Je suis en charge de l’UE Didactique des mathématiques en Master 2 – MEÉF à l’Université de Valenciennes. Comme je ne vois pas de « grand intérêt » à servir une « soupe-théorie » toute faite en disant aux étudiants « Commencez par ça, faites ceci, ne faites pas cela… », je dispense une grande partie de mon cours en faisant exposer chacun d’eux une des leçons qu’il a déjà expérimentées auprès de ses élèves. (Les étudiants de M2 qui sont déjà titulaires du CAPES ont un demi-service d’enseignement dans un établissement du Secondaire.) Ce qui amène à un débat pendant lequel nous (ses camarades et moi) faisons des commentaires, des remarques, formulons des suggestions… C’est aussi l’occasion pour moi d’apprendre des choses sur les programmes et leur évolution (ils changent souvent), la manière dont les jeunes enseignants les perçoivent, les difficultés de ces derniers à s’adapter à leur fonction… J’apprécie vraiment cette activité, et ça m’a donné l’idée de leur demander si certains d’entre eux voudraient bien mettre cela – en toute liberté – dans un texte écrit pour le Débat du 18. Marie-Laure, Christophe, Corentin et Dylan ont accepté de le faire. Ce sont eux qui parlent : ils nous content leurs premières expériences !
En tant qu’enseignants débutants en mathématiques, nous sommes confrontés à des situations qui nous amènent à des questionnements autant sur la discipline elle-même que sur la psychologie des élèves. Nous en avons identifié quelques-unes qui nous semblent caractéristiques de notre activité telles, par exemple, la découverte progressive de l’abstraction, les spécificités et exigences du langage mathématique, la mise en place des premières démonstrations, l’hétérogénéité des élèves aussi bien sur leur profil personnel que social. Chacun de nous s’est proposé de développer brièvement une de ces situations selon sa propre expérience.
1. La découverte progressive de l’abstraction (Corentin Faidherbe, professeur à Douai)
Nous sortons fraîchement de l’université et donc l’abstraction mathématique des programmes de collège nous est familière. Par contre, elle ne l’est pas tout à fait à nos élèves.
L’une des difficultés que nous pouvons rencontrer dans notre métier est d’anticiper l’incompréhension de certains de nos élèves à passer au calcul littéral, une chose qui est pour nous presque une évidence.
Nous rencontrons cette difficulté un peu partout dans les programmes. Par exemple, il n’est pas évident de faire découvrir les nombres relatifs en début du cycle 4. Faire comprendre à un élève qu’un nombre négatif n’est pas seulement une température en dessous de zéro n’est pas chose simple. Un élève qui sort de primaire comprend la soustraction de deux nombres entiers naturels. Il sait qu’il faut retrancher une quantité à une autre et cela lui donne un reste quantifiable. Le passage aux nombres relatifs, et plus particulièrement les nombres négatifs, ne se fait pas naturellement. On peut essayer de se mettre dans la tête d’un élève qui ne connaît que la différence d’entiers naturels et à qui l’on demande de soustraire deux nombres négatifs, qui pour lui, n’ont pas de sens. Cela peut être déroutant !
De même, la production d’une formule utilisant une lettre est quelque chose de compliqué à comprendre pour les élèves. On entend souvent des réactions du type « Que vaut x » ou « Donc on met combien dans la lettre ? » C’est une réaction normale pour quelqu’un à qui l’on a appris à trouver un résultat chiffré qui découle d’une expression algébrique. Donc on attend des interventions du type « Et alors, le résultat finalement c’est quoi ? », ce qui montre bien que l’élève a du mal à se familiariser avec la notion de lettre et par suite de calcul littéral.
Une autre difficulté qui se pose pour nous, enseignants du secondaire, réside dans la partie « géométrie » qui pose plus de soucis aux élèves que la partie numérique. En effet, il faut déconstruire une image qui a été fondée dans leur esprit depuis le plus jeune âge. À l’école primaire, les objets géométriques sont identifiés par leurs caractéristiques visuelles et les élèves s’y attachent éperdument. Au collège, ces objets sont progressivement rattachés à leurs définitions et propriétés.
