Taux de mortalité du virus Ebola

Tribune libre
Écrit par Avner Bar-Hen
Version espagnole
Publié le 10 septembre 2014

L’Organisation mondiale de la santé s’attend rapidement à une « croissance exponentielle » de la transmission du virus en Afrique de l’Ouest et comme l’a dit le président américain Barack Obama, l’épidémie est actuellement « hors de contrôle ». Le but de ce billet est de voir comment on calcule le taux de décès.

Pour aider à visualiser le phénomène, le graphique ci-dessous représente l’évolution du nombre de victimes ainsi que la qualité des prévisions de modèles assez simples (voir ici ou pour les modèles).

Concrètement les estimations montrent que le paludisme tue autant de personnes tous les deux jours qu’Ebola depuis sa découverte en 1976 (environ 4 000 personnes), mais dans 72 jours ce sera la première cause de mortalité au Libéria, pays le plus touché (voir ici par exemple). Médecins sans Frontières ou le ministre libérien de la Défense (devant le conseil de l’ONU) envisage sérieusement la disparition du Libéria.

La liste des épidémies d’Ebola peut se trouver sur Wikipédia et est représentée ci-dessous :

Selon le dernier bilan de l’OMS en date du 8 septembre (voir ici en anglais), l’épidémie a fait 2288 morts sur 4269 cas, dont 1224 décès dans le seul Liberia. Parmi les victimes, il y a cinq des chercheurs signataires de l’article de Science qui déterminait le « patient zéro » de l’épidémie.

Au vu des précédentes épidémies, on voit que le taux de décès (Case Fatality Rate en anglais) varie très fortement selon les épidémies. Les documents de l’OMS montrent aussi de très fortes variations selon les pays. La manière la plus simple de procéder, et sans doute la plus intuitive, consiste à diviser le nombre de morts par le nombre total de cas répertoriés. C’est ce que l’Organisation mondiale de la santé fait : cela donne 2288 décès ÷ 4269 personnes infectées = 53.56 % de décès.

Cette formule sous-estime sensiblement le taux de décès car le nombre total de patients inclut ceux qui n’ont été infectés que tout récemment et qui vont malheureusement mourir. Ce biais statistique est évidemment plus important quand une épidémie croît exponentiellement : le nombre de « malades qui vont mourir » croît aussi exponentiellement.

Une façon de contourner ce problème est de ne compter que les décès et les patients qui ont été infectés mais qui ont « officiellement » survécu, c’est-à-dire qu’ils ont quitté l’hôpital vivants. En calculant de cette manière, Ebola n’a plus un taux de mortalité de 39 % au Sierra Leone, mais de 61 % (426 décès pour 268 rémissions). Cependant les survivants séjournent en moyenne plus longtemps à l’hôpital que ceux qui succombent, cette formule surestime probablement le taux de décès.

Une autre manière de s’y prendre est d’observer un groupe de patients infectés à peu près en même temps, puis d’attendre assez longtemps pour qu’ils aient tous guéri ou succombé. Une étude sur le séquençage du génome du virus Ebola, parue fin août dans Science, donne une occasion de calculer le taux de décès de cette façon. Les virus étudiés ont été prélevés sur 78 patients qui ont tous été admis dans des hôpitaux de Sierra Leone entre la fin de mai et la mi-juin. 23 ont survécu et donc le taux de décès est de 70 %.

Evidemment sur des échantillons aussi petits, la notion d’intervalle de confiance est primordiale pour éviter de revivre des erreurs comme la sur-estimation de la dangerosité du virus H1N1.

Quelques remarques pour finir :

On pourrait discuter la nécessité de données fiables en santé publique et surtout l’importance de préparer des réactions coordonnées. Ceci éviterait par exemple d’empêcher le travail des organisations médicales en fermant les liaisons aériennes (sans pour autant stopper les mouvements de population ou d’animaux à la base de la transmission).

Science a rendu toutes ses publications sur Ebola libres d’accès ici et en particulier ce papier.

ÉCRIT PAR

Avner Bar-Hen

Professeur titulaire de la chaire "statistiques et données massives". - Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)

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