Un cercle mathématique en maternelle

Recension
Publié le 23 novembre 2015

À Moscou, entre 1981 et 1985, Alexandre Zvonkine eut la bonne idée de tenir un journal dans lequel il notait le déroulement des séances d’initiation à la recherche mathématique qu’il organisait pour quelques enfants de maternelle.

En Février 1981 le parti communiste d’URSS était encore dirigé par Leonid Brejnev. En Octobre 1985, il l’était par Mikhail Gorbatchev. Entre les deux il y avait eu aussi Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko.

Pourquoi avoir choisi les deux dates précédentes ? Pas pour leur importance dans l’histoire du communisme ou de la guerre froide, mais parce qu’elles marquent le début et la fin d’un journal très particulier du mathématicien Alexandre Zvonkine. En 1980 il avait eu l’idée d’organiser à Moscou un « cercle » hebdomadaire d’activités mathématiques pour son fils Dimitri de presque quatre ans et pour quelques uns de ses amis ayant à peu près le même âge. Au fil des séances, il devint de plus en plus intéressé par les réactions des enfants. Ce qui lui donna un beau jour l’envie de tenir un journal sur le déroulement du cercle.

Ce dernier dura jusqu’en 1984. À partir de cette année-là, il répéta pendant encore un an l’expérience avec sa cadette Eugénie et quelques unes de ses amies. D’autres personnes à Moscou entendirent parler de son expérience, des photocopies de son journal circulèrent et firent des émules. La glasnost et la perestroika firent leur chemin, le rideau de fer disparut, l’URSS aussi, les Zvonkine arrivèrent en France, et le journal suscita de l’intérêt aussi en Occident. En 2011 parut une traduction en Anglais2 Il s’agit de « Math from Three to Seven. The story of a Mathematical Circle for Preschoolers », publié en 2011 dans la collection Mathematical Circles Library de l’American Mathematical Society. :

La couverture illustre certaines des activités qu’il proposa aux enfants. Au fil des pages on découvre leurs idées, leurs fausses pistes et leurs impasses, leurs éclairs de génie ou leurs moments de désespoir, les explications du maître qui enfoncent encore plus les enfants dans le brouillard ou celles qui les débloquent … De temps en temps on peut lire les souvenirs de Dimitri et Eugénie recueillis à l’époque où le journal était préparé pour la publication, dans les années 2000. Ils contrastent parfois fortement avec les notes du journal.

Les diverses activités proposées peuvent être vues comme des initiations ludiques à la manipulation des notions ensemblistes, à la géométrie, aux symétries, à la combinatoire, aux probabilités et même à la programmation. Je vais donner un exemple, que je qualifierais d’initiation à la symétrie. Il s’agit d’un tour de magie mathématique. On donne à quelqu’un dans l’assistance un carré 12×12 rempli de chiffres de manière « magique », et un rectangle permettant de recouvrir quatre chiffres consécutifs, soit horizontalement, soit verticalement :

On s’éloigne pendant que la personne place le rectangle, puis on revient, on y jette un coup d’œil et on annonce instantanément la somme des chiffres recouverts. Par exemple, pour le placement illustré dans la figure précédente, on peut s’écrier que cette somme vaut 17. Voyez-vous pourquoi ?

Voici un deuxième exemple, que je qualifierais à la fois d’initiation à la géométrie et à la programmation. Devinez-vous quelle était la mission des enfants ?

Mais pourquoi avoir organisé un tel « cercle » ? Pour essayer de donner envie aux enfants de devenir des mathématiciens ? Il est vrai que c’est ce qui arriva avec Dimitri, mais pas avec les autres, même si certains d’entre eux devinrent informaticiens, comme on l’apprend dans l’Épilogue du livre. L’auteur explique d’une autre manière son initiative :

Si j’ai appris quelque chose aux enfants, ce fut l’idée qu’ils doivent expérimenter leur monde avec ouverture et intérêt. Je me rappellerai toujours les mots de mon proche ami Andrei Toom, le remarquable mathématicien et professeur. Je les cite ici non pas pour me vanter, mais comme une belle description d’un idéal d’enseignement auquel on doit tendre :

Ce que tu leur enseignes ce n’est pas des maths, mais une manière de vivre.

Post-scriptum

Je remercie Mylène Maïda de m’avoir fait découvrir ce livre.

ÉCRIT PAR

Patrick Popescu-Pampu

Professeur - Université de Lille

Partager