En conséquence, l’abstraction en mathématiques est une notion difficile à amener à nos élèves de collèges et, en tant que professeurs stagiaires, nous n’avons pas le recul nécessaire sur leurs difficultés, étant donné que ce sont les premiers que nous avons. Pour cela, son implantation est progressive et régulière dans les programmes, et différents outils tels que la schématisation sont mis en place pour que celle-ci soit acquise. Il est donc évident que c’est un domaine pédagogique qui doit encore évoluer car en fin du cycle 4, et même au lycée, beaucoup d’élèves ne sont pas à l’aise avec l’abstraction.
2. Les spécificités et exigences du langage (Christophe Clodore, professeur à Mortagne-du-Nord)
En tant qu’enseignants de mathématiques, nous nous devons de transmettre et de faire pratiquer à nos élèves un langage adapté et précis. Ceci revêt une double difficulté :
- adapter notre langage de mathématicien récemment sorti de l’université en langage mathématique rigoureux et le mettre au niveau des élèves ;
- leur présenter ce langage comme une nouvelle langue qui a ses propres spécificités et qu’il faut faire comprendre et pratiquer.
Pour le premier point, ayant un passé professionnel antérieur à celui d’enseignant du second degré (professeur des écoles et précédemment cadre de l’industrie), j’ai remarqué une constante dans chaque milieu professionnel : un langage propre existe, qui peut paraître abscons pour les non-initiés mais qui pour l’« expert » concerné est une évidence. Il y a ici risque de conduire à des situations de blocage en créant des barrières syntaxiques sans par ailleurs s’en rendre compte. Des terminologies comme conjecturer, soit, quel que soit,… ont interpellé certains de mes élèves. Il en va ici de notre rôle de modèle de s’y tenir mais tout en les faisant partager. Par exemple, il n’est pas rare qu’en début d’année ou alors au début de la rencontre avec une nouvelle terminologie que j’associe celle-ci, dans un premier temps, à une équivalence en « français courant » – pour autant que cela soit possible. Par exemple, j’illustre le terme conjecturer par imaginer. Ceci doit toutefois rester transitoire, simplement pour conduire à l’acceptation du terme et lui donner un sens. Cette démarche aide aussi à démystifier auprès de certains élèves (ou même auprès des familles) les mathématiques comme matière inaccessible, tout comme peut l’être des fois le langage du médecin entendu par un quidam. Une autre méthode qui permet également d’enrichir le bagage culturel de l’élève est de travailler à partir de l’étymologie du mot : à un élève m’interrogeant récemment sur le sens du mot isocèle (il avait compris qu’il était associé au triangle comportant deux côtés de longueurs égales mais s’interrogeait sur le pourquoi de ce mot). Dans ce cas, j’avouai mon ignorance et je me mis à chercher avec lui : isocèle signifie littéralement en grec des jambes de longueurs égales. Le fait d’avoir été transparent (moi non plus je ne sais pas alors que le professeur est censé « tout savoir ») a permis de me mettre au niveau de l’élève, de nous mettre dans une démarche de recherche et que ce mot n’était pas si inabordable. L’exercice fut plus simple avec le terme isométrie pour la rotation car il était plus transparent que ne l’était isocèle.
Ainsi dans notre posture d’enseignant, il convient de savoir mesurer l’écart qui existe entre notre pratique du langage et celle des élèves, et de mettre en place des processus adaptés à notre auditoire pour en transmettre le sens.
Pour le second point, comprendre et pratiquer une nouvelle langue se trouve illustré dans les différentes compétences mathématiques, notamment dans :
- modéliser : traduire en langage mathématique une situation réelle…
- raisonner : démontrer, utiliser un raisonnement logique et des règles établies…
Il va s’agir ici, en tant que jeune enseignant de mathématiques, de s’attacher à être exigeant dans le respect par les élèves des notations (un segment n’est pas la longueur de celui-ci), à ne pas confondre le théorème de Pythagore et sa réciproque, à ne pas se contenter d’une observation sur une figure mais de s’appuyer explicitement sur une propriété ou un théorème, ou encore, et cette liste n’est bien sûr pas exhaustive, utiliser le langage littéral, par exemple dans le cadre de l’étude des fonctions.
