Les capacités des élèves de primaire en mathématiques ont baissé depuis 1990 ; plusieurs études l’ont montré. Ce phénomène a plusieurs causes ; l’une d’entre elles tient à la formation scientifique des professeurs d’école. La majorité de ces professeurs a arrêté toute formation scientifique à la fin de la seconde, et a suivi à l’université des formations exclusivement littéraires. Le nombre d’heures consacrées aux sciences et aux mathématiques dans les masters PE (Professeurs des Ecoles), bien inférieur à ce qu’il était dans les anciennes écoles normales, est trop faible pour remédier à cet arrêt de 5 ans, et il a conduit à une génération d’enseignants qui sont fort mal à l’aise devant l’enseignement des mathématiques et des sciences.
Une des solutions à ce problème serait de conduire vers l’enseignement primaire des étudiants ayant une formation scientifique ; mais les licences scientifiques actuelles, en particulier à cause de leur caractère monodisciplinaire, sont mal adaptées à cet enseignement. Ce problème avait déjà été reconnu il y a 20 ans, et des enseignants chevronnés avaient mis au point des licences pluridisciplinaires destinées à former des professeurs d’écoles (voir par exemple le site de Daniel Perrin qui contient de nombreux documents dans sa page « débats et controverses »).
Ces cursus avaient des qualités remarquables :
— ils étaient très demandés, ce qui leur permettait d’être sélectifs, les candidats étant nettement plus nombreux que les postes à pourvoir ;
— leur taux de réussite était proche de 100%, car les étudiants, qui avaient un projet professionnel bien défini, étaient fortement motivés ;
— tous les étudiants ayant suivi l’un de ces cursus qui demandaient à entrer à l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), y étaient automatiquement pris, et leur réussite au CAPE (Certificat d’Aptitude au Professorat des Ecoles) était de 70% les plus mauvaises années (en général rattrapé l’année suivante), et de 100% les bonnes années ;
— en conséquence, ce diplôme avait un taux d’accès à l’emploi proche de 100% ;
— ils étaient très économiques, puisqu’il s’agissait de cursus en un an, avec peu de redoublements ;
— ils recrutaient des étudiants venus de tous les diplômes scientifiques à bac+2, et permettaient une réorientation utile à un public large ;
— enfin, par nature, ils fournissaient une formation particulièrement bien adaptée à de futurs professeurs des écoles, suivant par anticipation le fameux dicton « enseignant, un métier qui s’apprend ».
Une telle réussite, pour un diplôme universitaire, ne pouvait rester impunie d’autant qu’il s’agissait d’un diplôme qui dérogeait à toutes les règles qui régissent l’autonomie universitaire, puisqu’il avait été fondé localement par des enseignants, et non par le cabinet du ministre. Ils sont donc en butte depuis plus de 10 ans à des contraintes multiples, et on a régulièrement interdit aux universités d’en ouvrir d’autres. Les arguments utilisés sont variés :
— les licences suspendues sont interdites (c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir un diplôme qui s’appuie sur d’autres L1-L2, et ne contient qu’un L3). Il s’agit de respecter l’harmonie et la symétrie d’un système fondé sur le LMD (Licence-Master-Doctorat), ce qui prime sur toute autre considération. On doit faire un cursus en 3 ans ;
— on ne peut faire une licence qui ne conduit pas à un master (même si elle conduit à un emploi) ; cet argument est devenu caduc depuis la mastérisation ;
— aucune licence ne peut s’intituler « pluridisciplinaire », car toutes les licences le sont par axiome ;
— il est interdit de proposer un diplôme qui ne prépare qu’à un seul métier, car cela construit un « tunnel », dont les étudiants qui voudraient en sortir pour faire autre chose sont prisonniers. Il faut remarquer que cet argument ne s’applique qu’à la licence (pas de problème pour créer un master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Education et de la Formation) dont 80% des étudiants ne seront pas reçus au concours, pour de simples questions de nombre), et qu’aux professions d’enseignant (cet argument n’est jamais utilisé pour les dentistes ou les médecins, bien qu’ils soient moins nombreux que les professeurs d’école). Le fait qu’un diplôme en un an résout ce problème est irrelevant, comme le fait que les étudiants viennent avec un projet professionnel précis ;
— il est d’ailleurs préférable, dans l’intitulé ou la description de la licence, de ne pas faire mention du métier d’enseignant, sauf de façon annexe, et une telle licence devrait s’efforcer de prouver qu’elle vise à faire autre chose (par exemple journalisme scientifique ou master environnement).
Le résultat a été que ces diplômes, pour s’adapter à ces contraintes, ont pris des formes variées et sont devenus peu visibles, ce qui fait baisser leur attractivité et leur qualité.
La situation est en voie d’évolution rapide ; comme me l’a expliqué un responsable, il y a eu récemment une réunion entre le MEN (Ministère de l’Education Nationale) et le MESR (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de Recherche) au plus haut niveau (ministres, cabinets, directions générales) où on a acté le principe de « parcours PE et polyvalence » qui seraient mis en place à l’intérieur des grandes licences généralistes de lettres et de sciences. Un autre responsable écrit : le modèle est à inventer car il ne s’agit pas de reproduire les L3 suspendues, i.e. ne pas concevoir des cursus sur 1 an déconnectés des L1 et L2 mais bien de construire des approches compatibles avec la spécialisation progressive qui est au cœur de la réforme de la licence. Nous n’en sommes qu’aux premières réflexions car la commande politique n’est pas encore parfaitement définie. On voit bien ici une conception très particulière de l’autonomie, où les cabinets des ministres décident de tout, même si cela « n’est pas parfaitement défini », en sachant seulement qu’ils rejettent tout le travail construit précédemment avec succès.
C’est un bon sujet pour un débat qui a des implications plus larges : on a là une illustration exemplaire du fonctionnement actuel de l’université.
15h09
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