Séance solennelle à l’Académie des Sciences

Actualité
Écrit par Pierre Pansu
Publié le 12 décembre 2013

23 quai de Conti, 26 novembre 2013. Dans l’antichambre, quelques lauréats arrivés en avance. On sursaute : un groupe de gardes nationaux entre au pas. Cela donne le ton de l’après-midi : les fastes de la République. Pourtant, le cadre est une église, la chapelle de l’ancien collège des Quatre-Nations. Bien que de proportions respectables, la Coupole est un peu exigüe pour abriter la cérémonie. Lauréats et académiciens se serrent dans des fauteuils minuscules, bien plus petits que des sièges d’avion, et envient les visiteurs qui ont eu droit à de véritables chaises. En attendant, on feuillette l’épais dossier préparé par l’Académie sur le sujet de la séance d’aujourd’hui : la remise des prix. Panique ! Me suis-je trompé de date ? La remise des prix, c’était le 15 octobre ! Non, il y a tellement de prix que la remise se déroule en deux fois, il y a eu un premier service le 15 octobre, second service aujourd’hui.

Protocole

A 15h précises, roulement de tambour, les académiciens entrent (je reconnais Yvonne Choquet Bruhat, Jean-Pierre Demailly, Jean-Pierre Ramis et Claire Voisin), avec à leur tête leurs secrétaires perpétuels, Jean-François Bach et Catherine Bréchignac, leur vice-président, Bernard Meunier, et leur président, Philippe Taquet.

P. Taquet prend la parole et salue les invités étrangers. Il rappelle une des missions de l’Académie, d’encourager les chercheurs et les élèves des grandes écoles.

Hommage aux académiciens décédé depuis la séance solennelle précédente. Ces personnes sont allées jusqu’à un très grand âge, la science, ça conserve. Marianne Grunberg-Manago, biologiste moléculaire, première femme à avoir présidé la docte assemblée. Gouri Ivanovitch Martchouk, mathématicien appliqué russe, membre associé. François Jacob, prix Nobel de médecine. Christian de Duve, médecin et chimiste belge, prix Nobel de Médecine, membre associé. Huy Dong Buy, spécialiste de mécanique de la rupture à l’Ecole Polytechnique. Maurice Tubiana, médecin et biophysicien, spécialiste de radiobiologie et cancérologie, professeur à Paris-Sud, combat contre le tabagisme. Jacob et Tubiana, croix de guerre, ont eu droit aux honneurs militaires aux Invalides. Eugen Seibold, géologue allemand, membre associé. Frédérick Sanger, biochimiste britannique, double prix Nobel, comme Marie Curie, Linus Pauling et John Bardeen. Minute de silence.

P. Taquet poursuit sur les bienfaits de la recherche scientifique. Faraday, en 1821, se lance dans des recherches sur l’électromagnétisme, il invente le premier moteur électrique. Il l’expose à Gladstone, chancelier de l’échiquier. Dubitatif, Gladstone demande : à quoi cela peut-il servir ? Réponse de Faraday : Sir, il est probable que vous pourrez percevoir une taxe sur le produit de cette invention. Maxwell, Kelvin ont développé ces travaux, Fert et Grinberg, en 2007, ont eu le prix Nobel pour la découverte de la magnétorésistance géante. Découverte qui a révolutionné le stockage des informations dans les ordinateurs, et rend réalisables nos ordinateurs portables minuscules. Gladstone aurait été heureux de percevoir une TVA sur les disques durs. Un mot de gratitude aux généreux donateurs.

La grande médaille

Elle est attribuée chaque année, par rotation, dans l’une des disciplines représentées. Cette année, c’est le tour des sciences chimiques, biologiques et médicales. La lauréate est Joan Argetsinger Steitz.

Joan Argetsinger Steitz

Née dans le Minnesota, thèse à Harvard, postdoc en Angleterre, carrière à Yale, la grande dame de l’ARN. La lauréate prend la parole en anglais. Heureuse d’avoir joué un rôle dans la révolution de la biologie au XXème siècle. Lycéenne au moment de la découverte de la structure de l’ADN. Fascinée par l’explication ainsi fournie à certaines maladies. Aucune femme autour d’elle dans les labos, elle a failli abandonner. Reconnaissante à son directeur de thèse de lui avoir donné un sujet rien que pour elle, au lieu de la faire travailler pour les autres. A Harvard, elle rejoint le labo de James Watson. A l’époque, on n’étudiait que les séquences les plus simples, inimaginable qu’on puisse un jour séquencer le génome humain. Impact inespéré sur la médecine, l’agriculture. Choix d’un sujet de postdoc (à Cambridge UK) très aventureux, que d’autres avaient décliné. Coup de chapeau aux jeunes collaborateurs, post-docs, thésards et même undergraduates. Le président remet la médaille à Joan Argetsinger Steitz.

