Quel bel avenir !

Tribune libre
Publié le 8 mai 2009

Maths à venir

Le colloque MATHS À VENIR 2009 aura lieu en décembre et fait suite à un colloque semblable, il y a de cela 20 ans. Récemment s’est déroulé un atelier préparatoire à ce futur colloque, à Rennes. Une partie des questions posées concernent les maths dans la société : les maths dans l’enseignement, les maths dans la vie de tous les jours, les maths dans les métiers d’aujourd’hui ou de demain.

Bref, les maths, pour quoi ? pour qui ?

Il a beaucoup été question de l’enseignement, notamment secondaire et supérieur. Les discussions furent passionnantes, mais sans doute un peu techniques … Je voudrais donc, quant à moi, faire un petit panorama des questions abordées en direction de l’école primaire et des maths citoyennes, celles de la vie de tous les jours.

Pluridisciplinarité

Les maths à l’école primaire sont de plus en plus pluridisciplinaires : on apprend à les manier en conjonction avec des questionnements de grammaire ou plus généralement de langue, ou en leur donnant un sens à partir d’autres disciplines (histoire, sciences de la vie etc.). Il est certain que ça permet de diversifier les approches, de rendre les maths plus concrètes ou de leur donner du sens. Mais ça en rend peut-être l’accès plus difficile, car contextualisées de façon excessive ou trop artificiellement.

C’est peut-être à rapprocher du fait que les mémoires de professeur-e-s des écoles doivent en général avoir une partie pluridisciplinaire et que, peut-être par peur de les aborder dans la partie purement disciplinaire, les maths sont souvent dans cette partie.

Autant je pense qu’un projet de classe, mené sur le long terme, est singulièrement enrichi si les maths y trouvent une place naturelle, autant je pense que c’est contre-productif de le faire de façon artificielle ou de le faire tous les jours. La nécessité des maths n’est pas immédiate, ni permanente.

Il a fallu attendre les astronomes arabes pour améliorer les formules de géométrie sphérique ! Avant, les astronomes ne faisaient pas beaucoup d’observations, ou plutôt n’utilisaient pas beaucoup d’observations pour établir leurs modèles et éphémérides. Le théorème des sinus, qui améliore le théorème de Ménélaüs, est une nécessité de calcul. Et un joli théorème aussi !

Les maths ... et les matheu-se-s

Pour penser les maths comme un outil à la disposition de tou-te-s, il faut commencer par les partager. Les expert-e-s doivent quitter la toge du savant (et parfois aussi le masque de l’arrogance) et accepter de n’être rien d’autre qu’un-e citoyen-ne. Dépasser la vulgarisation, car en essence opposée au partage, et aller vers la science populaire. Car il faut sortir de l’alternative malheureusement standard face aux données quantitatives : la vénération ou le déni !

C’est un véritable enjeu social ! Les maths (parmi d’autres) doivent permettre de réaliser des modélisations concurrentes, dans une approche modèle/contre-modèle, qui est incontournable dans une société technologiquement avancée. L’enjeu est l’autonomie mathématique des collectivités, des associations, des entreprises, avec un savoir partagé … ce qui ne veut évidemment pas dire une vérité partagée ! Car la vérité n’est pas unique ! S’il n’y avait qu’une seule vérité, par exemple une seule façon de partager, alors pourquoi aurait-on inventé tant de contrats de mariage différents ?

Les maths permettent d’accepter le doute, et de ne pas chercher à le réduire à une mécanique (hasard, risques déterministes, calcul de sur-risque …).

L’enjeu me semble donc important, et assez clair. Pourtant même si nombre de mathématicien-ne-s pensent que les maths sont partout et importantes dans tous les domaines de la vie, ce n’est pas toujours transparent quand on lit un de leur CV , ou qu’on les écoute lors de l’audition pour un job.

Car, en fait, le problème n’est pas de faire reconnaître les maths comme importantes dans un CV. Le problème est dans les matheu-se-s et dans leur non-intérêt pour les CV … ! C’est vrai que l’utilité des maths est parfois invisible, ou difficile à faire passer. C’est peut-être en partie du fait des matheu-se-s, à leur incapacité à eux/elles de la faire passer, et à leur manque de conviction. Quand on veut montrer à quoi servent les maths, pourquoi penser plus à leur utilité qu’à leur nécessité ?

Savoir s’organiser, poser un problème, le mettre à plat, le décortiquer, remonter la mécanique après l’avoir désossée etc. tout ça s’apprend en faisant des maths. Ce n’est pas un passage obligé (à moins de penser que bien des gens font des maths sans s’en apercevoir … ce qui est tout à fait correct !), mais force est de constater que nos formations d’ingénieur-e-s ne laissent pas indifférent-e-s les employeur-e-s (outre-atlantique par exemple).

Quel avenir ?

