Ce billet fait partie d’une série sur les « Success stories » européennes liant Mathématiques et Industrie. Ces histoires ont été recueillies dans le cadre du projet intitulé Forward Look « Mathematics and Industry » coordonné scientifiquement par le Comité de Mathématiques Appliquées de l’EMS et financé par l’ESF. Nous les remercions, ainsi que les auteurs pour nous avoir autorisés à traduire ces textes en français. La traduction a été réalisée par Paul Vigneaux.
Auteurs de la version originale : L. Desvillettes, F. De Vuyst, J.-M. Ghidaglia, C. Labourdette et P. Ricoux
Résumé
Un modèle physique simplifié et un solver rapide ont été conçus pour simuler et visualiser, quasiment en temps réel, le craquage catalytique (FCC) 3NdT : en anglais, Fluid Catalytic Cracking. Un procédé de raffinage du pétrole. qui a lieu dans la partie cylindrique du réacteur nommée riser. Pour satisfaire le besoin de simulation en temps réel, un compromis a dû être trouvé entre la sophistication du modèle et la complexité numérique associée à sa résolution. Les choix du modèle physique et des schémas numériques ont ici été intégralement orientés pour que l’outil de réalité virtuelle permette la visualisation et l’interaction en temps réel sur un PC standard. Nous avons pu atteindre cet objectif et délivrer un outil capable de montrer la dynamique de l’écoulement triphasique associé au FCC, en fonction de différents paramètres opérationnels (nombre d’injecteurs de pétrole lourd, angles et débits d’injection, température de la poudre catalytique). Des outils logiciels libres ont été utilisés pour implémenter ce solver : gcc, python, SWIG C++ Python wrapper, wxPython, pyVTK.
L’objectif
Le problème a été posé par la Direction Scientifique de l’entreprise pétrolière française TOTAL. Le défi était de produire un logiciel permettant de « faire voir », quasiment en temps réel sur un PC standard, l’écoulement 3D et triphasique au sein d’un réacteur FCC. Et on souhaitait qu’en plus de la visualisation, l’utilisateur puisse interagir en temps réel sur le simulateur (i.e. pour voir l’effet d’une modification de certaines conditions opératoires). Le modèle doit mettre en évidence la plupart des caractéristiques attendues pour cet écoulement, telles que la dilatation du gaz près des injecteurs de pétrole liquide, le lit fluidisé turbulent, l’émergence de chemins privilégiés pour le gaz, les zones de recirculation, etc. Les paramètres opératoires que l’on voulait pouvoir modifier en temps réel étaient notamment le nombre, l’angle d’attaque et les débits des injecteurs de pétrole, ainsi que la température de la poudre de catalyseur régénérée. L’intérêt industriel d’un tel outil réside dans l’utilisation d’un simulateur facilement déployable pour la formation des personnels et la compréhension du procédé mais aussi pour la conception via l’ingénierie numérique. Pour des raisons internes à l’entreprise, il était demandé de livrer le logiciel en un temps record : 3 mois !
Mise en œuvre de l’initiative
Ainsi, la durée du contrat a été de 3 mois. Une équipe académique pluridisciplinaire de 5 personnes a été constituée : 3 mathématiciens spécialistes de mécanique des fluides et de méthodes particulaires, un ingénieur logiciel et un expert en visualisation scientifique maîtrisant les bibliothèques VTK. Un manager transverse a aussi été choisi pour assurer la cohérence du projet : interfaces entre les composantes du modèle, interface entre les modèles et la composante de visualisation, interface entre les modèles et l’interface graphique utilisateur interactive. Durant le premier mois, des réunions hebdomadaires entre les académiques et l’entreprise ont été nécessaires pour définir précisément les exigences. Ensuite, tous les 15 jours, un état des lieux du projet était réalisé au sein de l’entreprise pour vérifier que le travail en cours correspondait aux attentes industrielles. Le logiciel a été livré sur un ordinateur portable avec un environnement de développement intégré et un accélérateur graphique haute performance.
Le problème
D’un point de vue mathématique et numérique, les écoulements multiphasiques sont connus pour être très difficiles à modéliser et à simuler. Si l’on considère un modèle complet constitué d’équations multifluides moyennées en volume, les temps de calculs CPU seraient de plusieurs semaines pour simuler quelques secondes seulement de temps physique ! Il était donc nécessaire de réaliser un effort important pour obtenir un modèle simplifié. De plus, des solvers très rapides ont été conçus pour réduire les temps de calcul d’un à deux ordres de grandeur. Il est apparu qu’un système couplé de deux solvers particulaires lagrangiens pour les phases liquide et solide et qu’un solver eulérien volumes-finis pour le gaz étaient de bons candidats pour obtenir un compromis ad hoc entre performance et précision du modèle numérique complet.
Résultats
Le travail et le logiciel associé ont été très appréciés par l’entreprise. Le caractère quasi-temps réel était obtenu sur un PC portable, avec la description attendue de l’écoulement. Le logiciel a été entièrement développé en utilisant des bibliothèques « open source », sujettes aux licences publiques de type GPL 4NdT : pour General Public License.. Une évaluation interne de l’entreprise a donné une très bonne note à ce projet. Actuellement, les laboratoires impliqués dans ce succès travaillent toujours avec TOTAL sur des projets reliés. Nous remercions Bruno Frogé pour ses conseils concernant la plate-forme logicielle VTK.
Contact
Philippe Ricoux, Total DG/DS (philippe.ricoux@total.com). Tour Coupole, 2 Place Jean Millier, La Défense 6, 92078 Paris La Défense, France.
Florian De Vuyst, Laurent Desvillettes, Jean-Michel Ghidaglia et Christophe Labourdette (devuyst@cmla.ens-cachan.fr). CMLA, ENS Cachan, France.
Post-scriptum
Pour plus d’informations sur ces « Success Stories » et quelques éclairages sémantiques sur certains termes en italique, on pourra consulter ce billet.