« Piloter » la politique scientifique

Tribune libre
Publié le 18 février 2009

Ci-dessous, sans commentaire (juste deux précisions : ce n’était pas un canular, et ma réponse a été négative), un mail émanant du ministère (j’ai juste enlevé les noms des personnes concernées) reçu le 31 octobre dernier (soit 15 jours avant la première réunion), au sujet de la mise en place de la stratégie nationale de recherche et d’innovation (maintenant fort connue suite au discours du 22 janvier dernier). Attention, restez concentrés pour comprendre les règles du jeu !

« 31 octobre 2008

Chère collègue, cher collègue, La ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur lance un exercice de stratégie sur lequel elle appuiera la stratégie nationale de recherche et d’innovation pour les prochaines années. À l’issue de l’exercice, un rapport final présentera des grands défis thématiques / sectoriels et des défis relatifs au système de recherche et d’innovation lui-même (défis transversaux). Il identifiera des actions au sens large permettant de relever ces défis : un ensemble pluriannuel (quatre ans), cohérent et coordonné d’actions, dans la variété des registres de l’action publique. L’opération est pilotée par xxx pour le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

L’exercice s’appuie sur un comité de pilotage et des groupes de travail. Le comité de pilotage, qui identifie les défis. Pour chaque défi, un groupe restreint d’experts, qui élaborent les versions successives du rapport. Pour chaque défi, un groupe de parties prenantes, qui interagissent avec le groupe resserré jusqu’à la version finale.

L’exercice a lieu en trois phases. Étape 1 : le comité de pilotage identifie les défis — cette étape s’est terminée le 24 octobre. La liste définitive des défis est en cours de finalisation au cabinet de la ministre. Étape 2 : Par défi, élaboration du rapport et mise en débat. De début novembre au 15 février. Une première réunion des deux groupes lance le travail. Cette réunion aura lieu entre le 12 et le 21 novembre. Le groupe d’experts se réunit trois fois en novembre et décembre pour élaborer le rapport. Le groupe étendu des parties prenantes le commente et fait propositions, en allers et retours avec le comité restreint en janvier et février. Étape 3 : production du rapport final, 1<sup>er</sup> mars.

Nous attendons la finalisation par le cabinet des listes des membres des groupes ainsi que les premières indications de cadrage. Il est probable qu’un des défis sera nommé « le numérique, le calcul intensif et les mathématiques ».

Votre participation au groupe des parties prenantes pour ce défi a été proposée et nous espérons qu’elle sera bientôt confirmée. Ce message est là pour vous prévenir officieusement de l’imminence de l’annonce et d’une prochaine première réunion entre le 12 et le 21 novembre… réunion pour laquelle votre présence est espérée.

Amicalement »

ÉCRIT PAR

Wendelin Werner

Professeur - ETH de Zürich (École polytechnique fédérale de Zurich).

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Commentaires

  1. Zindine Djadli
    février 18, 2009
    17h03

    On dirait presque Bernard Laporte en train de préparer un match de rugby important contre les All Black.

    Peut-être que c’est lui qui a écrit cette lettre à la place de Pécresse…

    C’est affligeant de bêtise…

  2. Guy Marion
    février 18, 2009
    22h19

    Merci à Etienne Ghys d’avoir créé ce site ;
    et grand merci à Wendelin Werner de rendre public des messages émanant du ministère quand il juge que ceux-ci sont « dignes » d’être publiés …
    C’est très,très instructif !
    J’ai déjà eu le plaisir de découvrir,dans mon casier de la salle des profs,des élucubrations dont le contenu ressemble à celle que je viens de lire ; mais je croyais naïvement que c’était le « privilège » des profs du secondaire et je me culpabilisais en me disant que si j’avais un peu plus bossé en classe prépa , je n’en serais pas arrivé là …
    Je sais maintenant que les chercheurs de renom ne sont pas mieux lotis !
    Ce serait consternant,si ceux-ci se laissaient faire !
    Heureusement, cela ne semble pas être le cas.

    Merci Wendelin !

    Respectueusement,

    Guy Marion

    http://abcmaths.free.fr

  3. gayet
    février 18, 2009
    23h17

    Entre « C’est Toto qui sort de HEC et va au ministère », « le Club des 5 pilote comme les grands », « Oui-oui et les gros mots magiques » et « Martine découvre le thrill de la recherche manageriale », j’hésite…

  4. Julien
    février 19, 2009
    23h27

    Je suis sincèrement navré, malgré tous mes efforts pour comprendre le problème fondamental de cette lettre, je ne peux que me heurter à de l’ironie à outrance et à de l’humour au quinzième degré. Est-il possible, pour un incompétent de mon espèce, d’avoir une traduction de ce papier ?

    Par ailleurs, je m’attendais à trouver ici des articles me donnant accès à des mathématiques sympathiques, et j’y découvre moult revendications syndicales limite hors propos.
    Je peux comprendre que cette réforme vous travaille et vous fatigue. Ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est le zèle que vous mettez à laisser les gens comme moi hors du débat…

    J’entends trop dire que les non-enseignants-chercheurs sont incapables de comprendre la teneur du problème ! Mais la seule impression qui ressort de cela est d’être pris pour un idiot !

    De plus, j’ai horreur que l’on décide pour moi de ce que je dois penser. Alors lorsqu’on m’affirme que cette réforme est mauvaise, sans m’expliquer pourquoi… je m’énerve.
    Et pourtant, j’ai beaucoup d’admiration et de respect pour votre profession, c’est vous dire !!

