Trois jours avec des lycéens japonais

Tribune libre
Écrit par Étienne Ghys
Publié le 26 septembre 2014

Le lieu

Depuis une dizaine d’années l’université de Tokyo est propriétaire d’un chalet à la montagne, à environ 150 km de la capitale, pouvant héberger une quarantaine de personnes. Le lieu est parfait pour y organiser des rencontres mathématiques diverses. Régulièrement, ce sont des groupes de lycéens qui viennent y faire des maths. Je viens d’avoir le plaisir de participer à l’une de ces réunions.

Le chalet de Tambara

 

Les participants

24 lycéens qui sont au niveau de la classe de première (si on compare avec notre système français). Les organisateurs pensent en effet qu’en terminale, les élèves sont beaucoup trop concentrés sur leurs examens, et n’ont pas la liberté d’esprit requise pour ce genre d’activités. Tous les lycéens proviennent du même département 3On parle de préfecture au Japon, ici il s’agit de la préfecture de Gumma. Les lycéens sont choisis parmi ceux qui ont réussi un petit concours et qui, bien entendu, souhaitent participer. Ils sont donc tous motivés.

12 garçons et 12 filles. Il semble que parmi les filles qui ont de bons résultats au concours préliminaire, très peu souhaitent participer. Les organisateurs ne s’expliquent pas vraiment ce phénomène.

Les élèves arrivent le samedi matin et repartent le lundi après-midi.

4 enseignants du secondaire, qui ne sont pas nécessairement les enseignants des élèves.

6 TA (teaching assistants) : il s’agit d’étudiants en fin de master ou en cours de doctorat qui assurent l’intermédiaire entre les élèves et les professeurs. Leur rôle a été fondamental.

3 professeurs universitaires : en l’occurrence, il y avait :

  • Masahiko Kanai, géomètre, également professeur à l’Université de Tokyo.
  • et moi, donc.

Le déroulement

Je dois dire que j’ai commencé par être surpris à l’arrivée des élèves, tous en uniforme. Tout en étant joyeux, ils étaient incroyablement disciplinés et d’un calme absolu, à en faire pâlir d’envie n’importe quel enseignant français. Chacun s’est assis sagement à sa place (qui avait été décidée à l’avance) et la « cérémonie d’ouverture » a pu commencer. Là aussi, j’ai été surpris par le côté formel des discours, mais en y réfléchissant je me suis dit que c’était une excellente chose de marquer clairement le début d’une activité.

Les TA se présentent lors de la cérémonie d’ouverture

Ensuite, j’ai donné un cours d’une heure. Le thème choisi pour le weekend était « cercles et sphères ». Pour les élèves, c’était la toute première fois qu’on leur parlait de maths en anglais, et il faut bien reconnaître que leur connaissance de l’anglais est pour le moins rudimentaire. Heureusement, Takashi traduisait tout ce que je disais. À vrai dire, comme les traductions étaient un peu longues, j’en ai déduit qu’il ajoutait un peu de « sauce » à mon discours pour le rendre plus compréhensible…

Je montre un inverseur de Peaucellier

Ensuite venait la séance d’exercices. Les élèves étaient par groupes de quatre, chacun sous l’orientation d’un TA. J’avais proposé des exercices très concrets qui consistaient à construire des inverseurs de Peaucellier avec des baguettes de bois, ou une sphère en papier qui se replie. Il fallait voir les élèves au travail. Un vrai plaisir.

Fabriquer une sphère en papier

Les enseignants aussi aiment bien découper des sphères pliantes.

Enseignants au travail

Ensuite, c’était le cours de Masahiko, qui tournait autour des empilements de boules.

Masahiko empile des disques et des boules

Ensuite le cours de Takashi, qui avait gonflé un gros ballon pour expliquer les triangles sur la sphère : il me faisait penser à Charlie Chaplin dans « Le dictateur » !

Le ballon du doyen

Après le repas, tous les élèves doivent être dans leurs chambres avant 22 heures. C’est alors que les enseignants peuvent sortir quelques bouteilles de saké !

Le lendemain, session de problèmes : chaque professeur suggère quelques thèmes de réflexion aux élèves. Je leur ai proposé par exemple de fabriquer des modèles de « Brazuca » comme je l’ai expliqué dans IdM.

Une promenade dans la montagne.

Retour de promenade

Au retour au chalet, chacun des groupes avait choisi son problème et tout ce petit monde s’est mis à y travailler, avec l’aide des TA et des enseignants. J’ai été proprement stupéfait de voir leur ardeur au travail, dans une vraie bonne humeur (et dans le calme…). Après le repas du soir, ils s’y sont remis et la majorité d’entre eux étaient encore en train de découper du papier, de couper des baguettes de bois, de résoudre telle ou telle équation, après deux heures du matin.

Elèves au travail

Elèves au travail

Le lendemain matin 4après un copieux petit déjeuner à la japonaise, avec soupe, riz et poisson. Délicieux !, chacun des six groupes a présenté un exposé de 30 minutes pour expliquer les résultats de leur recherche. Il m’est difficile de commenter la qualité de ces exposés, bien sûr en japonais, mais une chose est sûre : l’enthousiasme y était.

Un inverseur de Hart

Et puis, bien sûr, une cérémonie de clôture (un peu longuette) où chacun reçoit un certificat des mains de Takashi.

Cérémonie de clôture

Un bilan

Chaque élève remplissait un formulaire dans lequel il donnait son opinion détaillée sur chaque cours et sur chaque activité. À de rares exceptions près, ils étaient enchantés de leur séjour et ils disaient presque tous qu’ils étaient heureux d’avoir vu des maths d’un point de vue différent de ce qu’ils voyaient au lycée.

Il n’y a eu aucune question directe d’un élève à un professeur. Je ne suis pas étonné qu’on ne m’ait pas posé de questions car je ne parle pas japonais. Mais il semble que les élèves ne posent jamais de questions dans les écoles japonaises. Il paraît que ça ne se fait pas et que les élèves sont encouragés à réfléchir par eux-mêmes. Dommage… Cela dit, les questionnements existaient et transitaient par les TA, si bien qu’au bout du compte il y avait des questions et des réponses.

Initialement, je me suis demandé si cette organisation poussée à l’extrême était bénéfique. Il est clair que les japonais y sont habitués depuis leur plus tendre enfance et je pense que j’étais le seul à être étonné. Mais j’ai vite compris l’efficacité de ce système et je me demande si nous ne devrions pas importer quelques-unes de ces méthodes en France !

En tous cas, c’était une expérience très intéressante pour moi.

Un championnat

J’avais dit aux élèves qu’on trouve sur internet un enseignant américain qui se prétend (avec humour) champion du monde dans l’art de dessiner des cercles parfaits à la craie au tableau noir. J’ai proposé qu’on organise un championnat entre nous. Pour chaque partie, le gagnant était décidé à l’applaudimètre : je mesurais le nombre de décibels avec une app sur mon iPhone ! Le champion a atteint 88 décibels… Je me demande combien de décibels on aurait eus avec une classe française ?

Concours de cercles

Post-scriptum

Le nombre 26 apparaît dans les petites affiches en haut des tableaux noirs. Un lecteur (non japonais !) pourra-t-il deviner quelle est la signification de ce 26 ?

ÉCRIT PAR

Étienne Ghys

Directeur de recherche CNRS émérite, Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences - École Normale Supérieure de Lyon

Partager