Statistiques et vie économique : quand le mathématicien est client ou que le client devient mathématicien

Tribune libre
Écrit par Gilles Stoltz
Publié le 31 août 2010
Il y a quelques mois, j’ai été amené à faire passer le concours de recrutement normalien pour un corps technique de l’Etat méconnu : le corps de contrôle des assurances. Suite à une réforme récente de l’administration, ce corps indépendant constitue désormais une direction de la Banque de France. J’ai découvert au passage quelques facettes du métier de ces serviteurs de l’Etat ; notamment, dans leur mission de veiller à ce que les mutuelles et les assurances puissent bien couvrir les frais subis par leurs assurés lors de dégâts, ils vérifient le montant des provisions effectuées par elles. Evidemment, ce dernier repose sur un modèle mathématique (actuaire), qu’il s’agit de valider. En plus de leur compétence juridique et réglementaire, ces contrôleurs doivent donc disposer de recul mathématique. C’est un métier très complet ! 2Voir Mathématicien c’est le top !

La raison profonde pour laquelle j’écris ce billet maintenant, c’est que cette situation idéale de secteur privé contrôlé et vérifié par une autorité publique n’est pas celle du secteur de l’énergie. La semaine passée, une controverse a éclaté sur le fait que GDF Suez facturait à une part importante de ses clients des avances sur consommation bien supérieures aux consommations qui allaient être réalisées, voir par exemple les articles du Monde, de Libération ou du Figaro.

Le principe est le suivant. Un relevé est effectué sur site tous les six mois, qui permet de facturer la consommation réelle au client. Entre deux relevés semestriels, des avances sur consommation sont perçues ; elles sont établies sur la foi d’un modèle mathématique prédictif réalisé par GDF Suez sous son entière responsabilité. Le domaine correspondant de la statistique s’appelle les séries chronologiques et a pour but d’étudier les processus séquentiels de prévision (par exemple : l’évolution du stock d’une entreprise semaine après semaine, de la température ou de la concentration d’ozone jour après jour, etc.).

Or, certains se demandent si ces avances ne seraient pas en défaveur du client et en faveur de la trésorerie de GDF Suez. Certes, aucun modèle prédictif n’est parfait, mais généralement, les erreurs à la hausse et à la baisse doivent tendre à se compenser sur l’ensemble des clients. Les associations de consommateurs vont se pencher sur la question, la justice (et donc des experts mathématiciens !) pourraient avoir à se prononcer, s’ils sont saisis. La question serait alors de déterminer si GDF Suez s’est bien donné les moyens d’établir le modèle prédictif le plus juste possible ou si au contraire l’entreprise a sciemment construit son modèle pour produire des estimées souvent optimistes (sur-évaluées) de consommation.

Si une autorité indépendante de contrôle des entreprises du secteur de l’énergie existait, ce débat n’aurait sans doute pas lieu, parce que le modèle aurait été vérifié et validé en amont. Vous l’avez compris, je suis en faveur d’un nouveau débouché pour les mathématiciens !

PS : Pour ma part, je suis passé à l’auto-relevé bimestriel il y a un an, après avoir constaté deux fois de suite le montant manifestement trop important des avances sur consommation… Là encore, en confrontant les prévisions de son modèle aux auto-relevés, GDF Suez peut voir, en cours de semestre, si ses estimées sont fiables ou si elles partent dans le décor. Je ne sais absolument pas si une telle validation est effectuée.

ÉCRIT PAR

Gilles Stoltz

Directeur de recherche - CNRS, Université Paris-Saclay

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Commentaires

  1. Gilles Stoltz
    septembre 2, 2010
    0h05

    Un ami me signale qu’il existe une autorité indépendante régulant le secteur de l’énergie, la CRE :
    http://www.cre.fr
    mais qu’elle travaille plutôt sur les questions de concurrence dans le secteur, et moins sur les aspects strictement liés aux pratiques commerciales, comme les factures GDF.