Si seulement j’avais pu suivre des cours de méthodologie statistique…

Tribune libre
Écrit par Gilles Stoltz
Publié le 7 janvier 2010

Cela fait bien huit mois que j’ai acheté Le grand truquage, afin d’en faire une recension sur ce site. C’est un ouvrage écrit par un collectif de fonctionnaires en charge de la statistique publique, celle qui aide l’État à planifier et évaluer ses actions. Il décrit par le menu comment des visées et buts politiques peuvent influencer une étude honnête et rigoureuse des données, bref, comment le gouvernement peut manipuler et influencer le traitement de ces données.

Il s’intéresse aux thèmes chauds suivants : pouvoir d’achat, chiffres du chômage, effet de la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure de la pauvreté, statistiques sur l’éducation, sur l’immigration et sur la délinquance.

Il explique, pour chacun de ces thèmes, les manipulations possibles :

  • changer la façon de compter en gardant apparemment le même indicateur (par exemple, pour les chiffres de la sécurité routière, raccourcir le délai après accident dans lequel un décès est comptabilisé comme imputé à l’accident, ce qui mécaniquement réduit le nombre de personnes déclarées mortes sur la route) ;
  • faire dire à un chiffre ce qu’il ne dit pas (le nombre de gardes à vue est ainsi une mesure de l’activité policière plus qu’une mesure de la délinquance) ;
  • le choix conscient d’un mauvais indicateur (par exemple, un indicateur reportant une moyenne peut cacher un écart grandissant entre des évolutions extrêmes, c’est le cas pour l’indice des prix, qu’il faudrait subdiviser selon les catégories de ménages) ;
  • enfin, … ne retenir que les statistiques qui viennent soutenir un discours et omettre les autres !

Beaucoup de nos concitoyens sont demandeurs d’efficacité et de mesures prétendues objectives de cette efficacité. Hélas ! un tel vœu nécessite une éducation, en l’occurrence, une formation à la méthodologie et à l’interprétation statistiques.

Dans nos cours, plus souvent centrés sur la statistique inférentielle (construction de modèles, méthodes d’estimation, tests, etc.) que sur les statistiques descriptives, réalisons-nous une telle éducation ?

Pour ma part, je compare souvent les mérites de la médiane et de la moyenne en me référant aux salaires. Je demande à mes étudiants combien gagnent en moyenne les Français, et évidemment, se pose la question de savoir s’il s’agit vraiment de calculer le salaire moyen des Français ou s’il s’agit de déterminer combien gagne le Français moyen (auquel cas, il faut reporter le salaire médian). L’écart entre ces deux quantités est important : salaire médian autour de 1950 euros contre salaire moyen autour de 1550 euros. On ne leur fait ainsi pas dire du tout la même chose…

C’est le seul exemple que j’aie en tête et moi-même, je regrette qu’en tant que professionnel de la recherche statistique, je n’ai pas eu la chance et l’obligation de me former davantage à la méthodologie et à l’interprétation des statistiques au cours de ma (jeune) carrière… C’est en fait une éducation très citoyenne, qui devrait être dispensée dans les lycées, afin de toucher le plus grand nombre.

Comme dit Herbert George Wells (1866-1946, écrivain britannique surtout connu pour ses romans de science-fiction) : Statistical thinking will one day be as necessary for efficient citizenship as the ability to read and write (La capacité de penser en termes statistiques sera un jour aussi indispensable, pour une citoyenneté efficace, que celle de lire et d’écrire.).

ÉCRIT PAR

Gilles Stoltz

Directeur de recherche - CNRS, Université Paris-Saclay

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    janvier 5, 2010
    10h22