Premiers et derniers instants de Galois

Tribune libre
Publié le 26 octobre 2014

Je me demande si la date de naissance d’Évariste Galois traditionnellement indiquée dans les dictionnaires et les encyclopédies est bien exacte…

La déclaration d’état-civil, dressée le 26 octobre 1811 à une heure de l’après-midi par le maire de Bourg-la-Reine, mentionne que l’enfant est « né le jour d’hier à une heure du matin » 5Un scan de la déclaration se trouve ici même.. Soit, au pied de la lettre, le 25 octobre, date de naissance logiquement proposée en 1896 par Paul Dupuy, le premier des biographes de Galois à avoir fait état de ce document, et tout le monde après lui 6Dupuy (Paul), « La vie d’Évariste Galois », Annales scientifiques de l’École normale supérieure, 3e série, tome 13 (1896), pp. 197-266..

Or une précédente notice biographique, parue en 1848, fait naître Galois le 26 octobre et non le 25. Et elle a été illustrée par quelqu’un qui connaissait bien mieux que nous la date anniversaire : Alfred Galois, le frère d’Évariste 7« Évariste Galois », Le magasin pittoresque, 1848, pp. 227-228.

Cette circonstance invite donc à se demander si par « hier à une heure du matin » il ne fallait pas comprendre en réalité « cette nuit ». Le père aurait ainsi déclaré la naissance dans l’après-midi qui la suivait, soit douze heures plus tard, et non le surlendemain, trente-six heures plus tard.

À bien y réfléchir, il existe un test, susceptible ou non de donner un résultat, et qui en l’occurrence plaide en faveur du 26. Devinez-vous lequel ?

Si tel n’est pas le cas, peut-être la lumière jaillira-t-elle, paradoxalement, de l’autre extrémité de la vie de Galois…

Comme Dupuy l’avait déjà remarqué en son temps, il subsiste des archives de l’hôpital Cochin, où le jeune homme est mort des suites du duel que l’on sait. Le Registre des entrées, par exemple, permet de reconstituer en partie son dernier environnement.

Les patients se répartissaient alors entre les salles Saint Charles, Cochin, Saint Jacques, Saint Jean, Sainte Marie, Sainte Marthe, Saint Philippe et, pour celle qui nous préoccupe au premier chef, la salle Saint Denis. Sous le numéro d’enregistrement 954, le dénommé Galois, Évariste, 21 ans [20 ans !], mathématicien, domicilié au 6 de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, dans le 12e, né à Paris [Bourg-la-Reine !], département de la Seine, fils de feu Nicolas-Gabriel [Galois] et Adelaïde[-Marie Demante] y est admis pour une plaie d’arme à feu, lit n° 6, le 30 mai 1832, jusqu’à son décès, le lendemain.

Pour ceux qui ne l’ont pas encore trouvé, je précise que le test est de mise en œuvre immédiate et qu’il ne nécessite aucune connaissance pointue sur la vie de Galois, rien qui ne figurerait déjà dans ce billet, par exemple.

Galois partageait sa chambre avec Prevost, un armurier de 15 ans, Degrand, un cocher de 36 ans, et Boulanger, un journalier de 21 ans, tous admis l’avant-veille, ainsi qu’avec Gardré, un tisserand de 43 ans, admis comme lui le 30 mai, et peut-être Limet, un cultivateur de 50 ans, admis le lendemain, jour de la mort de notre ami.

Si je donne cette liste sans utiliser le conditionnel, c’est que je sais mon lecteur averti quant au recul dont il convient de faire preuve face à toute vérité annoncée, fût-elle de nature administrative. Pour le coup, en remontant le registre, je trouve un certain Bonnet, carrier de 35 ans dans le lit censément occupé par Boulanger, un Melay, journalier de 24 dans celui de Prevost, un Vincent, jardinier de 39 ans, dans celui de Degrand ou un Fisellier, corroyeur de 16 ans dans celui de Gardré.

Les patients changeaient parfois/souvent/systématiquement de place en cours de séjour, j’imagine…

Toutes salles confondues, le registre indique qu’avec Galois furent admis le 30 mai : Jandrin, une journalière de 44 ans, pour maladie du cœur, Berger, un ouvrier de 32 ans, pour fièvre, et Cappé, une blanchisseuse de 33 ans, pour névralgie. La raison de l’hospitalisation de Gardré, déjà listé, n’est pas précisée.

Pour en revenir au test, j’ai le triste devoir d’annoncer à ceux qui sèchent toujours qu’il ne leur reste plus que trois paragraphes avant de trouver la solution.

L’armurier de 15 ans, soigné pour une fracture au bras, est domicilié au 82, rue de l’Oursine, c’est-à-dire à une volée de numéros de la maison de santé où Galois a achevé de purger sa peine d’emprisonnement, prononcée à la suite de son arrestation du 14 Juillet 8Infantozzi (Carlos Alberto), « Sur la mort d’Évariste Galois », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 21 (1968), pp. 157-160.. Je n’attache à ce fait aucune importance particulière, il s’agit simplement de tuer le temps.

Le Registre des entrées et autres archives de l’hôpital Cochin sont consultables en ligne.

Bon…

Une coutume bien connue voulait que l’on accorde parfois au nouveau-né le nom du saint du jour. D’où l’idée de regarder quand tombe la Saint Évariste… Mais oui, elle se fête, ou du moins se fêtait, le 26 octobre !

Post-scriptum

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ÉCRIT PAR

Olivier Courcelle

Mathématicien -

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Commentaires

  1. Rémi Peyre
    octobre 26, 2014
    22h42

    Analyse fort plausible et très bien vue ! 🙂

    À noter qu’il semblerait que la date officielle de la Saint-Évariste ait entretemps été basculée au 27 octobre, cf. le site de la Conférence des Évêques de France : http://nominis.cef.fr/contenus/prenom/3430/Evariste.html.