Le palmarès

A la lecture du palmarès se succèdent Jean-François Bach, Catherine Bréchignac et Bernard Meunier. Les citations, concises, parviennent à donner une idée de l’importance des progrès scientifiques réalisés, parfois sur des problèmes urgents de la société, dans tous les champs de la science. Le panorama qui s’en dégage est impressionnant. Souvent, la citation souligne, en sus d’une contribution à la recherche, une réalisation marquante concernant la coopération internationale, l’enseignement ou la diffusion de la culture scientifique. Les lauréats, hommes et femmes, sont issus d’horizons assez variés. L’ensemble donne une image très humaine de la science.

Enfin, c’est le tour des jeunes talents. Pour l’Ecole Polytechnique, la Médaille Laplace attribuée au major, et la Médaille Rivot qui distingue 5 travaux de recherche (mémoires de master 2). Tous et toutes en grand uniforme. Pour l’Ecole Centrale, une médaille pour la major. 4 élèves du Lycée Pilote Innovant et International de Jaunay-Clan (Poitiers) sont distingués au titre des olympiades nationales de physique. 5 élèves de CPGE de deux lycées du Quartier Latin sont récompensés au titre des olympiades internationales de physique. Des élèves du Lycée International de Valbonne et du Lycée Le Verrier de Saint-Lô au titre des olympiades internationales de géosciences. Il paraît que le tour des olympiades de mathématiques, c’était lors de la première séance, le 15 octobre.

Pour chaque prix, une courte citation, une poignée de main (photographiée) et une médaille. Je ne suis pas assez vieux pour avoir vécu une distribution des prix à l’école primaire, mais je pense que cela devait ressembler un peu à cette après-midi. Il y a même eu une citation qui faisait drôlement penser à un prix de camaraderie.

Le langage des fleurs

La séance se termine par une merveilleuse conférence de Christian Dumas (section de biologie intégrative) : Le langage des fleurs, mythe ou réalité ?

Christian Dumas

Les œuvres d’art où des significations sont attachées aux fleurs abondent, mais ce n’est qu’anthropocentrisme. Pourtant, en 1983, une expérience va donner une réalité au langage des plantes. Des rameaux aux feuilles agressées émettent un signal gazeux, le méthyle-salicylate, qui déclenche des réactions de défense chez des plantes témoins.

Les plantes possèdent des organes des sens. Les photorécepteurs sont nombreux et variés, ils jouent un rôle dans le déclenchement du fleurissement, de la germination, ou de la photosynthèse. Les plantes ont aussi une horloge interne, comme les animaux.

Un dialogue s’établit entre plante et plante parasite. La tomate produit un composé qui attire la cuscute, le blé contient, lui, un répulsif à cuscute.

Les plantes communiquent avec d’autres êtres vivants. Le sol lèse les racines, qui produisent des phénols qui attirent des bactéries, lesquelles déclenchent la formation de rhizomes. La truffe est une association chêne-champignon qui procède d’un mécanisme analogue.

Le maïs attire une espèce de guèpe qui vient pondre ses œufs dans une chenille qui le parasite. Pour cela, elle émet une molécule hybride, constituée d’une partie venant de la chenille et d’une autre de la plante. Il y a donc un dialogue entre la plante et la chenille.

Et les fleurs ? L’ophrys abeille ne peut pas s’autoféconder, il faut un tiers, en général un insecte. La plante émet un bouquet de molécules semblables aux phéromones des abeilles, l’abeille mâle vient copuler avec la plante.

Pour conclure, C. Dumas cite Le Petit Prince, de Saint-Exupéry. Dans une suite d’allégories, le héros fait des rencontres qui le laissent perplexe. Dans cette galerie de personnages, une fleur donne son point de vue : « Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Ils manquent de racines, ça les gêne beaucoup. »

ÉCRIT PAR

Pierre Pansu

Professeur - Université Paris-Saclay

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