Il s’agit pour moi de sortir de la vision de Descartes pour qui il y a une Grammaire et un Dictionnaire … qu’il faut épurer, rendre parfaits, et aller vers un langage commun, une forme d’équilibre. Un langage qui puisse être partagé par les élèves, les parents, les profs, la société … un langage qui accepte la polysémie, et l’intègre.

Ça veut dire qu’on peut bien entendu continuer à faire des maths pour le plaisir, à les développer pour elles-mêmes, forts de la conviction de c’est important pour toute société humaine de développer ses mathématiques. Mais ça veut aussi dire que l’enseignement de masse est un enjeu qu’il faut prendre à bras le corps, qu’il faut se poser la question de comment on se sert des savoirs etc.

Il faut donc valoriser l’expérience de celles et ceux qui arrivent à mettre leurs savoirs à disposition d’un public non spécialisé : on considère trop souvent que les meilleurs éléments d’un labo de maths ont le privilège d’enseigner aux étudiant-e-s les plus avancé-e-s. Les meilleurs éléments ne pourraient-ils pas aller plutôt dans les autres départements enseigner les maths pour les autres disciplines ? assurer les formations de professeur-e-s des écoles ?

Les sciences expérimentales ont fait des efforts pour aller vers les enfants du primaire. Il me semble essentiel que les maths fassent la même démarche. La question des maths, dès la maternelle, est cruciale. Évidemment c’est un grand débat. Je ne suis pas pour un retour à l’apprentissage des bases 2 ou 3 à l’école, ni aux quatre opérations posées en CP. Certaines bases sont des nécessités : 10 pour compter sur les doigts, 12 pour compter les heures, 60 pour les minutes ou les secondes … Les opérations sont évidemment abordées dès la maternelle, toutes ! La méthode experte (posée) est-elle nécessaire ? Ce n’est pas clair ! Poser 25×16 est sans doute une garantie de succès, mais remarquer que 16=4×4 et donc que 25×16=25x4x4=100×4=400 est d’une économie plus grande, et une garantie au moins aussi grande contre les risques d’erreur …

Savoir poser une opération, oui, évidemment. Quand le moment est venu. Et en tout cas pas à n’importe quel prix, pas en capitulant quant au sens. Il ne s’agit donc pas d’aller enseigner des maths impitoyables, dures ou poussiéreuses, ni même parfaites. Non, des maths vivantes. Pas moins difficiles. Pas moins exigeantes.

En fait quand on parle avec des enfants, on sait que le risque est bien dans l’autre sens. C’est très dur ! Dur pour les matheu-se-s, et dur aussi de répondre aux questions des enfants. Dur parce que, comme dans toutes les disciplines, on ne construit pas une vérité parfaite et unique en parcourant un chemin unique, tout tracé. On construit le sens peu à peu. Ce serait un tort de penser que les maths ne sont pas expérimentales. Que la méthode inductive n’y a aucune place et que seules les résolutions de problèmes peuvent la remplacer. On dit souvent qu’en maths on construit une vérité une fois pour toutes, que les démonstrations d’Euclide sont encore valide aujourd’hui. Oui. Oui et non. Combien de matheu-se-s professionnel-le-s sont encore capables de lire Euclide dans le texte ? même une traduction française ? Ce que l’on peut lire facilement, c’est une reformulation moderne de ses démonstrations. Est-on sûr que c’était le sens qu’il leur prêtait ? Est-ce important d’ailleurs ?

En tout cas, les maths d’aujourd’hui se disent avec les mots d’aujourd’hui (ou d’il n’y a pas si longtemps comparativement à l’antiquité). On est donc en mesure de les communiquer à des enfants. Pour cela, il faut les regarder, les écouter et essayer de leur répondre. Apprendre ce que c’est que d’apprendre, être disponible et accepter que parfois c’est l’enfant qui enseigne.

Les maths à venir, qu’est-ce que c’est, alors ? Ce sont les maths que feront les enfants d’aujourd’hui et des années à venir. Il est donc urgent d’être capable de les partager, d’aller à la rencontre des maître-sse-s, d’aller dans les écoles y faire des maths … et d’aller à la rencontre des souffrances en maths.

Qu’un-e syndicaliste ne comprenne pas un écart-type, qu’un-e principal-e de collège ne comprenne pas les effets de seuils sur la gestion de son personnel ou qu’un ministre soit terrorisé devant une règle de trois ne doit pas nous faire sourire. Enfin, pas seulement. Il faut s’en indigner … et faire en sorte que ces enfants qui deviendront à leur tour syndicaliste, principal-e ou ministre utilisent avec aisance ce qui n’est qu’un outil et, avec d’autres outils, d’autres réflexions, bâtissent un monde meilleur. En tout cas plus humain.

ÉCRIT PAR

François Sauvageot

Professeur - Lycée Alain-René Lesage - Académie de Rennes

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