Que se passe-t-il lorsqu’un mathématicien va à la piscine ?

Tribune libre
Écrit par Xavier Caruso
Version espagnole
Publié le 19 janvier 2009

Le scientifique (et en particulier, le mathématicien) a encore souvent une image de personnage assez mystérieux enfermé dans son monde d’équations, parfois complètement déconnecté de la réalité, et de temps en temps même presque incapable de goûter aux (autres) plaisirs de la vie. Même s’il s’agit là manifestement d’un cliché sans doute trop caricatural pour être vraiment pris au sérieux, et même si, quelque part, le but de ce site est de le combattre (en montrant que les mathématiciens eux aussi peuvent s’adresser aux « autres gens »), j’ai envie dans ce billet de m’appuyer sur mon expérience personnelle pour vous montrer qu’il y a aussi certainement un fond de vérité dans cette image.

Voici donc mon anecdote. Pendant les dernières vacances, j’ai rendu visite à mon oncle à Bamako au Mali. La température là-bas en cette saison est de l’ordre de 35 degrés (c’est la saison froide), et pour se rafraÎchir, il est fréquent d’aller à la piscine (au moins si l’on a suffisamment d’argent pour cela). En fait, la maison de mon oncle possédait elle-même sa piscine, et il n’était donc pas rare que l’on y fasse en saut entre deux activités. Pour le propos que je souhaite développer, il est important de savoir en fait que la piscine de mon oncle (contrairement sans doute à la plupart des piscines que l’on trouve en France) n’avait pas de dénivelés : autrement dit, si vous préférez, la profondeur est la même en tout point. N’étant pas au courant de cela, et voulant comme à mon habitude entrer plus ou moins doucement dans l’eau, je commençai par chercher le petit côté. C’est à ce moment que l’intrigue se noue. En sortant de la maison, le hasard me plaça du côté gauche de la piscine. Un simple coup d’œil m’indiqua alors que le côté peu profond est situé à l’opposé. Je fis donc les quelques pas nécessaire pour rejoindre l’autre bord, et c’est en arrivant que je me rendis compte que la pente avait changé de sens : le côté le moins profond était désormais situé à mon point de départ. Fichtre ! Très intrigué par l’affaire, je decidai de revenir sur mes pas en gardant un œil sur cette fameuse pente. Quelle ne fut alors pas ma surprise de voir qu’elle s’incurvait différemment au fur et à mesure de mon avancement, laissant systématiquement, comme pour me narguer, le point le plus profond au plus proche et le point le moins profond au plus éloigné. C’est alors que je compris qu’il ne devait y avoir aucune pente et que tout ceci était un effet d’optique.

Là où, je pense, la plupart des gens en seraient probablement restés sur cette constation et auraient plongé dans l’eau, je n’étais moi-même pas du tout satisfait de la situation : il fallait que je comprenne au plus vite l’origine de ce phénomène ; c’était pour moi clairement plus important que d’aller me rafraîchir 3À vrai dire, je ne me rappelle plus exactement si je suis finalement allé me baigner ou pas… mais ce n’était clairement plus l’essentiel pour moi à cet instant.. Je commençai donc à me remémorer mes cours de physique (en l’occurrence les lois de Descartes sur la réfraction de la lumière), et à réfléchir au problème. Au bout de quelque temps, j’avais bien compris la situation, et n’en pouvant plus, je pris une feuille de papier pour commencer les calculs. Après encore quelques moments de réflexion, je trouvai enfin l’équation de la courbe que j’étais censé voir depuis l’extérieur de la piscine, et je fus très content de constater qu’en effet les points les plus proches paraissent plus profonds que les plus éloignés. Ouf ! Enfin soulagé ! Je ne sais pas ce dont je me rappelerai du Mali dans quelques années, mais je ne pense pas me tromper en affirmant que l’histoire de la piscine me marquera plus longtemps que certains aspects de l’art africain par exemple.

Ma première intention était de compléter ce billet en donnant quelques indications sur le calcul que j’avais fait, ainsi que sur la solution trouvée. (Mal)heureusement, je me suis rendu compte en essayant d’écrire ce passage qu’il serait beaucoup plus simple pour tout le monde qu’il soit agrémenté de jolies images, voire de jolies animations, et le problème est que je ne sais pas encore très bien les faire. J’ai donc décidé d’abandonner cette belle aventure, et de laisser le billet en l’état. En fait, vous l’avez peut-être échappé belle, car le calcul est par certains endroits un peu subtil. Mais, ne croyez quand même pas être complètement débarassé de moi : j’ai pour projet (et j’espère vraiment le mener à terme) de trouver des personnes compétentes 4D’ailleurs, si vous savez faire et que cela vous intéresse, n’hésitez pas à vous manifester dans les commentaires. qui pourraient m’aider à réaliser cette animation… donc, peut-être pourrez-vous la voir sur ce site d’ici quelques mois, et par là-même avoir le fin mot de l’histoire. En guise de conclusion, j’aimerais dire que si j’ai réussi à vous mettre l’eau à la bouche et que vous êtes impatient, croyez-moi, quelque part vous avez l’âme d’un scientifique.

ÉCRIT PAR

Xavier Caruso

Directeur de recherche - Institut Mathématique de Bordeaux (IMB), Université de Bordeaux - CNRS

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