C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris aujourd’hui le décès brutal à l’âge de 47 ans dans sa maison de Melbourne de Greg Hjorth, un mathématicien et un joueur d’échecs exceptionnel.
Avant même de rencontrer Greg Hjorth pour la première fois, je savais qu’il existait déjà tout un débat pour savoir comment prononcer correctement son nom ! Voici d’ailleurs (une traduction de) ce qu’écrivait Greg sur sa page web de UCLA, en plus de quelques conseils avant de se lancer dans une thèse :
Sur la façon de prononcer le nom Hjorth
Au cas où vous voudriez vraiment savoir.) Le nom est danois et, en toute honnêteté, une bonne partie de ma famille a renoncé depuis bien longtemps à encourager les gens à utiliser la prononciation danoise et, au lieu de ça, a décidé de prononcer « Horth » (avec un « h » aspiré et le « th » terminal, ndlr). Parmi les collègues, il y a un effort réel pour essayer de prononcer correctement, la plupart prononçant quelque chose comme « Hyorth » ou « Yorth ». Aucune de ces deux prononciations n’est correcte en fait. La prononciation danoise est « Yort ». Cela dit « Yort » ou « Horth » me conviennent tout à fait. La seule prononciation que je n’aime vraiment pas cependant, c’est « Hajorth ».
En plus d’être un excellent mathématicien, Greg était un redoutable joueur d’échecs, comme il l’est rappelé sur ce blog. Il représenta notamment l’Australie aux Olympiades d’échecs en 1982, 84 et 86 et remporta par trois fois la coupe Doeberlen 1982, 85 et 87.
Côté mathématique, Greg était un logicien, spécialiste de théorie descriptive des ensembles. Dit comme ça, ça peut paraître un peu barbare mais en fait, derrière ces mots, se cachent des questions assez naturelles comme, par exemple, essayer de comprendre « la hiérarchie des ensembles selon la complexité de leurs définitions ». En clair, ça veut dire essayer de comprendre si certains ensembles ne sont pas par nature plus compliqués que d’autres et tenter de mettre un peu d’ordre dans tout ça.
À première vue, on pourrait penser qu’il s’agit là de distractions pour logiciens. Peut-être… mais pas seulement. Les mathématiciens en général se posent souvent des problèmes de classification (il vous suffit de taper « classification » dans le moteur de recherche d’Images des maths et vous verrez que ce terme revient souvent sous la plume des uns et des autres). Les logiciens et leur théorie descriptive des ensembles proposent et développent des outils qui permettent de mieux comprendre les difficultés de certains problèmes de classification et de comparer certains problèmes entre eux.
Ce billet n’est évidemment pas le meilleur endroit pour sourire mais je suis certain que Greg aurait apprécié comment les Shadoks abordent à leur manière la logique du premier ordre, du second ordre et certains problèmes de classification…
Une autre thématique que beaucoup de mathématiciens aiment bien, c’est de prendre un groupe \(\Gamma\) (disons dénombrable) et de le faire agir sur un espace \(X\). Cette fois, le mot-clé, c’est {dynamique}. Si l’on choisit un point \(x\) dans l’espace \(X\) et qu’on regarde tous ces itérés sous l’action de \(\Gamma\), on décrit ainsi l’orbite de $x$. Pour un exemple d’une telle situation, on pourra par exemple relire cet article d’Antonin Guilloux. Peut-on décrire la « statistique » de l’espace des orbites ? Existe-t-il plusieurs « statistiques » différentes ?
Je ne vais malheureusement pas donner un sens précis à ces deux dernières questions qui nous emmèneraient trop loin. Je voudrais juste citer un théorème de Greg et on se contentera d’apprécier la poésie de l’énoncé.
Théorème
Tout groupe dénombrable infini ayant la propriété (T) de Kazhdan 3On pourra par exemple relire ce billet pour se rafraîchir les idées à propos de la propriété (T). admet une infinité non dénombrable d’actions libres, préservant une mesure de probabilité, ergodiques et non orbitalement équivalentes entre elles.
Si quelques résultats autour de ces questions étaient connus dans les années 1980 notamment après les travaux de Connes et Weiss, c’est véritablement le théorème de Greg datant de 2005 qui mit le feu aux poudres et permit de résoudre complètement le problème de l’existence d’actions non orbitalement équivalentes pour un groupe dénombrable en général. Comme bien souvent avec Greg qui avait un esprit très vif, l’idée centrale de sa démonstration fut un argument extrêmement élégant. Dans sa forme la plus dépouillée, en voici une image.
Prenez des confettis (ils peuvent être ronds, carrés ou en forme d’étoiles, peu importe) et disposez-les sur une table qu’on suppose infinie. Les confettis ont le droit de se chevaucher et votre but, c’est de recouvrir complètement la table de sorte qu’on ne la voie plus du tout sous les confettis. C’est évident, il faut un nombre infini de confettis. Cela dit, un nombre dénombrable, ça suffit ! Eh bien, c’est cette remarque toute simple qu’un nombre dénombrable de confettis ça suffit qui, en quelque sorte et de manière très imagée vous l’aurez compris, est un argument clé dans la démonstration de Greg 4Un argument de séparabilité diront certains….
Je me rappelle parfaitement des quelques discussions qu’on a pu avoir ensemble lors de ma première visite à UCLA en 2006 et j’en garde d’excellents souvenirs. À vrai dire, je le revois arriver en retard la première fois qu’on s’était donné rendez-vous sur le campus pour déjeuner et discuter d’un peu de maths. Ce matin là, l’un de ses chats était malade… Et des chats, il en avait plein ! Alors pour se faire pardonner, il m’a invité à aller déjeuner dans un endroit qu’il aimait bien. Ceux qui le connaissaient un peu ne seront pas surpris : c’était un restaurant végétarien, bien sûr !
Évidemment, cette passion des mathématiques, il l’a aussi partagée avec ses étudiants.
Merci Greg. Merci et salut.
Post-scriptum
Merci à Damien Gaboriau pour ses conseils et la première photo de ce billet.