Dans les temps anciens, les recensements servaient à rassembler les guerriers d’une nation ou à imposer des impôts. Moïse dénombrait les enfants d’Israël (Nombres 1.1-46) et la dynastie des Han en l’an comptait 57 671 400 habitants. Actuellement le recensement permet surtout des prévisions économiques et a été profondément réformé en 2004 (voir ici pour plus de détails) mais ceci reste une opération coûteuse et difficile à organiser.
Il est donc tentant d’utiliser les outils technologiques actuels pour simplifier le processus. Comme le soulignent Pierre Deville et ses co-auteurs (article dans PNAS) il y a presque autant de téléphones en service dans le monde que d’habitants (le taux est de 90% dans les pays en développement et 121% dans les pays développés). Dans le cadre du projet Open Source de cartographie des populations à travers le monde (WorldPop), ils ont donc effectué un recensement en France et au Portugal en utilisant les données anonymisées de presque 1 milliard d’appels.
Les appels au Portugal provenaient de 2 millions d’utilisateurs, soit 20 % de la population. Chaque appel était décrit par la borne d’appel, la durée d’appel et un identifiant utilisateur. En France, les données concernent 17 millions d’utilisateurs, soit 30 % de la population. En raison des différences législatives avec le Portugal, seuls le jour de l’appel et les emplacements des bornes de téléphone sont accessibles.
En utilisant les enregistrements d’appels, les chercheurs ont développé un modèle pour estimer la densité de la population autour de chaque antenne de téléphonie. Les résultats ont montré des tendances claires dans la dynamique des populations et en particulier entre les semaines et les saisons. Pendant les vacances, les populations dans les villes ont fortement baissé, tandis que les sites touristiques (principalement les côtes et Disneyland Paris) ont vu leur population fortement croître (images D à F). Pendant la semaine, les gens se déplaçaient vers les villes pour le travail en semaine et dans les zones rurales le week-end (images A à C). Notons aussi qu’en France le recensement traditionnel est dit de jure (de droit), c’est-à-dire selon le lieu habituel de résidence des habitants et non de facto, c’est-à-dire là où se trouvent les gens le jour du recensement.
Les chercheurs ont également comparé leurs résultats aux données de densité de la population estimées par télédétection. En confrontant les résultats aux données de recensement, ils concluent que les deux méthodes sont comparables en terme de précision même si les données téléphoniques sont sensiblement plus rapides à obtenir. Rappelons enfin qu’actuellement le recensement ne se limite pas à un dénombrement de la population. Par exemple le tout nouveau portrait social de la France nous apprend qu’en 2013 il y a 11% d’enseignants en moins par rapport à 2000 (pour 4% d’élèves en moins).
L’extension de la méthode à d’autres pays n’est pas directe car les modes d’utilisation du téléphone mobile sont très variés. Certains pays peuvent préférer les textos ou internet aux appels tandis que d’autres pays peuvent avoir de nombreux résidents qui ne possèdent pas de téléphone portable. L’approche ne peut être vraiment efficace que si elle est combinée avec d’autres technologies comme le recensement traditionnel. Ce besoin de combiner des types de données différentes a déjà été observé dans les tentatives de prédiction de la grippe à partir des requêtes Google (ici, en anglais) et la récente proposition d’utiliser les requêtes Wikipedia (ici, en anglais) souffre des mêmes défauts. Les données téléphoniques peuvent aussi être utilisées pour suivre les épidémies (voir ici par exemple).
Cependant pour les pays où les données de recensement sont obsolètes et peu fiables, les enregistrements téléphoniques mobiles présentent une alternative simple et efficace. En République démocratique du Congo, par exemple, environ 70% des personnes sont abonnées à des téléphones mobiles mais le dernier recensement a eu lieu en 1984.
Pour terminer on peut noter que l’article est aussi présenté sous forme d’une courte vidéo très pédagogique (ici, en anglais). Ceci permet une présentation du papier plus dynamique que l’habituel abstract en pdf.