Salon de Jardin

Tribune libre

Une table et deux chaises à stabiliser...

Publié le 26 juin 2016

Ce billet est rédigé en collaboration avec Céline Danard, étudiante en L3 de mathématiques à Vannes, qui a imaginé ce problème.

« La saison va commencer, j’ai des salons de jardin à vous vendre. Une table ronde et deux chaises pour un prix fondu avec en sus une méthode garantie pour une installation non branlante. »

Certes la proposition de ce vendeur de foire est alléchante, mais j’aimerais en savoir plus sur cette fameuse méthode.

– Votre table tout comme vos deux chaises ont bien quatre pieds ?

– Oui, elles en ont quatre et leurs pointes forment un carré parfait.

– Et comment faites-vous pour rendre stable une telle table sur un gazon français qui a connu déjà quelques matchs de foot ?

– C’est tout simple, il suffit de tourner la table d’au plus un quart de tour. Ce qui manquait au bout d’un pied devient de trop et aura donc vu passer l’équilibre parfait.

Ce vendeur en connaissait un rayon, il n’avait pas besoin d’intermédiaire. Je me prends à son jeu.

– Et pour stabiliser une chaise, vous faites pareil… Le problème c’est qu’elle ne se trouve plus tout à fait face à la table !

– Mais enfin ! Placez d’abord votre chaise, puis la table bien devant vous, que vous tournerez si besoin sur elle-même. Les tables que je vends ont quatre pieds, mais sont bien rondes.

Il est vraiment très fort ce vendeur. Mais je crois que là je vais lui poser une colle.

– Vous vendez deux chaises avec votre table. Comment faites-vous pour stabiliser la seconde bien en face de la première et face à la table ?

– Achetez mon salon en entier et je vous donne la solution.

Il avait déjà fait preuve de sérieux, mais là je n’y croyais plus. Je sentais l’arnaque. Mais bon j’avais besoin d’un salon de jardin, celui-là me convenait tout à fait et je n’avais déjà jamais autant parlé de maths avec un commercial.

– Je vous achète ce salon… et sa méthode bien sûr.

– Vous n’allez pas regretter votre achat, la méthode marche sur toute surface assez régulière, disons de classe 2.

– Vous voulez dire de classe \(C^2\)

– Oui, bien sûr, mais en général je dis de classe 2 et les gens ne me posent pas plus de questions, ils comprennent que ce n’est pas forcément analytique et pas seulement continu par morceaux : on ne s’installe pas n’importe où quand même ! La classe 2 c’est un peu comme un terrain de foot de division 2, le terrain de Lille lors du match de dimanche dernier par exemple.

– Et la méthode ?

– La notice de montage est à l’intérieur du carton, vous la lirez à tête reposée, c’est un peu subtil.

– Dites-moi quand même une idée de la preuve, je l’ai acheté votre salon !

– Vous voyez quand vous avez fixé votre chaise, il vous faudra déplacer votre table d’au plus \((2+2\sqrt 2)/4\) fois son rayon pour la placer face à elle.

– Oui, je vois, le pire des cas serait de devoir faire faire un demi-quart de tour à la table.

– Pour une position de table, il y a toujours deux endroits où mettre les chaises bien stables, face à celle-ci.

– Oui, je crois qu’en pensant à un champ de vecteurs qui traverse un cercle on peut obtenir cela. Et après ?

– Après je vous assure qu’en déplaçant la table d’au plus deux fois son rayon, vous trouverez une position où les deux chaises peuvent être mises diamétralement opposées, face à la table et bien stables.

– Ça veut dire que pour être sûr d’être à l’ombre il me faudra trouver une surface ombragée d’au moins neuf fois celle de cette table ?

– C’est déjà bien d’avoir une borne pour ce prix-là !

J’ai embarqué mon achat et à peine arrivé, je me suis empressé de regarder la notice, il y avait bien une solution au problème : magnifique solution !

Des indications dans quelques jours pour ceux qui n’auraient pas encore de preuve… Qui fait mieux que deux fois le rayon ?

ÉCRIT PAR

Sylvain Barré

Maître de conférences - Laboratoire de Mathématiques de Bretagne Atlantique -Université de Bretagne-Sud

Céline Danard

Ancienne étudiante - Université de Vannes

Partager

Commentaires

  1. Clément Caubel
    juin 30, 2016
    10h50

    Je suis prêt à réfléchir, mais ayant participé à la relecture de cet article d’E. Ghys (voir la fin du paragraphe « Arguments topologiques »), je doute de la simplicité des arguments…

    • Sylvain Barré
      juin 30, 2016
      13h34

      À tout point du plan on associe un champ de vecteurs
      (donné par la direction stable d’une chaise). On a aussi un autre champ : son orthogonal.

      Nous allons faire ici une petite hypothèse : il y a une ligne de champ plus courbée que le bord de la table, tangente intérieurement donc, en un point A.
      [Sinon, il suffit de grossir un peu la table (alors oui, on perd alors la borne du déplacement…),
      puis de la rétrécir petit à petit en suivant la solution. ]

      On imagine alors un déplacement de la table en utilisant l’inverse de l’application qui au centre de la table associe un point de son bord où le champ est tangent.
      On déplace donc un point de tangence B vers un autre C distant de lui de moins que 180° ( le point A se situant entre B et C).
      On peut prendre comme chemin la corde entre ces deux points de tangence B et C. Alors si on regarde la fonction écart angulaire entre les points B et C, elle passe d’une valeur à sont complément à 360°. Donc
      par le théorème des valeurs intermédiaires (comme pour la stabilité d’une chaise, ou d’une table :-), doit avoir pris la valeur 180° qui donne une solution à notre problème.

      Pour une petite table, on peut voir sur l’exemple de faisceaux de cercles dans le plan que le déplacement peut être grand (les solutions se trouvent ici sur les axes de symétrie).

      Que pensez-vous de cette solution vendue avec notre salon de jardin ? C’est déjà plus intéressant à lire que les notices de montage classique non 🙂