A Nantes se sont ouvertes les fêtes de l’estuaire. Du 5 au 7 juin la ville a été traversée par la petite géante et le scaphandrier. Une histoire chargée d’émotions, racontée par une compagnie au parfum de magie : Royal De Luxe. En regardant le géant marcher, j’ai été saisi, soulevé. Une ligne de lilliputiens (c’est le nom des membres de la troupe !) se tenait prête à se jeter dans le vide, par couple, pour s’agripper à une corde reliée au géant afin de lever sa jambe. En rythme, ils se jetaient, une jambe après l’autre. Les lilliputiens regagnaient leur place et donnaient l’apparence d’un formidable moulin humain. Le mouvement perpétuel : tel un moulin à eau dont on aurait remplacé les ailettes par des humains, ils mettaient en marche le géant, comme on le voit sur la fin de cette vidéo.
En voyant cela mon cœur, comme celui de la foule tout autour de moi, s’est enflammé. Et j’ai eu envie de raconter une autre histoire, celle d’un autre moulin, celle de Don Quichotte de l’Atlantique.
Depuis sept ans un concours Faîtes de la science a été lancé par l’université d’Orsay. C’est devenu un concours nationaldepuis 4 ans, alimenté par des concours régionaux. Celui des Pays de Loire existe depuis trois ans. Après s’être tenu au Mans et à Angers, il a eu lieu à Nantes le 13 mai dernier. Les lauréats, au nombre de trois (un par université participante) prendront part à la finale le 24 juin à l’UNESCO.
C’est dans cette aventure que le club de maths du Lycée de l’Atlantique, à Luçon en Vendée, a décidé de se lancer en décembre dernier. Intrigué-e-s par le chaos, les lycéen-ne-s ont poussé leurs profs à chercher l’ordre dans le désordre. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à franchir la Loire pour aller visiter cet ancien port qu’est Luçon.
L’accueil des enseignant-e-s, des lycéen-ne-s et du proviseur fut on ne peut plus chaleureux et j’ai rapidement été séduit par leurs personnalités, leur enthousiasme et leurs belles idées. Des idées, des envies de chercher et d’illustrer : une démarche scientifique.
Leur première expérience, réalisée en autonomie complète, consistait à voir si, en lançant une bille sur un escalier, elle partait dans une direction difficile à prévoir, s’il y avait sensibilité aux conditions initiales … Mais comment procéder ? L’idée, magnifique, est de rendre les choses palpable, visuelles … ou plutôt audibles ! Chaque marche est ainsi devenue un xylophone (en bois) et on pouvait entendre la déviation de la bille.
C’est à ce moment-là, début février, que je suis rentré en contact (via leur blog) avec le club. Tout ça m’a beaucoup plu et, au retour des vacances de février, j’ai débarqué pour voir et entendre ! L’expérience était belle, mais ne mettait pas en jeu de chaos. Nous avons réfléchi à cela.
Une idée a été de transformer l’escalier en billard. Le projet a été lancé, à la fois en vrai et par modélisation sur un logiciel de géométrie.
Simultanément, un bel article sur le Moulin à eau de Lorenz a été publié sur ce site. C’était trop beau. Je leur en ai fait part et l’enthousiasme fut instantané. Nous avons donc décidé d’essayer de faire un moulin à eau : en vrai et en le modélisant.
Il a donc fallu que je revienne pour essayer de faire comprendre la physique de la chose, et comment en faire un modèle sur ordinateur (en utilisant un tableur). Jos Leys m’a gentiment fourni des explications, pour matheux, et j’ai essayé d’en faire des explications pour lycéen-ne-s. Pas facile quand on s’adresse à des scientifiques en herbe qui ne savent pas encore que la chute libre suit une parabole …
De ce que les collègues pensent être un article pour le grand public à une véritable ressource utilisable en autonomie par le grand public, il y a un pas gigantesque. Un gouffre que peut essayer de franchir le passeur, le médiateur. Un travail que, bien malheureusement, la communauté scientifique n’estime pas à sa juste valeur, ni quant à son intérêt pour la société, ni quant à la difficulté scientifique de la chose.
Quoiqu’il en soit l’envie était là ! Témoin de cela la petite réunion que nous avons faite, pendant les vacances de printemps, chez l’un des « clubistes ». Le lycée était fermé, les ados en vacances, les enseignants aussi et moi à 100 kilomètres de là. Mais nous avions tous envie de voir le moulin ! Et le billard (devenu entre temps planche à clous, mais je ne peux pas raconter toute l’histoire).
Alors, le jour J, les lycéen-ne-s étaient tou-te-s prêt-e-s et y croyaient dur comme fer à ce concours !
Mais, las, le jury n’a pas vu briller les étoiles au fond des yeux de ces grands enfants, il n’a pas compris la démarche ou vu la difficulté des concepts mathématiques, de la physique. Il s’attendait peut-être à un produit fini : la science produit rarement de telles choses. Les ados avaient pourtant fait de grands pas, compris de grandes choses, et ouvert un appétit de science énorme. Les deux idées de Lorenz sont difficiles à comprendre : des scientifiques professionnels ne les maitrisent pas toujours. Mais Manon, Camille, Hided, Audrey, Valentin, Cyril, Alexis, Vincent et les autres ont commencé à les ancrer dans leur vécu, à leur donner un sens. Mieux qu’à beaucoup d’autres, le chaos leur parlera et certains phénomènes de la nature leur parleront …
Tels des petits princes, il y a dans le ciel une étoile pour chacun d’eux, et son rire est celui qui nait de la jubilation à voir un vrai moulin de Lorenz hoqueter, tourner et changer de sens …
Le fait est qu’il n’y avait pas de matheu-se-s dans le jury. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans la salle trainait, à l’affût, une matheuse. Elle a vu et senti immédiatement toutes ces choses : l’intérêt mathématique, sa difficulté, ce que les ados avaient vécu et compris. Elle leur a proposé de monter à la capitale, de venir tenir un stand lors du salon du jeu et de la culture mathématique, place Saint Sulpice.
Alors, à l’arrache, en moins de 15 jours, tout a été fait pour que ce soit possible. Leur prof, leur proviseur ont soutenu cette nouvelle aventure, ultime rebondissement après une grosse déception d’une quatrième place à un concours avec trois gagnants. Et ils ont tenu ce stand avec ferveur, jubilation. De l’avis des stands voisins, ils ont fait beaucoup d’ombre, aspiré tous les visiteurs. À la fin de la journée, les voix étaient cassées. S’adressant aux enfants de maternelle comme à leurs pairs lycéen-ne-s, répondant aux questions des adultes comme des scientifiques professionnels, ils se sont laissés dévorer par leur appétit de science.
À leur insu, d’autres matheu-se-s trainaient dans l’assistance. Et c’est comme ça que le prix André Parent leur a été attribué ! Une belle récompense, amplement méritée, et une belle revanche sur un destin capricieux … chaotique même !
Quand je les ai revu-e-s, juste après ce prix, j’ai pu voir le reflet de cette étoile au fond de leurs yeux. Et je me suis dit que j’étais prêt à tout sacrifier pour une poignée d’étoiles, pour voler encore une fois un moment d’éternité !