Tour d’ivoire

Publié le 29 novembre 2010

Jeudi dernier, Jean Dhombres donnait une conférence à l’occasion des troisièmes rencontres Jules Verne, à Nantes. Celles-ci s’étaient donné comme objectif de discuter autour du thème Science, technique et société : de quoi sommes-nous responsables?, après avoir exploré le partage du savoir en 2008 et les machines et la science en 2005.

La conférence, peu médiatisée, de Jean Dhombres explorait la question de La mathématique pure comme refuge des responsabilités pour les temps tragiques – De l’affaire Galilée à Vichy. C’est bien dommage qu’il y ait eu un auditoire si réduit (avec ma classe de 43 étudiant-e-s, nous avons plus que doublé le nombre d’auditeurs … et réduit de près de moitié leur âge moyen !) car la conférence était passionnante.

Je pensais naïvement que la mathématique pure serait présentée comme une fuite, comme un refus de la part des scientifiques d’assumer leurs responsabilités dans la société. Ce n’était pas le propos, et il n’était pas dans l’intention de Jean Dhombres de théoriser, mais plutôt de présenter deux exemples.

Le premier est Grégoire de Saint Vincent. Ce jésuite, contemporain de Galilée, est séduit par les thèses du Sidereus nuncius et tente de les diffuser à Louvain. Mais ce qui est reproché à Galilée, ce n’est pas d’avoir raison, c’est que, en mettant du chaos dans l’univers, il met du chaos dans la vie politique. Pour cette même raison, Grégoire de Saint Vincent est rappelé à Rome, puis envoyé à Prague en 1626 (une sorte de mise au placard … un placard protestant). Une fois ainsi mis à l’écart, il se consacre à la mathématique pure pour faire naitre le calcul intégral et donner la définition du logarithme que nous connaissons. Et, bien qu’il continue à étudier la parabole et les coniques, il ne dit plus quels en sont les liens avec la chute des corps ou le mouvement des planètes … il s’est retiré de la vie politique !

Et pourtant, quelques années plus tard, la mathématisation des problèmes physiques, par Leibniz et Newton, lui doit beaucoup. Ne pouvant s’engager pour son temps, il a œuvré pour les temps à venir.

Le second est Laurent Schwartz. Jean Dhombres le présente comme pacifiste (ou plutôt non-violent) et marqué par les idées probabilistes en raison de la vogue de l’économétrie à l’école polytechnique. Mais à l’heure où rénover l’économie, c’est avant tout servir l’économie de l’occupant, comme en témoigne le parcours de Jean Bichelonne (major de l’école polytechnique, ministre sous Vichy), Laurent Schwartz découvre le monde de Bourbaki et s’y réfugie … pour résoudre sa contradiction, entre la violence qui lui est faite et sa non-violence, et pour lui permettre de vivre intellectuellement.

Et pourtant, il devient le premier médaillé Fields français pour une théorie massivement utilisée en physique. Une théorie qui pouvait sembler sans aucune utilité (comme la plupart des théories développées par Bourbaki), mais qui s’est révélée incontournable dans les applications.

Ce que conclut Jean Dhombres c’est que ces refuges sont en fait, dans les cas étudiés, des ouvertures pour les interactions avec le réel. Je dirais, avec mes mots, des tunnels : ce que le temps présent n’est pas prêt à recevoir, ou que le(a) scientifique n’est pas prêt(e) à lui donner, la mathématique peut le transmettre … à retardement. Pour certain(e)s, ce refuge est un véritable engagement politique. Ce le fut très certainement pour Laurent Schwartz, et apparemment aussi pour Grégoire de Saint Vincent.

ÉCRIT PAR

François Sauvageot

Professeur - Lycée Alain-René Lesage - Académie de Rennes

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Commentaires

  1. N. Rougerie
    novembre 29, 2010
    19h57

    Hum … Laurent Schwartz pourrait avoir quelque chose à redire sur ses motivations mathématiques d’avant guerre. Cf son autobiographie.