    Conscient des risques actuels de votre métier, il ne faut pas pour autant tomber dans un écueil syndical, attrayant certes, mais qui finalement ternirait plus l’image des mathématiciens. Evitez donc ce piège, et racontez-moi donc…

  5. Charles Boubel
    février 20, 2009
    17h02

    Merci beaucoup pour ce commentaire : vous n’avez pas été intimidé par cet échange entre habitués du monde de la recherche, et nous rappelez l’objectif de ce site, qui est d’être compréhensible et pas intimidant. Vous vous êtes fait par là, sans doute, le porte-parole de nombreux autres lecteurs qui n’auront pas osé s’exprimer.

    Je n’ai ici ni le temps ni les moyens de vous expliquer par le menu la réforme et sa contestation. En outre, je ne suis moi-même qu’un tout petit acteur et n’ai donc qu’une vue très partielle de la situation.

    Beaucoup de textes sont disponibles sur internet pour aider à comprendre ces enjeux. Je vous en conseille deux à titre d’exemple.

    Sur le fond. Un texte cosigné par un physicien (Nobel), un mathématicien, un chimiste et un juriste, à travers quatre exemples particulièrement significatifs, montre les malfaçons, selon eux, de la réforme. C’est un peu technique -il le faut pour comprendre-, mais pas trop : adapté je pense, pour vous qui vous intéressez à ce monde de la recherche, sans en être.

    Sur la forme. Outre le contenu de réforme, le discours du président Nicolas Sarkozy du 22 janvier, adressé au monde universitaire, a indigné ses destinataires et en a fait basculer plus d’un dans la grève. L’orateur s’y montre à la fois méprisant pour le monde de la recherche française, et ignorant de ce monde, par les à-peu-près et les importantes inexactitudes factuelles de son texte. J’ai eu moi-même du mal à en croire mes yeux.
    Je vous renvoie donc à une tribune
    récemment publiée par Wendelin Werner -l’auteur de ce présent billet- dans le Monde. Elle éclaire le ressenti des chercheurs.

    Je peux aussi citer d’autres textes, si vous voulez approfondir ou élargir votre vue. Sur le point précis de l’« évaluation des chercheurs », vous avez peut-être lu le billet de Benoît Kloekner sur ce site. Par ailleurs, je trouve intéressant les points de vue exprimés par un thésard en économie sur son blog (y piocher les 5-6 billets traitant des réformes). De lien en lien, vous pourrez vous faire une idée …

    Je conclus sur la lettre reçue par W. Werner, objet de ce billet. Si vous comprenez quelque chose à cette lettre, bravo : moi, pas. C’est du mauvais jargon managérial, rien que cela est assez drôle, si on aime rire jaune.
    Ensuite, l’ambiance y est aux managing justement, avec des « défis, » des « stratégies nationales » etc. Alors deux remarques :

    1) À l’heure où on veut nous vendre une réforme donnant de l’« autonomie » aux universités, cette volonté de pilotage depuis le ministère, sur un mode entrepreneurial et un peu frénétique, révélée par cette lettre, est singulière (et révélatrice).
    2) Cette lettre révèle la vision de la recherche d’au moins un groupe de personnes au ministère. C’est un peu comme une armée, ou comme une entreprise voulant conquérir des marchés : des généraux définissent des stratégies et objectifs (nationaux), et on coordonne et motive bien tout le monde pour les atteindre. Même si l’échelon national est important, si des projets collectifs sont nécessaires, cette vision montre une ignorance de ce qu’est la recherche, et une recherche fructueuse. Voila qui n’inspire pas confiance quand le ministère entreprend une réforme des universités.

    J’ai été long, pour essayer de décoder ce billet et ses « commentaires au quinzième degré ». Je vais à présent essayer de me taire, pour ne pas intimider tous les non-spécialistes : cet espace de commentaires est pour eux.

    • Thierry Barbot
      février 21, 2009
      16h22

      Je crois utile de préciser que cette manière de concevoir une stratégie d’action, qui peut être sensée dans le milieu entreprenarial, est à l’opposé des pratiques dans le milieu de la recherche. Il ne faut pas perdre de vue que faire de la recherche, c’est avancer dans l’inconnu, et que l’essentiel de la difficulté est de discerner la bonne direction.

      Ainsi, prétendre orienter la recherche de toute une nation, par réunion de petits groupes d’experts sur une semaine est stupéfiant d’ignorance des pratiques, de présomption et, malheureusement hautement susceptible de nuire à la qualité des recherches.

      Reprenons ici une anecdote (je cite de mémoire) rappelée lors d’une interview (pour le Point ou l’Express) de J.P. Bourguignon, éminent mathématicien qui a longtemps assumé justement des missions de politique scientifique au niveau national. A l’issue du désastre militaire de 1870, l’état-major français s’était réuni pour définir les raisons de la défaite, et avait conclu aux carences des communications. Ils en avaient donc déduit une augmentation des subventions pour le développement des études et recherche sur l’emploi … des pigeons voyageurs.
      Pendant ce temps, indépendament

      Il est triste de constater cet aveuglement des responsables politique français, alors qu’aux états-unis, la présidence réaffirme le nécessaire respect de l’indépendance scientifique pour en assurer la qualité.

  6. Julien
    février 22, 2009
    15h01

    Merci pour ces nombreuses précisions !

    Si j’ai bien tout compris, l’un des enjeux et dangers majeurs de cette réforme est la volonté de cloisonner la recherche mathématique dans des classes très exclusives, refermant par là même de nombreuses et potentiellement fructueuses pistes.

    Je ne peux que constater que les médias, comme souvent, n’ont pas su relever à leur juste valeur la réelle teneur de vos revendications…

    Avec mes encouragements.