en intégrant le pfaffien de la courbure. Avec Euler, Gauss, Bonnet et Poincaré, Chern est en bonne compagnie !
Le nom de Griffiths évoque immédiatement pour moi le livre « Principles of Algebraic Geometry » qu’il a écrit avec J. Harris en 1978. Ce livre a eu une influence immense sur toute une génération de mathématiciens. C’est l’un des premiers livres de mathématiques que j’ai achetés. Je le trouvais toujours très « concret ». Il contient par exemple des figures, ce qui est loin d’être le cas pour la majorité des livres de géométrie algébrique de l’époque. Je ne sais pas si je peux écrire ici qu’une des raisons qui font que j’aime bien ce livre est qu’il contient pas mal d’erreurs ! En effet, lorsqu’on sait qu’il ne faut pas faire confiance à 100% à un livre, on est bien obligé de le lire « intelligemment », c’est-à-dire… en le comprenant !
J’aime bien aussi le livre qu’il a écrit avec Deligne et Morgan sur la théorie de l’homotopie rationnelle de Sullivan. A l’époque cette théorie était toute neuve et le moins qu’on puisse dire est que les rares textes de Sullivan sur sa théorie étaient… incompréhensibles. Deligne, Griffiths et Morgan ont fait un cours pour comprendre et expliquer tout cela. Leur livre contient une première partie qui explique leur vision de la topologie algébrique dans des termes extrêmement concrets. En passant, Chern lui-même a écrit un « review » de ce livre dont la conclusion est : « les lecteurs trouveront ce livre très utile et éclairant. Il contient beaucoup d’exemples, d’illustrations, de diagrammes et d’exercices. […] Des efforts ont été faits pour éviter la généralité et la technique qui pourraient distraire le lecteur et rendre la lecture obscure ».
J’ai lu aussi, bien plus tard, quelques articles de Griffiths, en particulier ceux qui concernent les tissus, auxquels IdM a déjà consacrés des articles (ici et là).
Philip Griffiths est né en 1938. Ce qui frappe en lisant son curriculum vitae, c’est qu’il a joué des rôles importants dans tous les aspects de la carrière d’un mathématicien. Professeur, enseignant, chercheur, directeur de thèses, rédacteur de livres, directeur de l’Institute of Advanced Study de Princeton, président d’université etc. Cette médaille récompense véritablement une carrière exemplaire.
Si vous lisez ou comprenez l’anglais, vous trouverez ici une présentation et une vidéo retraçant cette carrière.
Il n’est pas facile d’expliquer en termes simples la signification de la citation officielle :
« The 2014 Chern Medal is awarded to Phillip Griffiths for his groundbreaking and transformative development of transcendental methods in complex geometry, particularly his seminal work in Hodge theory and periods of algebraic varieties. » Je me contenterai de quelques mots-clés.
Méthodes transcendantes en géométrie complexe
Depuis le dix-neuvième siècle, on a compris tout l’avantage qu’il peut y avoir à étudier les courbes ou les surfaces algébriques du point de vue de la géométrie complexe.
Une courbe algébrique, dans la version la plus simple, consiste à considérer l’ensemble des points de coordonnées \((x,y)\) dans le plan qui vérifient une équation polynomiale du genre \(P(x,y)=0\), comme par exemple \(y-2x+1=0\) (une droite), \(x^2+y^2-1=0\) (un cercle) ou encore \(x^3+y^3+1+3xy=0\) (une courbe… plus compliquée).
Une surface algébrique est quant à elle définie par une équation dans l’espace \(P(x,y,z)=0\).
Faire de la géométrie complexe, cela signifie que l’on pense aux coordonnées \(x,y,z\) comme des nombres complexes, ayant leurs parties réelles et imaginaires.
Ce qu’on gagne avec ce point de vue, c’est que la courbe, qui est « de dimension complexe 1 », devient en fait une surface de dimension réelle 2, et que la surface algébrique, de dimension complexe 2 devient de dimension réelle 4 !
On peut penser que doubler la dimension ne fait que compliquer les choses, mais au contraire, cela donne la possibilité d’utiliser d’autres outils.
Parmi ceux-ci, les méthodes « transcendantes » auxquelles la citation fait allusion. A strictement parler, la géométrie algébrique manipule des polynômes ou des objets qui leur sont proches. Une méthode transcendante permet de sortir de ces objets, parfois insuffisants.
Par exemple, si on considère la primitive de la fonction \(1/x\), on aboutit à la fonction logarithme, qui est un bon exemple de fonction non algébrique, dite transcendante.
Les géomètres comme Griffiths n’hésitent pas à considérer les intégrales de fonctions algébriques définies sur des courbes ou des surfaces algébriques, même si cela les oblige à utiliser des fonctions transcendantes.
Cette approche de la géométrie algébrique n’est pas nouvelle. Initiée par Riemann au milieu du 19e siècle, elle a été généralisée par Poincaré et Picard vers le début du 20e siècle pour les surfaces. La généralisation aux variétés algébriques de dimensions supérieures s’est faite tout au long du 20e siècle et Griffiths en a été l’un des acteurs majeurs.
Il est possible d’utiliser des commandes LaTeX pour rédiger des commentaires — mais nous ne recommandons pas d’en abuser ! Les formules mathématiques doivent être composées avec les balises .
Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
Si vous souhaitez ajouter une figure ou déposer un fichier ou pour toute autre question, merci de vous adresser au secrétariat.