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Tribune libre

trompe l’esprit : qu’est-ce qu’un cercle ? Nous le voyons rarement comme tel et pourtant son image est inscrite dans notre esprit

Écrit par Pierre Gallais
Version espagnole
Publié le 12 septembre 2013

Trompe l’esprit : qu’est-ce qu’un cercle ? Nous le voyons rarement comme tel et pourtant son image est inscrite dans notre esprit

Parcourant mes anciens travaux je retrouve l’exemple suivant.

C’est une anamorphose réalisée en 2005. Cela n’aurait guère d’intérêt s’il n’y avait ces disques orange disposés sur un cercle réel : je veux dire que ce cercle n’est pas en anamorphose contrairement à la croix jaune. La conjonction de ces deux états produisait un phénomène particulier.

Du bord de la route, la croix ressemblait plutôt à un ciseau. Lorsqu’on se déplaçait vers le bon point de vue la « croix » se redressait et s’approchait de la forme finale qui est la croix que vous voyez sur la dernière image. Soit ! rien de particulier, sauf que pendant ce déplacement il ne venait pas à l’esprit que le cercle orange changeât de nature, bien que lui aussi subît la déformation perspective. Un cercle ! Avez-vous jamais eu l’occasion de vraiment le voir comme tel. Nous le voyons presque toujours sous la forme déformée qui est une ellipse et cela ne nous choque pas. Dans notre esprit nous avons assimilé et mémorisé la forme cercle comme telle, et ce quelle que soit sa représentation elliptique. Sans doute est-ce lié au fait que dès la petite école on nous enseigne le cercle et que le voyant comme une ellipse, l’image du cercle est ancrée dans notre inconscient… quelle que soit sa représentation.

Dans cette situation particulière où tout se déformait, notre esprit était absorbé par cette forme jaune. Elle se redressait alors que le cercle orange demeurait cercle. Aussi avions-nous l’impression que le ciseau de départ se relevait de l’eau dans une espèce de mouvement par contraste avec l’immobilité du cercle orange. Les deux éléments présents subissaient les mêmes déformations perspectives et notre esprit n’en retenait qu’une seule ; créant cette espèce de mirage.

Les deux cordes amarrant la croix (visibles sur les photos) ajoutaient à cet effet, créant l’illusion qu’elles empêchaient la croix de s’échapper, s’envoler. Bien que je pressentais le phénomène – c’est la raison qui m’a conduit à le tester – je n’étais pas bien certain de l’effet. Je dois affirmer que j’ai été plus étonné que ce qu’abstraitement j’imaginais : tant qu’on n’a pas vu … on n’a rien vu … notre esprit nous joue bien souvent de mauvais tours.

En passant je signale qu’on ne pouvait pas atteindre le bon point de vue puisque j’avais placé celui-ci sur l’eau à quelques pas de la berge et que, par conséquent, il aurait fallu marcher sur l’eau pour l’atteindre.

Cette anamorphose est le résultat d’un calcul et l’objet qui devait produire la croix a été réalisé en atelier (bâche tendue sur un châssis de bois pour assurer la rigidité et la flottaison) et puis disposé sur l’eau. Le choix du point de vue inatteignable est une volonté de jouer avec la frustration. Dans le déplacement on pouvait s’apercevoir que le résultat prenait forme … mais qu’on ne pourrait pas l’atteindre et vérifier.

Sur cette image – la forme calculée et tracée sur la bâche – prise à peu près de l’endroit où elle devrait être observée, j’ai superposé en calque la croix non déformée telle qu’elle devrait apparaître du bon point de vue. Vérification sommaire avant de poursuivre l’aventure. Vous pouvez constater qu’il n’y a pas trop d’écart, eu égard à l’imprécision dans le placement de l’appareil photo.

J’ajouterai la remarque suivante : comment réaliser le cercle des galettes orange sans avoir à les situer et les fixer une par une sur l’eau ? Il suffit de considérer le cercle extérieur et le cercle intérieur et constituer avec du fil de fer rigide les polygones correspondants. Chaque fil de fer est à la mesure du côté du polygone correspondant. Ensuite il suffit de lier ceux-ci aux galettes et vous obtenez un cercle qui est « rigide » mais susceptible de s’accommoder des mouvements à la surface de l’eau.

A cette occasion, je constatais, à mes dépens, qu’il n’est pas facile de piloter une barque. Tout bouge, et lorsqu’il s’agit de se stabiliser en un point précis c’est une affaire compliquée. Il ne suffit pas de connaître les lois de la physique et la quantité de mouvement : si vous vous déplacez dans un sens dans la barque, celle-ci se déplace dans l’autre. Soit ! Il faut réussir à le mettre en application et annuler les effets néfastes. Concrètement, comme je n’avais aucune pratique, je mettais bien un quart d’heure pour me stabiliser à l’endroit « précis » où je devais enfoncer mes piquets. C’est une des rares occasions où j’ai cru ne jamais réussir à achever mon ouvrage. Un monde sépare la théorie et la pratique ! Rien ne remplace le « métier » 🙂

ÉCRIT PAR

Pierre Gallais

Plasticien, mathématicien - Institut de Mathologie

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