En synthèse concernant ce point du langage, notre position d’enseignant doit faire preuve de bienveillance pour expliciter une notation, une terminologie, tout en faisant preuve d’exigence dans le respect de ces mêmes éléments. Cette ambivalence doit donc prendre une place importante dans notre démarche pédagogique et nous devons faire preuve d’une vigilance permanente pour en assurer la conduite
3. La mise en place des premières démonstrations (Marie-Laure Fichelle, professeure à Douai)
Nos élèves ont à développer plusieurs compétences mathématiques, parmi lesquelles les compétences raisonner et communiquer.
Nous avons pu observer dès nos premières corrections que nos élèves ont des difficultés à mettre en place leur raisonnement. Les causes peuvent être multiples : une mauvaise lecture ou l’incompréhension de l’énoncé, le manque de rigueur dans l’utilisation d’une propriété ou d’un théorème, un oubli en cours de route, une rédaction trop lourde qui leur fait perdre le fil.
Tout cela relève surtout d’un besoin de méthodologie.
Le plus compliqué est de leur faire admettre deux choses. La première est qu’ils doivent démontrer tout ce qu’ils utilisent dans leur raisonnement et qui n’est pas indiqué dans l’énoncé. Et la seconde est que le fait que « ça se voit » ne constitue pas une démonstration.
Nous devons donc leur donner des méthodes, des outils pour les amener à mettre en oeuvre un raisonnement structuré et l’expliciter clairement.
Nous devons aussi leur montrer que les mathématiques ne sont pas que des nombres et des figures géométriques !
En somme, il nous faut leur faire prendre conscience de l’intérêt de chercher, d’être curieux, de démontrer. L’enjeu est important puisque la mécanique à mettre en place pour résoudre un problème peut être transposée dans d’autres domaines que les mathématiques. Un élève qui n’aime pas les mathématiques, qui n’est pas à l’aise avec, aura un jour ou l’autre besoin de mettre en oeuvre un raisonnement quelconque ou mettre en place un argumentaire.
Nous pourrions, par exemple, faire un parallèle entre un raisonnement scientifique et une enquête policière : il est nécessaire de se baser sur des éléments que l’on connaît, dont on est sûrs, et qui ont été prouvés pour arriver à une conclusion.
Le raisonnement mathématique suit une logique similaire : il faut se baser sur les éléments donnés par l’énoncé, pour ensuite utiliser des propriétés ou théorèmes connus afin d’aboutir à la conclusion voulue.
4. L’hétérogénéité des élèves (Dylan Saint-Paul, professeur à Cambrai)
En tant que professeur de mathématiques stagiaire dans un collège, l’une des difficultés majeures à laquelle j’ai été confrontée est la prise en compte de l’hétérogénéité de la classe.
En effet, nous enseignons dans des classes composées généralement de 25 à 30 élèves (classes souvent plus chargées dans les lycées) et dont les profils sont tous différents.
Nous, professeurs, devons prendre en considération le fait que chaque élève a des difficultés et des connaissances qui lui sont propres. Nous devons ainsi faire ce que l’on appelle de la différenciation dans le but de faire progresser chaque élève, aussi bien celui qui est en difficultés ( remédiation) que celui qui réussit ( approfondissement des connaissances).
Par exemple, dans une même classe, il n’est pas rare d’avoir à charge des élèves qui ont de grosses difficultés en géométrie mais des facilités en numérique, ou inversement. Mais aussi des élèves ayant de grosses lacunes en mathématiques et des difficultés de compréhension qu’ils « traînent » depuis plusieurs années, tandis que d’autres ayant plus de facilités sont excellents.
Ainsi, lorsque l’on débute dans l’enseignement, on se demande comment il est possible de prendre en compte cette hétérogénéité dans une classe nombreuse.
On peut assimiler les mathématiques à un mur de briques : si les premières ne sont pas bien posées, ou s’il y a un ou plusieurs trous, le mur risque de s’effondrer. Ainsi, si les bases mathématiques vues dans le premier degré ne sont pas solides, il est difficile de poursuivre la « construction » des savoirs mathématiques. Tout comme il est difficile pour les élèves d’apprendre une nouvelle notion s’ils n’ont pas assimilé les prérequis.
