Pi a augmenté (très peu) !

Tribune libre
Écrit par Charles Boubel
Publié le 1 avril 2019

Le site Image des mathématiques, en attendant l’annonce officielle prochaine quand la valeur exacte de l’accroissement sera connue, vous explique dès maintenant l’origine de ce phénomène surprenant.

Je l’ai appris ce week-end par un ami qui travaille au bureau des longitudes : le nombre π a augmenté. La valeur exacte de l’accroissement, extrêmement faible, devrait être connue dans quelques jours. L’annonce officielle sera faite alors. On sait cependant qu’il est de l’ordre de \(10^{-33}\) ; c’est probablement la trente-troisième décimale qui passerait de \(2\) à \(3\). Deux questions viennent immédiatement à l’esprit :

  • quelles seront les conséquences de ce changement d’un nombre aussi fondamental?
  • et surtout comment est-ce possible que la valeur de π, une constante mathématique, puisse varier?

Les conséquences

En pratique, aucune. \(10^{-33}\), c’est un millionième de milliardième de milliardième de milliardième. À part pour les fans des décimales de π, qui vont devoir mettre leurs tables à jour, un changement si infime n’aura de conséquence pour aucune activité humaine, même de grande précision. Et même pour les collectionneurs et collectionneuses de décimales, seules la trente-troisième et éventuellement la trente-quatrième décimales seront affectées (voir plus bas).

Comment est-ce possible ?

Ce phénomène singulier est dû à l’expansion de l’univers. En effet, π est la valeur du périmètre d’un cercle de diamètre 1. Or, nous savons depuis Einstein que nous vivons dans un espace courbe et, sous l’effet de l’expansion de l’univers, cette courbure, qui est légèrement négative, s’accroît lentement en valeur absolue. Or vous pouvez observer avec les dessins suivants que plus la courbure est négative, plus le périmètre d’un cercle de diamètre donné est grand.Ici un disque d’une surface à faible courbure négative.Ici un disque de même rayon d’une surface à courbure négative un peu plus grande en valeur absolue. On voit que le périmètre du disque est supérieur au précédent.

 

 

Enfin, un disque de même rayon d’une surface à courbure négative encore un peu plus grande en valeur absolue. Le périmètre du disque est encore supérieur au précédent.

Mais… comment est-ce possible ? La valeur de π est mathématique, c’est le périmètre d’un cercle dans un espace plat voyons. L’univers physique n’a pas d’influence dessus. Eh bien… c’est ce que je croyais également avant d’avoir découvert la logique quantique 3Le mot « quantique » signifie « en rapport avec la physique quantique, la physique des quanta, ces quantités élémentaires insécables d’énergie dont le monde physique observable est constitué, à très très petite échelle ». Mais j’ai découvert, après avoir assisté à de nombreux exposés avec « quantique » ou « quantum » dans le titre, son sens plus précis. La version « quantique » d’une chose signifie : cette même chose, sauf qu’on n’y comprend rien, et même pas qu’il s’agit de cette chose. Par exemple, depuis ma formation en mathématiques, j’ai une idée de ce qu’est un groupe. Eh bien, un groupe quantique, quantum group en anglais, c’est pareil, sauf que je n’y comprends rien —je ne vois même pas où est le groupe là-dedans. Ou bien, par ma spécialisation en géométrie lorentzienne, je comprends un peu la théorie de la gravitation (l’espace « courbé par la matière » etc.). La gravitation quantique (« quantum gravity ») c’est cette même théorie, sauf que je comprends juste les trente premières secondes de l’exposé. J’ai également découvert récemment le transport optimal, et assisté à une conférence sur le sujet. Un exposé était consacré au « transport optimal quantique ». L’orateur, prévenant, a expliqué la correspondance transport classique/transport quantique pour que l’auditoire puisse comprendre : une mesure (en classique), c’est une trace (en quantique), une mesure de Dirac, c’est un état produit et noué (?), une convolution, c’est un beam-splitter (??), et « euclidien » c’est « bosonique » (???). À chaque mot correspond en somme un autre choisi aléatoirement dans le dictionnaire. Il suffisait de prévenir ! 4Je demande humblement pardon à Dario Trevisan pour mon utilisation totalement déloyale de son exposé dans la note précédente.. Pour comprendre précisément ce qui nous occupe, voyez cet étonnant article (2010) du Journal of Quantum Logic (en anglais, mais en accès ouvert, c’est une revue non commerciale qui a de bonnes pratiques). J’y ai découvert que la structure de l’univers lui-même (attention, pas juste de tel ou tel phénomène physique localisé) a une influence sur la logique du deuxième ordre et, par là, sur les démonstrations mathématiques et donc certaines propriétés des objets mathématiques. C’est ce qui se passe ici.

Mais alors pourquoi la valeur de π augmente-t-elle d’un coup, plutôt que continûment ?

Parce que c’est quantique justement ! Aux premiers temps de l’univers, proches du Big Bang, la courbure de l’univers a varié très rapidement, et la valeur de π avec elle. Mais comme toute grandeur quantique, elle ne peut varier que d’un quantum à la fois, de façon discontinue (pensez aux différents niveaux d’énergie possibles d’un électron dans un atome). Or aujourd’hui, sa variation est extrêmement lente, tout comme celle de la courbure de l’univers. En l’occurrence, π est donc resté stable pendant des millénaires, et augmente aujourd’hui d’une valeur de l’ordre de la constante de Planck, cette sorte de grain quantique élémentaire de l’univers. C’est ce que que le bureau des longitudes vient de constater. En outre, par effet tunnel, les décimales au-delà des deux décimales modifiées passent « en dessous » de la modification et restent constantes. On n’aura à modifier qu’un ou deux chiffres dans la suite des décimales exhibée au Palais de la Découverte, ou ailleurs. Mais surtout, c’est une grande chance que d’assister à ce phénomène, bien plus rare qu’une éclipse totale de Soleil !

Post-scriptum

L’auteur souligne que, comme l’information principale de l’article sur l’accroissement de π, les autres faits : sur la courbure de l’univers, sa négativité, son accroissement, le big bang, etc., sont parfaitement exacts.

ÉCRIT PAR

Charles Boubel

Maître de conférences - Université de Strasbourg

Partager