Sous le fer à cheval, la plage

Tribune libre
Écrit par Viviane Baladi
Publié le 14 février 2009

Hier soir, j’ai donné une conférence grand public à la Bibliothèque nationale de France (site web).

J’avais décidé de parler de Steve Smale, un mathématicien qui a fait des contributions essentielles aux systèmes dynamiques (mon domaine de recherche), et qui a eu (et continue d’avoir) une vie hors du commun : diversité des intérêts mathématiques (dynamique, économie, complexité, et bien sûr, la topologie différentielle qui l’a rendu célèbre : inversion de la sphère et conjecture de Poincaré en grandes dimensions), engagement politique (notamment contre la guerre du Vietnam dans les années 60), traversée du Pacifique à la voile (et aussi, comme l’a fait remarquer Jean-Pierre Bourguignon pendant ma conférence, une fascinante collection de minéraux). D’ailleurs, Steve Smale a découvert le « fer à cheval » (un modèle simple de dynamique compliquée qui a joué un rôle important dans notre compréhension actuelle du « chaos ») sur la plage de Copacabana au Brésil.

Martin Andler, qui organise le cycle de conférences « Un texte, un mathématicien » à la BnF, m’avait invitée, en mai 2008, à faire cet exposé. Commémorations de mai 1968, engagement politique, plages… Mon titre était tout trouvé…

J’étais loin de penser que, le jour de la conférence, le monde académique français serait en ébullition ! (Voir par exemple le billet de Benoît Kloeckner)

Hier, j’ai commencé mon exposé en annonçant que, comme bien d’autres laboratoires et universités en France depuis une quinzaine de jours, le laboratoire de mathématiques de l’École Normale Supérieure (<lexique|mot=ÉNS>) de Paris (où je travaille) avait voté la grève (notamment des cours) lundi, pour marquer son opposition aux divers projets de réforme engagés par le gouvernement. J’ai eu la très agréable surprise d’entendre que le public saluait cette information en applaudissant avec un enthousiasme et une spontanéité rares pour un exposé de mathématiques. (En tout cas c’est bien la première fois que j’entends des applaudissements avant la fin d’une conférence de maths !) C’est bon pour le moral de voir que les collègues, mais aussi peut-être les non professionnels présents hier dans la salle, soutiennent notre mobilisation.

PS : Et le reste de l’exposé ? D’après ce que m’a écrit une professeur de lycée qui a amené des élèves de TS : « Ils (tous des garçons) n’ont pas tout compris, mais sont très contents d’y avoir assisté. » Alors moi aussi je suis contente (même si j’ai vu que préparer un exposé de « vulgarisation », ça demande beaucoup, beaucoup, plus de travail qu’un exposé « normal »).

ÉCRIT PAR

Viviane Baladi

Directrice de recherche - CNRS - Sorbonne Université, Paris

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