Par exemple, dans le programme du cycle 4 (classes de 5ème à la 3ème) les élèves doivent apprendre à construire les patrons de différents solides (cubes, prismes droits, pyramides, cylindres). L’usage de la règle, de l’équerre et du compas est fondamental dans ces constructions. Le problème étant que certains élèves n’auront pas acquis ce savoir-faire et d’autres le maîtriseront parfaitement. Il faut donc penser à remédier à ce problème en reprenant les bases, mais aussi, permettre aux autres élèves de développer leur raisonnement et leurs capacités afin qu’ils puissent construire aisément les patrons.
Les professeurs ont tendance à s’occuper d’avantage des élèves en difficultés et ainsi délaisser les plus performants. Or, il est important de « donner à manger » à ces élèves en réussite afin qu’ils puissent eux aussi progresser et ne pas se contenter de leurs acquis, ce qui pourrait engendrer d’autres problèmes. Un élève qui s’ennuie en classe peut perturber la classe.
Dans la pratique, la prise en compte de l’hétérogénéité peut se faire, par exemple, par des travaux de groupes homogènes ou hétérogènes et où les élèves en réussite permettent à ceux en difficultés de progresser. Elle peut également se faire en proposant des activités différentes à chaque élève selon ses capacités. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients mais toutes demandent de bien connaître chaque élève individuellement.
En conclusion, prendre en compte l’hétérogénéité d’une classe est une difficulté importante que rencontre un professeur. En mathématiques, plus particulièrement, les lacunes accumulées par les élèves sont un frein dans l’apprentissage de nouvelles connaissances car, sans la maîtrise des fondamentaux et des prérequis, il est difficilement envisageable d’aller plus loin. C’est donc des élèves tous différents que nous devons aider à progresser et amener vers des ambitions qui leur sont propres.
9h26
A Corentin :
Par rapport aux nombres négatifs, il me semble que beaucoup d’élèves surtout du collège ne se posent pas des questions « existentielles » ou « métaphysiques » relativement à ces derniers. Ils essaient plutôt de comprendre leurs définitions et propriétés et s’en sortent très bien s’ils sont bons. Toutefois si vous voulez malgré tout faire comprendre aux élèves l’idée de nombre négatif, il faudrait implicitement utiliser les groupes (étudiés au lycée dans les anciens programmes et non au collège). Ainsi chaque entier aurait un opposé qui permet d’obtenir 0 via l’addition. On peut aussi utiliser la symétrie (image et miroir). In fine, Il me semble que c’est très tôt pour faire comprendre aux élèves « le pourquoi » des nombres relatifs, ils ont plutôt besoin de bien comprendre les techniques de manipulation de ces derniers après des définitions, propriétés et règles de calcul claires pour obtenir une bonne note.
Par rapport au fameux x, je suis d’accord avec vous sur un point. Il déroute certains mais le formalisme mathématique est responsable de ce fait « dès le départ » car (et par exemple) pourquoi 1 mouton+1 mouton=2 moutons, 1 maison+1maison=2 maisons et pas 1 x+1 x=2 x mais plutôt x+x=2x ? ; C’est comme si le formalisme mathématique décide de particulariser l’objet x.
A Marie-laure : Il faudra effectivement intéresser les élèves en sortant du carcan ultra sérieux d’un cours de mathématiques : faire des digressions contrôlées ne dépassant pas 5% du temps alloué au cours, parler aux élèves des prodiges mathématiques lorsqu’ils avaient leur âge (Von Neumann, Blaise Pascal, Galois..) ; psychologiquement, dites leur qu’ils peuvent y arriver..etc Et utiliser la technologie un peu.
A Dylan :
Les briques fondamentales des mathématiques ont été « partout » démontées presque une à une sous la pression d’une maladie appelée « reformite » (l’obsession de la reforme) et du mercantilisme. « Partout » on a reformé, on veut reformer, changer, faire évoluer pas toujours dans le bon sens. Mais au moins, vous en Occident, vous avez des soupapes de sécurité. « Ici » quand une reforme est passée, difficile de revenir en arrière. Ainsi par exemple en série littéraire, un ministre avait réduit les maths au niveau de l’éducation physique en termes de coefficient (coefficient 1) pour augmenter le taux de réussite au Bac A.
Bonne chance et du courage