Te Reo Pangarau – Le langage mathématique māori

Tribune libre

Une success story ou un cheval de Troie ?

Écrit par Bill Barton
Publié le 28 juillet 2017

La langue māori – te Reo Māori – est une langue polynésienne parlée dans toute la Nouvelle-Zélande. Il existe quelques différences dialectales entre régions, mais c’est essentiellement une seule langue. Elle est très proche du tahitien, de l’hawaïen, du tongien et du rarotongien, et ceux qui parlent ces langues couramment se comprennent mutuellement.

Peu après le début de la colonisation de la Nouvelle-Zélande par l’Angleterre (devenue officielle avec le traité de Waitangi en 1840), des missionnaires créèrent des écoles ouvertes à la fois aux enfants européens et māoris. Certaines de ces écoles offraient un enseignement en langue māori et l’on produisit des manuels en māori modelés sur les textes anglais. Le premier fut publié en 1858. C’était la traduction en māori d’un manuel anglais et elle avait été effectuée par Wiremu Taratoa, un enseignant et missionnaire māori qui avait voyagé avec l’évêque Selwyn en Nouvelle-Zélande et dans le Pacifique. Dans cette traduction, qui utilisait principalement le langage quotidien, les termes techniques étaient gérés, soit en traduisant l’idée qu’ils portaient, soit tout simplement littéralement pour leur donner une consonance māori. Le mot « mathématique » devint ainsi « mahiwhika » [travail avec des figures] et « multiplication », « matapikikeihana », qui sonne māori mais n’avait pas de sens préalable. Après une période où l’on découragea l’enseignement en langue māori, à partir de 1976 on commença à créer des écoles primaires bilingues puis, au début des années 80, des sections bilingues dans quelques écoles secondaires. Et l’on créa aussi un petit nombre d’écoles d’immersion māori (Kura Kaupapa Māori).

Ces initiatives ouvrirent la voie à un travail intensif sur le langage des mathématiques en māori, et le ministre de l’éducation chargea un petit groupe de développer ce langage pour qu’il permette d’enseigner les mathématiques jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire. Le groupe travailla de la façon suivante : il organisa d’abord une série de rencontres avec enseignants et communautés, là où existaient des écoles primaires bilingues, pour déterminer le langage mathématique élémentaire qui y était utilisé ; il travailla ensuite avec des mathématiciens et des experts en langue māori pour créer les nouveaux termes nécessaires à l’enseignement secondaire et finalement, il suggéra une liste de termes, accompagnée de notes grammaticales, et la soumit à la Commission de la langue māori, l’organisme gouvernemental qui est le « gardien » de cette langue. Ce processus s’acheva avec la rédaction d’un dictionnaire « temporaire » de termes suggérés et sa diffusion. Deux ans après, le cycle fut répété, en s’adressant d’abord aux communautés et aux écoles pour savoir quels termes avaient été adoptés ou non, puis en créant de nouveaux termes lorsque nécessaire, et en les soumettant à la Commission de la langue māori. Une nouvelle liste fut ensuite publiée. Et ce n’est qu’après un troisième cycle qu’un dictionnaire « final » fut élaboré et annexé au nouveau curriculum de mathématiques de 1994. Ce dictionnaire final a cependant continué à être modifié et il le sera sans doute encore dans le futur. On trouve une description détaillée de l’ensemble du processus dans Barton, Fairhall et Trinick (1998).

Il y a un épilogue à cette histoire. Après dix ans de travail, le petit groupe n’était pas pour autant satisfait. Certes, il avait réussi à produire un vocabulaire māori pour l’enseignement des mathématiques, et ce vocabulaire était généralement bien accepté. Mais ses membres avaient l’impression diffuse que quelque chose n’allait pas. Ce n’est que trois ans plus tard que l’un d’entre eux parvint à identifier le problème, connu aujourd’hui comme le cheval de Troie du langage mathématique māori.

Le māori a été initialement traduit en anglais par des missionnaires anglophones et, depuis lors, la grammaire māori s’est progressivement rapprochée de la grammaire anglaise. Mais il existe des particularités, et l’une d’elle réside dans la négation d’énoncés concernant les nombres, par exemple un énoncé comme : « Il n’y a pas trois œufs, il y en a quatre. » En māori, la négation prend une forme différente pour les adjectifs et pour les verbes, et les nombres y sont niés comme des verbes. Ce fut un premier indice. Des recherches complémentaires montrèrent ensuite qu’en langue māori, dans la période pré-européenne, les nombres étaient utilisés sous forme verbale. Et c’est d’ailleurs encore le cas en tahitien, une langue qui a été traduite en anglais par un chef tahitien, et non par un missionnaire anglais.

Le processus qui a conduit à moderniser la langue māori pour pouvoir l’utiliser dans un curriculum mathématique standard a, de fait, contribué à la corruption de cette langue, et ceci s’est traduit par la disparition de concepts mathématiques. À mes yeux, c’est une perte comparable à celle du matériel génétique causée par l’extinction d’une espèce. Quels dégâts peut-on faire avec les meilleures intentions du monde !

Référence

  • BARTON, B. ; FAIRHALL, U. & TRINICK, T. (1998) Tikanga Reo Tatai : Issues in the Development of a Maori Mathematics Register. For The Learning of Mathematics 18 (1), 3-9.

Post-scriptum

Ce texte appartient au dossier thématique « Maths et langage ».

ÉCRIT PAR

Bill Barton

Professeur - Université d’Auckland (Nouvelle-Zélande)

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