« C’est le regardeur qui fait l’art » (Marcel Duchamp)
L’artiste Marcel Duchamp présentait en 1917, lors d’une exposition des artistes indépendants de New York, un urinoir, sous le titre Fontaine. Cet acte peut être interprété de diverses manières : acte provocateur, gag, ironie (aspect négatif si on se place du point de vue traditionnel de l’art) ou bien acte positif invitant à remarquer qu’il y a matière à trouver de la beauté et de l’émotion dans les objets de notre environnement quotidien (objets manufacturés) ; au même titre que dans les œuvres que l’on qualifie comme telles et auxquelles on réserve une place dans les musées.
Oser exposer un urinoir est audacieux, lorsqu’on se reporte à cette époque ; d’autant plus lorsqu’on est le premier. Je ne pense pas que l’on puisse écarter la part de provocation … mais il faut parfois frapper fort pour se faire entendre. Ce qui, à mes yeux, m’apparaît plus choquant est le mauvais usage que l’on a fait de cette première leçon. Il est difficile de poursuivre dans cette voie 4Dans le même ordre d’idée, je classerai les compressions de César. c’est en quelque sorte un cul-de-sac. La leçon est donnée et c’est à soi, pour soi-même, de se constituer sa propre collection de ready-made. La collection que vous constituerez d’objets, apparemment banals, (pourvu qu’elle soit sincère) sera une photographie de votre personnalité.
On a fait un abus des ready-made. Souvent il est difficile de ne pas considérer la part de snobisme qui, recouvrant et enluminant la facilité, voire l’absence d’imagination, permet seulement à certaines œuvres de ne pas s’effondrer et tomber dans les poubelles de la médiocrité.
Bien longtemps avant d’avoir connaissance de Marcel Duchamp j’avais eu un coup de cœur pour ces simples objets que vous voyez ici et qui ne sont que des roues, pneus. Les amateurs et amoureux des ellipses s’y retrouveront. Hormis que dans l’ellipse, objet purement mathématique, je trouve une certaine sensualité (alors que le cercle me laisse totalement froid ou indifférent), l’association de plusieurs ellipses reliées par une relation simple — comme c’est le cas dans ces jantes, moyeux, pneus sur un même axe et dans des plans de directions différentes, avec le jeu de l’ombre et de la lumière – n’en finit pas de me réjouir… même après de nombreuses années.
La pratique du dessin industriel et l’étude des coniques pendant une certaine période de la scolarité ne sont pas sans influence sur ce plaisir. Lorsqu’on a dessiné à la main nombre de ces objets aussi simples que des écrous hexagonaux (par exemple ; en perspective qui plus est), plutôt que de laisser une table traçante les délivrer, la main et l’œil s’imprègnent et vous nourrissent d’une certaine sensibilité. Dans un objet comme un engrenage conique, il y a une mine d’éléments mathématiques, plastiques, techniques qui ont de quoi vous ravir … ou bien vous laisser indifférent selon votre personnalité.
Dans un pneu, hormis sa nature pseudo torique, il y a les crampons. Je n’y suis pas vraiment sensible, mais l’artiste Peter Stämfli 5Stämpfli et son site. Sur ce site en allant à la rubrique « catalogue raisonné » et vers les pages 10 on voit son travail sur les pneus. a réalisé beaucoup de peintures autour de ce thème.
Ce que je retiens, c’est sa structure ; un réseau de courbes en fils d’acier dont je pense que la composition relève des courbes tracées sur une surface. Ce ne sont pas des spires puisqu’elles ne font pas le tour. Elles viennent tangenter sur le bord. Nous n’avons pas l’occasion de les découvrir, c’est en quelque sorte le squelette du pneu. Pour ce faire il faut le brûler. C’est affreusement polluant, mais ce n’était pas interdit dans mon adolescence et c’était la seule, ou bien la plus simple, manière de s’en débarrasser 6Une autre manière, souvent retenue pour recycler les pneus, consistait à les peindre et en faire des jardinières de fleurs qui venaient agrémenter les parterres.. Du tas de cendre j’extrayais les carcasses et contemplais ce réseau de fil, surpris de sa densité, sa régularité. Je ne songeais pas à y réfléchir en termes de mathématique, je n’en avais aucun moyen, mais je pense qu’inconsciemment cela m’imprégnait comme ces lignes de champ magnétique.
J’ai pris l’habitude de nommer « ready-math » ces éléments simples, banals car usuels, contenant des éléments qui se rapportent aux mathématiques et qui retiennent mon attention. Clin d’œil à Marcel Duchamp qui nommait ready-made ses objets comme l’urinoir, la roue de bicyclette, l’égouttoir à bouteilles … La sensibilité est diverse et variée.
Dans une voie différente, un ready-math poétique, qui est plus abstrait.
Pendant les vacances d’été précédant mon entrée en classe de terminale, me plongeant dans le livre de mathématique, j’avais été arrêté par l’expression qui suit.
Je ne saisissais pas totalement le sens. Je me souviens du moment poétique que je passais à tenter de comprendre. Prononcez à voix haute cette proposition. Je ne sais ce qu’est la poésie … mais je trouvais là quelque délice.
Quel que soit … epsilon … il existe … alpha ! … tel que …
Je trouvais là un plaisir que je ne saurai exprimer.
La seule preuve que je puis avancer pour justifier ce fait, est que depuis toutes ces années … à l’occasion de conférences, j’aime la placer, la prononcer. Le plaisir est toujours au rendez-vous !
Post-scriptum
Les images sont des photos personnelles, sauf pour l’urinoir prise sur le site de Marcel Duchamp et celle du tracteur vert prise sur le site de la firme Deutz.