Il y a quelques mois, nous avons étudié le projet au sein de notre laboratoire de fusionner les trois équipes de géométrie. Cela a été l’occasion de nombreuses discussions, et en particulier d’une réflexion sur le rôle et l’organisation des séminaires. En un mot, que doit-on attendre d’un bon séminaire ?
Déjà, pour ne pas larguer le profane, qu’est-ce qu’un séminaire de recherche 4Disons que je parle ici pour les mathématiques, même si j’imagine que cela se passe peu ou prou de la même manière dans les autres disciplines ? Eh bien, essentiellement, il s’agit d’une rencontre régulière (en général hebdomadaire) pendant laquelle un invité (souvent extérieur au laboratoire, et même à l’Université de rattachement) est invité à faire un exposé devant les membres de l’équipe qui organise le séminaire. Bien entendu, le but premier du séminaire est de permettre à chaque mathématicien de pouvoir se tenir informé du travail de ses collègues, et en particulier des dernières avancées dans son domaine de recherche. Mais au delà de cet aspect, les séminaires ont aussi un rôle social : ils donnent l’occasion à tous les membres d’une même équipe de se retrouver tous une fois par semaine, et contribuent par là-même à fortifier l’unité de l’équipe. Pour bien comprendre la portée de cette dernière remarque, il faut que vous soyez conscients que le travail du mathématicien est encore en règle générale très solitaire, et que si une équipe de recherche en mathématiques se définit par une thématique commune (parfois vague), elle ne se définit certainement pas par des personnes qui travaillent ensemble sur un projet commun, comme cela pourrait être le cas dans d’autres disciplines : les mathématiciens ont parfois — et même souvent, j’oserais dire — plus d’affinités mathématiques avec un collaborateur à l’autre bout du monde qu’avec leur collègue de bureau !
Bien, revenons-en à une question initiale : que doit-on attendre d’un bon séminaire ? C’est à ce moment que les avis divergent. Certains de mes collègues privilégient le côté « outil de travail » : pour eux, le séminaire est d’abord l’endroit où l’on vient pour se tenir au courant des derniers progrès, en espérant que cela puisse être utile pour sa recherche. Dans cette logique, les exposés doivent donc être très pointus et, c’est là que le bât blesse, le corollaire immédiat est qu’ils ne peuvent pas être compris par tous les membres de l’équipe 5Je l’ai déjà dit, mais je le répète, car je pense qu’il est important que vous gardiez à l’esprit qu’il est fréquent que deux personnes de la même équipe travaillent sur des sujets complètement différents, et même tellement différents qu’aucune des deux n’est capable de comprendre le travail de l’autre… et évidemment, ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on avance dans les détails.. Dans ce genre de situations, les gens ont souvent tendance à ne plus se déplacer pour des exposés de séminaire où ils sont sûrs de ne plus rien comprendre au bout de quelques minutes, et sélectionnent rapidement les exposés auxquels ils vont. Le rôle social en est donc très réduit, puisque l’on ne rencontre plus au séminaire que les mathématiciens dont les thématiques sont très proches des nôtres, et donc que, de toutes façons, on cotoie déjà les autres jours de la semaine. Mais, en fait, où est le problème : on peut tout à fait juger que cela n’est pas grave, et que ce n’est en tout cas pas une raison pour détourner le séminaire de sa fonction première.
Certains autres collègues ont un avis différent. Ils pensent que les séminaires doivent être surtout l’occasion de réunir — je dirais presque de fédérer — toute une équipe devant un sujet compréhensible et intéressant pour tout le monde, donc en particulier un sujet qui n’est pas à la pointe de la pointe de la recherche 6On parle parfois de colloquium pour évoquer ce type d’exposés « grand public ». Mais, je ne pense pas que ce soit la même chose : les colloquiums vivent encore à un niveau au dessus, je parle ici de fédérer une équipe (par exemple celle de géométrie), pas de fédérer tout un laboratoire.. Avec cette vision des choses, il est clair que le rôle social n’est plus menacé. En outre, les mathématiciens seraient plus facilement incités à s’ouvrir à d’autres domaines, ce qui, peut-on penser, pourrait favoriser la découverte de passerelles inattendues. En contrepartie, il y a plusieurs objections classiques. Primo, il semble qu’il devienne bien plus difficile de se tenir au courant des dernières avancées dans son propre domaine, ce qui est quand même ennuyeux pour le chercheur qui est supposé être constamment au top dans son sujet. Secundo, lorsque l’on est invité à donner un exposé, on a évidemment très envie de parler du travail que l’on vient de réaliser, et il semble donc un peu délicat de demander systématiquement aux orateurs invités de faire des exposés d’« intérêts généraux ». Il y a toutefois une réponse à ces deux objections (que probablement certains trouveront convaincante et d’autres grotesque) qui consiste à dire qu’après son exposé, l’orateur aura toujours le loisir de discuter informellement des points précis de sa recherche avec les trois ou quatre personnes qui travaillent dans le sujet.
Alors, que penser de tout ça ? Et, en conclusion, que doit-on attendre d’un bon séminaire ? Évidemment, je n’ai pas la solution avec un grand S, mais je peux toujours vous présenter la solution que nous avons retenue, et qui concilie un peu, trouvé-je, les divers points de vue. Nous avons décidé d’inviter les orateurs pour deux exposés de 45 minutes séparés par une pause café de 15 minutes. Le premier exposé permettrait de présenter la problématique de façon si possible compréhensible par toute l’équipe ; la pause serait l’occasion de s’éclipser pour ceux qui n’ont pas d’affinités claires avec le sujet ; le second exposé, enfin, serait un véritable exposé de recherche, beaucoup plus pointu et technique, présentant un ou plusieurs résultats nouveaux ainsi que des détails de leurs démonstrations. A cause des grèves, nous n’avons pas encore pu mettre à l’épreuve cette formule qui, j’imagine, a aussi son quota de défauts ou de vices cachés. Affaire à suivre, donc…